– L’Argentine face à ses démons économiques
Vingt ans après avoir traversé une grave crise, l’Argentine revit une nouvelle catastrophe économique et sociale. Le taux de pauvreté atteint 35 %, soit plus de 10 millions de personnes sur les 44,78 millions d’habitants que compte le pays en 2019. La gestion de cette nouvelle récession était l’un des enjeux de l’élection présidentielle du 27 octobre 2019, où Mauricio Macri (depuis 2015) briguait un deuxième mandat, mais fut vaincu par le péroniste Alberto Fernández.
En mai 2018, le président argentin est allé voir le Fonds monétaire international (FMI) pour lui demander son aide alors que l’Argentine s’enfonçait dans la crise. Tandis que le cours du dollar remontait, le peso chutait, et comme la majorité de la dette argentine est libellée en dollars, celle-ci augmenta dramatiquement. L’intervention du FMI, avec un prêt de 57 milliards de dollars, rappela de mauvais souvenirs, puisque l’instance internationale avait imposé des politiques d’austérité drastiques au début des années 2000 quand le pays s’était retrouvé en cessation de paiement. La crise qui dura de 1998 à 2002 avait eu des conséquences catastrophiques pour la population. L’inflation fut telle que le taux de pauvreté (calculé à environ 530 euros par mois pour une famille) avait atteint 57% en 2002.
Plus de pauvreté
En 2019, le taux de pauvreté n’a pas encore atteint ce niveau, mais il était de 35,4 % au premier semestre 2019, grimpant de 3,4 % depuis le dernier semestre de 2018, selon les chiffres officiels. En 2001, il était d’ailleurs au même niveau (36 %). Ces statistiques établies à partir de données recueillies dans 31 agglomérations révèlent que 10,01 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté et que 2,16 millions sont indigents, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent subvenir à leurs besoins de base. Une situation sociale inquiétante dans un pays en récession. La production industrielle manufacturière est en recul de 8,1 % ; sur l’année, la croissance est négative et le chômage a dépassé la barre des 10 %. Le prêt du FMI n’a pas eu l’effet nécessaire. Les fonds ont été utilisés pour la finance plutôt que dans l’économie réelle et les investisseurs continuent de bouder le pays. L’inflation a explosé en 2018 : + 47,7 % avec une prévision de + 55 % pour 2019. Le président Mauricio Macri a donné un virage libéral à son pays après les années dirigées par les époux Kirchner. Ces derniers, d’abord Néstor de 2003 à 2007, puis Cristina Fernández, de 2007 à 2015, issus du courant péroniste (Parti justicialiste), avaient mis en place une politique interventionniste sur les questions économiques et réinstauré un État social plus fort avec la garantie de la gratuité des secteurs publics tels que l’éducation et la santé ou encore une allocation universelle pour les enfants. Quand Mauricio Macri arrive au pouvoir, il décide d’une politique en rupture avec la précédente. Il supprime 200 000 emplois publics lors de sa première année ainsi que de nombreuses subventions publiques. Surtout, il met un terme au contrôle des changes entre le peso et le dollar, mis en place par Cristina Kirchner en 2011, qui limitait l’épargne et les importations, mais empêchait la fuite des capitaux. Ce choix politique très libéral, salué dans un premier temps par la communauté internationale, entraîne une dévaluation de la monnaie et une inflation, qui passe à 40 % en 2016, contre 27 % en moyenne les années précédentes, amenant la grave crise conjoncturelle actuelle. En effet, comme il y a vingt ans, l’Argentine risque de connaître un nouveau défaut de paiement de sa dette.
Des élections sanctions
Alors qu’il avait été élu sur la promesse d’une pauvreté zéro, Mauricio Macri fut en difficulté durant la campagne présidentielle. Lors des primaires d’août 2019, il fut distancié par le péroniste de centre gauche Alberto Fernández, allié à Cristina Kirchner, qui récolta 47 % des suffrages contre 32 % pour le chef de l’État. Ce dernier a été obligé de faire des concessions dans sa politique libérale avec une série de mesures sociales comme la baisse d’impôts sur les bas salaires, la hausse du salaire minimum ou encore l’exonération de TVA sur les aliments de base. Il a même réinstauré le contrôle des changes, créant des files d’attente devant les banques, les épargnants argentins voulant retirer au plus vite leurs dollars. Cela n’a pas suffi à calmer la gronde sociale et sa réélection était presque perdue d’avance.
Si la lutte pour l’élection présidentielle s’est résumée ainsi à un affrontement entre péronistes (kirchnéristes) et antipéronistes, la situation sociale est si grave à l’heure actuelle que les différents bords politiques ont voté à l’unanimité le 12 septembre 2019 la loi dite d’« urgence alimentaire », destinée à aider les personnes incapables de se nourrir correctement. De nombreux Argentins s’étaient réunis devant le Parlement pour l’exiger. Celle-ci, instaurée en 2002 depuis la précédente crise, permet d’allouer des fonds supplémentaires aux programmes sociaux en faveur des plus démunis. Tandis que ceux qui le peuvent font le choix de partir s’installer au Chili, les différents cabinets de recrutement indiquent que les candidatures de ces Argentins qualifiés sont en forte augmentation pour ce pays voisin (+ 247 % à l’été 2019 par rapport à l’année précédente), un phénomène susceptible d’évoluer dans les mois à venir, compte tenu de la situation de crise politico-sociale que traverse le Chili depuis octobre 2019.