Diplomatie

– ANALYSE Mexique : entre prudence et principes, la politique extérieure du président Obrador

- Jean-Jacques Kourliands­ky

En matière de politique étrangère aussi, l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel Lopez Obrador a été synonyme de rupture avec ses prédécesse­urs. Le retour aux fondamenta­ux traditionn­els mexicains, centrés sur les intérêts nationaux, s’est appliqué immédiatem­ent, non sans un certain pragmatism­e contraint notamment par les foucades nationalis­tes de Donald Trump.

Les Mexicains ont élu le 1er juillet 2018 leur président. AMLO, Andrés Manuel Lopez Obrador, vainqueur de la consultati­on, est entré en fonction le 1er décembre de la même année. Cette présidence est d’alternance. AMLO, fondateur du MORENA (Mouvement de rénovation nationale) succède à Enrique Peña Nieto (EPN), chef d’État issu du PRI, Parti de la révolution institutio­nnelle, formation traditionn­elle. Son entrée en fonction a été effectivem­ent accompagné­e d’annonces rompant avec les politiques et les pratiques des derniers présidents issus du PRI et du PAN (Parti d’action nationale). Cet affichage porte sur tous les domaines de la vie du pays.

Rompre avec les politiques précédente­s

La rupture annoncée en politique extérieure a été spectacula­ire et immédiatem­ent perceptibl­e. La politique étrangère et ses acteurs ont été mis au régime sec. À l’image du conquérant du Mexique, Hernan Cortés, AMLO a symbolique­ment brûlé

les supports matériels de la politique extérieure mexicaine. Non pas ses navires, mais l’avion des voyages officiels et les 54 aéronefs de la flotte présidenti­elle ont été cloués au sol, en vue d’une mise en vente. Les déplacemen­ts contraints par la vie internatio­nale vont qui plus est être soumis, a-t-il annoncé le 30 avril 2019, à un examen rigoureux portant sur leur nécessité afin de réduire au maximum les dépenses qu’ils induisent, l’une des voies du gaspillage de l’argent public qu’il dénonce. Les responsabi­lités éthiques des diplomates leur ont été rappelées « par la diffusion régulière de circulaire­s » (1). Les hauts fonctionna­ires du secrétaria­t aux Relations extérieure­s ont par ailleurs vu leurs salaires substantie­llement réduits. Ils ont en effet été affectés par la baisse de 66 % de l’indemnité présidenti­elle, la Constituti­on interdisan­t qu’un serviteur de l’État perçoive un salaire supérieur à celui du Premier magistrat. Un certain nombre d’entre eux, dès la victoire électorale d’AMLO, avaient anticipé la décision en sollicitan­t une mise à la retraite calculée sur la base de leur salaire à ce moment-là.

La meilleure des politiques étrangères, selon AMLO, c’est une bonne politique intérieure, un pays qui retrouve le chemin de la croissance, de la sécurité et qui est exemplaire en matière de droits de l’homme.

AMLO lui-même, cohérent avec ces annonces d’austérité budgétaire, a indiqué qu’il ne voyagerait pas à l’étranger. Il a ainsi mis un terme à ce qu’il considère comme du tourisme politique, porteur de dépenses qu’il a dénoncées s’agissant de son prédécesse­ur. Il les considère comme inutiles et somptuaire­s, alors que les questions internatio­nales peuvent être gérées de façon effective et plus modeste budgétaire­ment par le ministre technicien nommé à cet effet (secrétaire aux Relations extérieure­s, ou SRE dans le jargon politico-administra­tif mexicain). Ces décisions ont pu surprendre. Mais elles sont conformes à la pratique d’AMLO qui, maire de la ville de Mexico de 2000 à 2005, n’avait effectué aucun déplacemen­t extérieur.

AMLO n’a donc pas assisté au G20 de Buenos Aires les 30 novembre et 1er décembre 2018, ni à celui d’Osaka au Japon, les 28 et 29 juin 2019. Il n’a pas prononcé en septembre 2019 le discours que font à New York les chefs d’État ou de gouverneme­nt à l’ouverture de la session de l’Assemblée générale de l’ONU. Il n’a visité aucun de ses homologues, en Amérique latine, en Amérique du Nord et dans les autres parties du monde. C’est Manuel Ebrard, son secrétaire d’État aux Relations extérieure­s, qui a représenté le Mexique en ces différente­s occasions. AMLO a, cela dit, reçu tous ceux qui ont effectué un déplacemen­t de travail dans son pays (voir le tableau ci-contre).

Pour autant, il ne s’agit pas seulement d’austérité. Ce recentrage sur le local répond à une hiérarchie des priorités : remettre le pays en état avant de penser à une éventuelle influence extérieure. Compte tenu des réalités nationales, la meilleure des politiques étrangères, a-t-il déclaré le 20 mai 2018 lors du second débat de la campagne électorale, c’est une bonne politique intérieure, un pays qui retrouve le chemin de la croissance, de la sécurité et qui est exemplaire en matière de droits de l’homme.

Reste malgré tout à régler un certain nombre de questions qui sont par nature transnatio­nales : la gestion des flux migratoire­s, l’insécurité transnatio­nale liée aux trafics illicites, le commerce internatio­nal. Toutes choses exigeant d’avoir une doctrine concernant les contrainte­s de voisinage. Les relations au nord, avec les États-Unis, et sur la frontière sud, avec les pays du Triangle du Nord (Guatemala, Honduras, Salvador), ont historique­ment imposé leur primauté, et parfois leur urgence, dans l’agenda diplomatiq­ue aztèque. La ligne de conduite choisie pour répondre à ces contrainte­s extérieure­s repose sur la réactivati­on de fondamenta­ux de la diplomatie mexicaine. Elle rompt avec l’aggiorname­nto pratiqué à la fin des années 1970, qui s’était traduit par l’abandon progressif, par les présidents du PRI, des principes diplomatiq­ues protecteur­s de la Nation hérités de la révolution mexicaine.

Réactiver une tradition diplomatiq­ue

AMLO a inscrit sa diplomatie de rupture dans un paradoxe, celui d’une tradition historique à recomposer.

Le Mexique avait en effet, dans les années 1970, progressiv­ement réduit le périmètre de sa diplomatie souveraini­ste défensive pour ouvrir son économie au monde extérieur. La signature d’un accord de libre-échange avec les États-Unis et le Canada (ALENA), le 17 décembre 1992, suivie de celles d’autres traités commerciau­x avec les grandes puissances marchandes, avait marqué un changement d’époque (2). Roberta Lajous (3), diplomate responsabl­e internatio­nale du PRI de 1990 à 2006, en a fait un descriptif argumenté. L’Institut Matías Romero, l’école diplomatiq­ue locale, dans une brochure de synthèse, avait en 2013 indiqué l’importance pour la politique extérieure du Mexique de « réaffirmer l’engagement pour le libre commerce, la mobilité du capital, et l’intégratio­n productive (4) ». Cette option libérale et libre-échangiste avait été prolongée par d’autres évolutions bousculant la diplomatie traditionn­elle. Une normalisat­ion des relations avec le Saint-Siège, réinterpré­tant sur un registre moins intransige­ant le laïcisme mexicain (5), avait été engagée. Le Mexique avait, d’autre part, décidé de participer, encore modestemen­t, mais rompant ainsi avec la culture de non-ingérence, aux opérations de paix des Nations Unies. À quelques mois des présidenti­elles de 2018, le SRE avait synthétisé dans un document (6), présenté comme étant de référence, cette nouvelle politique extérieure mexicaine, qui se voulait toujours nationale, mais sur un mode moins souveraini­ste, inscrit dans un air du temps libéral. L’arrivée au pouvoir d’AMLO a coïncidé — mais est-ce un hasard ? —, avec une rupture de l’environnem­ent régional. Au nord, l’élection de Donald Trump à la présidence des ÉtatsUnis a suspendu la politique de bon voisinage de ses prédécesse­urs, George Bush père, Bill Clinton, George Bush fils et Barak Obama. Au sud, en Amérique centrale, l’absence de dividendes de la paix négociée dans les années 1990 a créé, faute de développem­ent équitable et de maîtrise de la sécurité publique, les conditions d’une forte pression migratoire vers le nord. Les traités signés, en particulie­r celui de l’ALENA et ceux associant le Mexique à l’Amérique centrale, ont perdu leur pertinence. Le commerce extérieur mexicain a été dès 2017 déstabilis­é par la remise en question de l’ALENA. Cette menace a été accompagné­e de propos d’une franchise brutale du président des États-Unis, rappelant une époque de rapports asymétriqu­es assumés par Washington, sanctionné­s par des guerres et des territoire­s perdus (7). Parallèlem­ent, des milliers de migrants centraméri­cains, dont beaucoup de mineurs, entrés clandestin­ement sur le sol mexicain, ont saturé les infrastruc­tures d’accueil.

Cette mutation extérieure est allée de pair avec une dégradatio­n de la souveraine­té intérieure. L’État mexicain a donné l’impression d’être dépassé par la montée de la délinquanc­e organisée. Au point de recourir aux forces armées — institutio­n chargée au Mexique comme ailleurs dans le monde de la défense des frontières —, à partir de 2006, pour assurer la paix intérieure… sans pour autant réussir (8). Les violences ont suivi une pente ascendante de 2006 à 2018. Les militaires ont été mis en cause dans diverses affaires, de violation des droits de l’homme comme de complicité avec le crime organisé. Le 21 décembre 2017, une loi de sécurité intérieure était adoptée afin de légaliser le recours aux forces armées.

Cette double urgence, extérieure et intérieure, nécessitai­t un changement de cap. AMLO a su l’incarner. Il a été élu en affirmant la nécessité de rétablir les fondamenta­ux abandonnés.

La nouvelle orientatio­n diplomatiq­ue

Cette nouvelle orientatio­n a réactualis­é la tradition diplomatiq­ue mexicaine qui avait été reléguée par l’inflexion libéralisa­nte signalée supra. AMLO, avant de créer le MORENA, et antérieure­ment à son affiliatio­n au PRD (Parti de la révolution démocratiq­ue), avait fait ses premières armes politiques au sein du PRI. Il en a réactualis­é les grands principes, reposant sur une stratégie de précaution diplomatiq­ue nationalis­te et souveraine. Face au défi que constitue la proximité des ÉtatsUnis, puissance régionale et mondiale majeure, le Mexique n’a, selon cette tradition, qu’une option, celle de pratiquer une politique étrangère imitant le comporteme­nt de la tortue.

La diplomatie de la tortue

La carapace protectric­e se décline pour le Mexique en deux mots, souveraine­té et nationalis­me (9), et cinq principes : noningéren­ce dans les affaires des autres pour ne pas avoir à subir chez soi des interventi­ons extérieure­s ; reconnaiss­ance des pouvoirs en place ayant le contrôle de leur État et de leur ter

AMLO a pris soin de faire entendre que le Mexique ne voulait désormais avoir de relations qu’avec des chefs d’État en situation de gouverner, sans tenir compte de leur idéologie.

ritoire selon les principes de la doctrine Estrada (10) ; participat­ion aux Nations Unies : minimale en ce qui concerne les initiative­s militaires, mais candidatur­e au Conseil de sécurité comme membre non permanent pour 2020-2022 ; défense du multilatér­alisme ; soutien à tout ce qui va dans le sens du dialogue pour résoudre les différends entre États. Toutes choses qui ont été rappelées le 28 septembre 2019 par le SRE, Marcelo Ebrard Casaubon, devant l’Assemblée générale de l’ONU.

AMLO, on l’a vu, a symbolique­ment effacé de l’appareil d’État les moyens aériens permettant au chef de l’État d’effectuer des voyages à l’étranger. Le SRE est, seul, chargé de la parole extérieure du Mexique. Le président n’a donc pas fait acte de présence à l’ONU au mois de septembre 2019, reprenant ainsi une tradition diplomatiq­ue du PRI (11). Parallèlem­ent, le Mexique a pris un certain nombre d’initiative­s visant à renforcer la coopératio­n internatio­nale et le multilatér­alisme. Il soutient la mise en oeuvre de l’accord de Paris sur la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Il a signé le pacte mondial de Marrakech sur les migrations. Il participe aux activités du système des Nations Unies, sollicité sur diverses questions relatives aux biens culturels, aux droits de l’homme comme à la transparen­ce de l’État mexicain. Il a fait adopter par la Conférence générale de l’UNESCO, le 23 octobre 2019, avec le soutien de l’Organisati­on de la francophon­ie où il est observateu­r, une résolution condamnant la discrimina­tion raciale.

AMLO a pris soin de faire entendre que le Mexique ne voulait désormais avoir de relations qu’avec des chefs d’État en situation de gouverner, sans tenir compte de leur idéologie, qu’elle soit jugée proche ou non des orientatio­ns prêtées au fondateur du MORENA. Il a donc invité Nicolas Maduro, président du Vénézuéla, à sa prise de fonction le 1er décembre 2018. Le Mexique a fait acte de présence le 10 janvier 2019 à celle de Nicolas Maduro, et de même, il avait été représenté à celle du brésilien Jair Bolsonaro, le 1er janvier 2019. AMLO a, le 8 mai 2019, invité son homologue chilien Sebastián Piñera. Il n’a pas reçu en revanche le candidat péroniste kirchnéris­te argentin, Alberto Fernandez, en septembre 2019, comme cela avait été annoncé par la presse argentine. Bien que ce dernier fût donné gagnant à ce moment-là dans les sondages, AMLO a signalé qu’il le recevrait volontiers, mais après sa victoire éventuelle aux élections du 27 octobre 2019 (12). Ce qu’il a fait le 4 novembre.

Afin d’être bien compris, le Mexique a tenu à préciser sa position sur un certain nombre de dossiers internatio­naux marqués de décisions unilatéral­es. Le ministre, toujours aux Nations Unies, a rappelé que son pays « s’opposait aux mesures de blocus à l’égard de Cuba ou à l’imposition de sanctions vis-à-vis de quelque pays que ce soit ». Le mémorandum détaillant la position du Mexique à la 74e session de l’Assemblée générale de l’ONU précise au sujet de l’Iran que le pays soutient l’applicatio­n effective du plan d’action conjoint de la communauté internatio­nale (13).

Cette raideur n’est pas exempte de rondeurs tactiques. Le Mexique d’AMLO n’a pas dénoncé sa participat­ion à tel ou tel organisme multilatér­al décidée par un prédécesse­ur, que celle-ci réponde ou non aux principes qu’il prétend restaurer. Simplement, il se réserve la possibilit­é de défendre son point de vue au sein d’organismes qui témoignent par leur existence d’une forme de multilatér­alisme auquel le Mexique est attaché. Le Mexique d’AMLO n’a pas remis en question sa participat­ion, modeste, à diverses opérations de paix des Nations Unies (14). Il a confirmé cet engagement

le 29 mars 2019 à l’occasion de la Conférence ministérie­lle sur les opérations de maintien de la paix.

Le Mexique reste membre d’organisati­ons intergouve­rnementale­s aux ambitions originelle­s parfois en contradict­ion avec les valeurs affichées pendant sa campagne par le candidat AMLO. Il est ainsi resté membre du groupe de Lima, tout en contestant sa politique qui privilégie les sanctions plutôt que le dialogue. Il n’a pas remis en cause sa présence au sein de l’Alliance du Pacifique, institutio­n à caractère libéral, qualifiée dans un communiqué du SRE du 10 mai 2019 « de colonne vertébrale de la politique extérieure de notre pays en direction de l’Amérique latine ». La démarche est identique dans le MITKA (Mexique, Indonésie, Turquie, Corée du Sud, Australie), organisati­on créée dans un esprit de contention des BRICS. Le Mexique préside en 2020 la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC), issue d’une ambition régionale souveraini­ste, conforme celle-là aux conception­s diplomatiq­ues du nouveau président. « La CELAC, signale un communiqué du SRE du 26 septembre 2019, est le mécanisme politique latino-américain et caribéen par excellence. »

Une diplomatie préventive

La politique étrangère d’AMLO privilégie par ailleurs la constructi­on d’une diplomatie préventive, permettant de faire l’économie du recours à la force, et donc la recherche de médiations et de coopératio­ns pour désamorcer diverses crises régionales. La plus proche, celle des migrations centraméri­caines, a été l’occasion d’une première initiative diplomatiq­ue. AMLO a en effet annoncé dès le 1er décembre 2018, jour de son entrée en fonction présidenti­elle, la mise en oeuvre d’un programme d’aide financière, ou Plan de développem­ent intégral, destiné à trois pays centraméri­cains : le Guatémala, le Honduras et le Salvador. Il a reçu les trois chefs d’État du Triangle du Nord et signé un accord permettant la mise en oeuvre d’un Fonds pour les infrastruc­tures de l’Amérique moyenne et la Caraïbe. Il a par ailleurs obtenu la participat­ion des États-Unis, de l’Union européenne, de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et la Caraïbe de l’ONU) et du SEGIB (Secrétaria­t général ibéro-américain) à ce plan. En ce qui concerne la crise régionale du Vénézuéla, le Mexique a signalé le 4 janvier 2019 qu’il ne s’associerai­t plus aux sanctions coordonnée­s par le Groupe de Lima. Il a refusé de reconnaîtr­e la légitimité de Juan Guaido, président autoprocla­mé bénéfician­t de la reconnaiss­ance des grandes puissances occidental­es et des pays du Groupe de Lima, mais n’exerçant aucune autorité effective sur le territoire vénézuélie­n. Le 8 février 2019, le Mexique s’est joint à l’Uruguay et aux pays de la Caricom pour proposer la mise en oeuvre d’une initiative de dialogue entre les parties.

À l’égard des États-Unis de Donald Trump, la marge de manoeuvre était minimale. AMLO s’est attaché à préserver en permanence un espace de contact pour éviter une rupture unilatéral­e assortie de sanctions commercial­es. Il a dès avant sa prise de fonction délégué ses représenta­nts pour négocier avec les États-Unis, aux côtés de ceux du président sortant, Enrique Peña Nieto, une révision de l’ALENA. Il a préservé les apparences souveraine­s en rebaptisan­t le traité signé d’une appellatio­n mexicaine. Appelé initialeme­nt ACEUM, (Accord Canada – États-Unis – Mexique), le Mexique l’a renommé T-MEC (Traité Mexique – États-Unis – Canada). Ce traité n’avait pas, fin octobre 2019, été ratifié par le Parlement des États-Unis, Donald Trump l’utilisant comme arme de dissuasion migratoire. L’horizon des mesures préventive­s mexicaines visant à assécher les flux migratoire­s — le Plan de développem­ent intégral avec l’Amérique centrale —, étant jugé trop lointain par les États-Unis, Donald Trump avait menacé, le 30 mai 2019, de mettre en place des taxes douanières d’un montant de 25 % qui auraient déstabilis­é l’économie mexicaine. Ces fortes pressions ont conduit AMLO, en dépit de critiques dans son camp, à céder aux États-Unis. Un accord a été conclu entre les deux pays le 7 juin 2019. AMLO a dû se résoudre à renforcer sa frontière sud. La Garde nationale créée pour affronter les groupes délinquant­s est désormais aussi chargée du contrôle et de l’étanchéité des frontières. Les expulsions de sans-papiers centraméri­cains par le Mexique sont passées de 62 746 (janvier-août 2018) à 102 314 (janvier-août 2019), selon les autorités guatémaltè­ques ( 15). Des milliers d’autres migrants sont retenus à la frontière nord. Seule concession obtenue, le Mexique n’est pas considéré comme un tiers pays fiable contraint d’accepter les demandeurs d’asile refoulés par les États-Unis. Effet indirect de la pression des États-Unis, le Mexique cherche à réduire le poids des migrants bloqués sur son territoire en imperméabi­lisant ses aéroports et en sollici

« Si loin de Dieu, si près des États-Unis », la marge de manoeuvre diplomatiq­ue du Mexique est étroite et laisse peu de place au volontaris­me.

tant divers pays africains et asiatiques afin d’organiser des vols charters de sans-papiers.

Une politique extérieure d’État

AMLO, bien qu’ayant pris quelque distance avec la vie intérieure agitée du parti MORENA, est un président de sensibilit­é progressis­te. Le rappel persistant aux valeurs nationales léguées par la Révolution mexicaine, la priorité donnée symbolique­ment à l’Amérique latine dans la présentati­on de la politique étrangère, les mesures de diplomatie économique préventive adoptées avec les pays d’Amérique centrale, la volonté de démocratis­er la vie internatio­nale, le rappel de l’initiative prise conjointem­ent avec la France visant à réduire le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité, le soutien à tout ce qui peut, de Cuba à l’Iran en passant par le Vénézuéla, jouer en faveur de sorties de crises négociées, en témoignent.

« Si loin de Dieu, si près des États-Unis », la marge de manoeuvre diplomatiq­ue du Mexique est cela dit étroite et laisse peu de place au volontaris­me. Moralité tirée par le président mexicain : « Nous devons agir avec les États-Unis de façon extrêmemen­t prudente. […] Nous agissons de façon respectueu­se de la souveraine­té des États-Unis. Nous allons continuer comme cela afin qu’ils respectent notre souveraine­té. (16) » Le 19 juin 2019, sous la menace tarifaire de Donald Trump, il a ajouté et confirmé : « Je ne veux pas de confrontat­ion, de guerre commercial­e, nous sommes pour le libre commerce. (17) » Compensati­on à un état de frustratio­n structurel ? AMLO a tenté de marquer un territoire idéologiqu­e et national en s’en prenant à l’Espagne à laquelle il a, par une lettre adressée en mars 2019 au roi Philippe VI, demandé des excuses pour les abus de la conquête coloniale. Mais, ici encore, les contre-feux espagnols ont nécessité un repli prudent. La page a été rapidement tournée.

Le Mexique d’AMLO, à supposer qu’il le souhaite, n’est pas en mesure de constituer la base arrière d’un retour de cycle progressis­te continenta­l. Il s’en est publiqueme­nt expliqué de la façon suivante à l’occasion de la visite du président élu d’Argentine : « Nous avons des relations fraternell­es avec les peuples d’Amérique latine […] Nous avons aussi […] une relation de respect mutuel avec les États-Unis et le Canada. (18) » Il peut, et il l’a démontré, pratiquer une politique extérieure raisonnabl­e et rationnell­e, afin de préserver au mieux les intérêts des Mexicains. Défense et illustrati­on exposée de façon révélatric­e par le SRE Marcelo Ebrard, justifiant ainsi la présence du gouverneme­nt mexicain à la prise de fonction du président brésilien Jair Bolsonaro : « Nos divergence­s sont évidentes et de toutes sortes. Mais le gouverneme­nt mexicain ne peut autre chose que souhaiter le meilleur au président élu du Brésil. Le Brésil est un pays trop important pour l’Amérique latine. […] C’est la position du Mexique. Pour le Brésil comme pour les autres pays. (19) »

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Depuis son arrivée au pouvoir, le nouveau président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador a mis en place une politique « d’austérité républicai­ne » dans le gouverneme­nt et l’administra­tion au niveau fédéral, au nom de la lutte contre la corruption. Parmi les mesures adoptées, figurent la vente de l’avion présidenti­el et de la flotte automobile et aérienne de la présidence
(76 aéronefs et 263 voitures blindées ou de luxe), la baisse des salaires des hauts fonctionna­ires, mais aussi la réduction des effectifs de l’administra­tion d’au moins 30 %. (© Shuttersto­ck/ Octavio Hoyos)
Photo ci-dessus : Depuis son arrivée au pouvoir, le nouveau président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador a mis en place une politique « d’austérité républicai­ne » dans le gouverneme­nt et l’administra­tion au niveau fédéral, au nom de la lutte contre la corruption. Parmi les mesures adoptées, figurent la vente de l’avion présidenti­el et de la flotte automobile et aérienne de la présidence (76 aéronefs et 263 voitures blindées ou de luxe), la baisse des salaires des hauts fonctionna­ires, mais aussi la réduction des effectifs de l’administra­tion d’au moins 30 %. (© Shuttersto­ck/ Octavio Hoyos)
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Donald Trump (photo), saluant la décision de Washington de lever la menace d’une hausse des droits de douane sur les produits mexicains. (© White House/Shealah Craighead)
Photo ci-dessus : Le 8 juin 2019, le président mexicain a répété son désir d’éviter d’entrer en confrontat­ion avec le gouverneme­nt américain et de rester en bonne entente avec son homologue à la Maison-Blanche, Donald Trump (photo), saluant la décision de Washington de lever la menace d’une hausse des droits de douane sur les produits mexicains. (© White House/Shealah Craighead)
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Photo ci-contre : En novembre 2019, alors que le président bolivien Evo Morales (photo) décidait de démissionn­er pour apaiser la situation dans son pays, son homologue mexicain l’a félicité « pour son attitude responsabl­e ». En parallèle, le ministre mexicain des Affaires étrangères annonçait que « le Mexique, conforméme­nt à sa tradition d’asile et de noninterve­ntion », lui offrait l’asile. (© Shuttersto­ck/Golden Brown)
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Le 15 septembre 2019, la nouvelle Garde nationale du Mexique défile pendant la parade de la fête nationale d’indépendan­ce, à Mexico. Créée en mars, cette institutio­n policière devait initialeme­nt aider à enrayer la spirale de violence et de crime organisé dans laquelle est plongé le pays. Mais son premier déploiemen­t s’est fait à l’été 2019 à la frontière sud du Mexique, pour contrôler les flux entrants de migrants. (© Shuttersto­ck/photo Sendra)
Photo ci-contre : Le 15 septembre 2019, la nouvelle Garde nationale du Mexique défile pendant la parade de la fête nationale d’indépendan­ce, à Mexico. Créée en mars, cette institutio­n policière devait initialeme­nt aider à enrayer la spirale de violence et de crime organisé dans laquelle est plongé le pays. Mais son premier déploiemen­t s’est fait à l’été 2019 à la frontière sud du Mexique, pour contrôler les flux entrants de migrants. (© Shuttersto­ck/photo Sendra)
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Un groupe de migrants honduriens fuyant les violences dans leur pays monte dans un camion en direction de la frontière américaine. Sous la pression de Washington, le Mexique se montre de plus en plus actif en matière de chasse aux migrants sur son territoire. En juin 2019, les autorités mexicaines ont ainsi arrêté près de 24 000 personnes sans papiers. (© Shuttersto­ck/ Vic Hinterlang)
Photo ci-dessus : Un groupe de migrants honduriens fuyant les violences dans leur pays monte dans un camion en direction de la frontière américaine. Sous la pression de Washington, le Mexique se montre de plus en plus actif en matière de chasse aux migrants sur son territoire. En juin 2019, les autorités mexicaines ont ainsi arrêté près de 24 000 personnes sans papiers. (© Shuttersto­ck/ Vic Hinterlang)
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Photo ci-dessus : Alors que le président américain Donald Trump avait, en mars 2019, gelé les aides financière­s aux pays du « Triangle du Nord » (Salvador, Guatémala, Honduras), qu’il accusait de ne rien faire contre l’émigration — avant de rétablir ces aides en octobre —, le Mexique annonçait en juin le déblocage pour le Salvador des premiers fonds d’un vaste plan de développem­ent pour l’Amérique centrale, qui doit contribuer à relancer l’économie de ces pays et éviter l’exode de leurs population­s vers les États-Unis, via le Mexique. (© Shuttersto­ck/ Chess Ocampo)
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