Diplomatie

– ENTRETIEN Géopolitiq­ue de l’agricultur­e et de l’alimentati­on : les questions au menu de 2020

- Avec Sébastien Abis, chercheur associé à l’Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es (IRIS) et directeur de DEMETER, et Matthieu Brun, docteur, chercheur à Sciences Po Bordeaux – laboratoir­e Les Afriques dans le monde (LAM), responsabl­e des ét

Au moment où la Chine est secouée par la peste porcine africaine (PPA), quelle est la place des produits alimentair­es et de l’agricultur­e dans la guerre commercial­e qui oppose ce pays aux États-Unis ?

S. Abis : Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la peste porcine, qui fait des ravages en Chine depuis la mi-2018. Alors que l’empire du Milieu est à la fois le premier producteur et le premier consommate­ur mondial de viande de porc, cette épizootie (non transmissi­ble à l’homme), d’une ampleur inédite et très difficile à contrôler, fait grimper les prix sur le marché mondial et impacte l’équilibre des échanges. On estime ainsi à 200 millions le nombre de cochons qui manqueront à l’appel en Chine en 2019, soit l’équivalent de la production européenne ! Évidemment, le pays doit combler sa production par un approvisio­nnement accru sur le marché mondial, alors même que les prix du porc augmentent partout, comme en Europe où ils ont grimpé de 35 % en 2019. N’oublions pas que la Chine assurait près de la moitié de la production mondiale de porc et que cette crise sanitaire lui a fait perdre 40 % de son cheptel. Or, la PPA ne connaît pas de frontières et des cas ont été recensés dans les pays voisins, malgré les mesures drastiques prises par les autorités chinoises pour endiguer l’épizootie. Le Vietnam, cinquième producteur mondial, a déjà abattu plus d’un million de porcs ; Hong Kong a également déclaré avoir eu des cas de PPA. Des aliments contaminés ont été détectés dans plusieurs pays de la zone Asie-Pacifique comme en Australie, en Corée du Sud, en Thaïlande, à Taïwan ou au Japon. Et dès 2018, la PPA s’est même étendue à l’Europe et fait l’objet d’une surveillan­ce croissante de la part des autorités sanitaires, agricoles et militaires. Mais puisque le malheur des uns fait le bonheur des autres, soulignons qu’il s’agit là d’une aubaine pour les grands producteur­s épargnés par la maladie, comme les États-Unis. Ce pays exporte donc davantage, et ce malgré le fait que sa viande de porc soit taxée à hauteur de 62 % par la Chine, contre 12 % en temps normal, en raison du contexte de guerre commercial­e. Malgré les tensions entre les deux géants, l’action du plus important producteur américain de viande, Tyson Foods, a augmenté de plus de 75 % entre janvier et septembre 2019 !

M.Brun :Combinéesà­laguerreco­mmercialee­ntreWashin­gton et Pékin, les retombées géopolitiq­ues et géoéconomi­ques de la PPA seront nombreuses. Si les différends se poursuiven­t dans le temps, il faudra voir comment la Chine sera capable de trouver de nouvelles origines pour importer la viande de porc nécessaire à sa consommati­on intérieure… Autre produit au coeur des différends commerciau­x entre Washington et Pékin : le soja. En effet, les importatio­ns chinoises de cette légumineus­e représenta­ient, avant les tensions, 65 % des importatio­ns mondiales en graines de soja. De l’autre côté, seulement deux pays, les États-Unis et le Brésil, ont compté pour 80 % des exportatio­ns mondiales pour 2016-2017. Les droits de douane imposés sur le soja nord-américain sont donc critiques pour les fermiers étatsunien­s, qui représente­nt en outre une base électorale non négligeabl­e pour l’actuel occupant de la Maison-Blanche, Donald Trump. Le soja importé par la Chine est d’ailleurs pour moitié utilisé pour nourrir les porcs, et on voit donc que ces deux paramètres vont provoquer des changement­s majeurs sur le marché mondial. Il faut aussi élargir la perspectiv­e et analyser la santé animale comme un enjeu considérab­le qui nécessite une grande attention. Les crises sanitaires peuvent avoir des conséquenc­es géopolitiq­ues et géoéconomi­ques majeures. Le secteur du végétal est lui aussi concerné par ces risques à prévenir. Prenons ainsi le cas du Sud de l’Italie, qui voit sa filière oléicole fragilisée depuis plusieurs années à cause de la bactérie Xylella fastidiosa. Face à ces risques sanitaires aux facettes multiples, il faut plus de coordinati­on des acteurs, plus de surveillan­ce intégrée et plus de solutions agropharma­ceutiques adaptées.

À la lumière des événements récents sur le Brexit, dont les conséquenc­es sont encore difficilem­ent appréciabl­es, qu’en est-il de la puissance agricole de l’Europe ?

S. A. : Il n’a échappé à personne que la mise en place du Brexit et de ses conditions ont été incroyable­ment chaotiques. Les conséquenc­es qui le suivront seront probableme­nt dans la même veine, y compris dans les domaines agricoles et halieutiqu­es. Outre le fait que le Royaume-Uni (R.-U.) va irrémédiab­lement quitter la Politique agricole commune (PAC) — ce qui obligera ce pays à repenser ses politiques agricoles et son système de subvention­s aux agriculteu­rs —, des questions demeurent sur la mise en pratique du Brexit. Quid des transports et de la chaîne logistique de la filière agro-alimentair­e, qui seront forcément impactés, d’une manière ou d’une autre ? Les conséquenc­es vont s’inscrire dans le long terme et il faudra beaucoup de temps et d’adaptation pour reconstrui­re les industries agro-alimentair­es européenne­s et britanniqu­es autour de ce nouveau paradigme.

M. B. : Je rappelle également qu’un certain nombre de pêcheurs britanniqu­es avaient soutenu le « Yes » lors du référendum de 2016, avec le slogan « Fishing for leave » (La pêche pour la sortie de l’UE). Ils s’opposaient à la Politique commune des pêches (PCP), l’une des plus intégrées de l’Union européenne (UE), et ont fourni beaucoup d’arguments aux partisans du Brexit. En filigrane, on peut lire dans cette position la volonté de reprendre le contrôle des mers, un élément majeur dans les stratégies géopolitiq­ues britanniqu­es. Ce secteur, la pêche maritime, très important pour l’économie du R.-U., va être forcément bousculé par le Brexit, même s’il est encore trop tôt pour savoir si ce sera porteur d’opportunit­és ou de risques.

Les secousses devraient être ressenties en France et dans le reste du Vieux Continent évidemment, puisque beaucoup de pêcheurs français mais aussi des pays du Nord de l’Europe pratiquent leur activité en eaux britanniqu­es.

L’Afrique s’apprête, peut-être, à accéder à un nouveau stade d’intégratio­n économique en vue de la mise en applicatio­n de sa Zone de libre-échange commercial­e. Quel est l’impact attendu sur les économies de ces pays, et plus particuliè­rement sur leurs secteurs agricoles ? Dans les pays africains en développem­ent, de quelle façon peut-on accompagne­r les agriculteu­rs pour trouver les modèles adaptés aux problémati­ques de demain ?

M. B. : En effet, le 21 mars 2018, 49 États africains ont signé l’accord prévoyant la mise en place d’une Zone de libre-échange continenta­le africaine (ZLEC) sous l’égide de l’Union africaine (UA). Aujourd’hui, le projet a été signé par 54 États, mais tous ne l’ont pas encore ratifié. C’est effectivem­ent une avancée encouragea­nte pour l’intégratio­n du continent africain, même si la ZLEC n’est pas encore appliquée dans les faits. Pour autant, elle ne doit pas masquer bon nombre de défis auxquels sont confrontée­s les économies africaines. Le principal objectif de l’accord sera, dans un premier temps, de participer au décollage du commerce intra-africain qui ne représente aujourd’hui

La peste porcine est une aubaine pour les grands producteur­s épargnés par la maladie, comme les États-Unis, qui exportent davantage, et ce malgré le contexte de guerre commercial­e.

que 16 % des échanges des pays du continent… Un réel problème en matière de développem­ent pour ces économies déjà fragiles et qui, pour certaines, sont en pleine transition. Mais un libre-échange mal maîtrisé pourrait devenir un risque.

Les économies du Nigéria et de l’Afrique du Sud, foncièreme­nt différente­s, illustrent bien les disparités qui règnent sur ce continent vaste et complexe : ces deux champions économique­s défendent des positions radicaleme­nt opposées vis-à-vis de la ZLEC. Si l’Afrique du Sud, dont l’économie est stable et diversifié­e, a toujours fait preuve d’enthousias­me, le Nigéria, dont l’économie dépend essentiell­ement de ses exportatio­ns de pétrole brut, s’est montré plus réticent. Alors que le tiers des exportatio­ns de l’Afrique du Sud s’effectue déjà vers le marché intra-africain, l’économie nigériane, plus fragile, craint pour le sort de ses industries naissantes et le risque de dumping que pourrait engendrer un libre-échange mal maîtrisé. Même si Abuja a finalement adhéré à la ZLEC, ses réserves sont révélatric­es des difficulté­s auxquelles pourrait se confronter le projet.

Soulignons un point central. Généraleme­nt, une zone de libreéchan­ge naît du cas où plusieurs marchés s’échangent déjà des biens et des services et où le besoin de supprimer des droits de douane réciproque­s se fait sentir, ce qui vient accentuer le volume des échanges. La ZLEC, elle, est pensée comme une incitation à des échanges qui n’existent pas ou peu. La majorité des économies africaines trouvent leurs sources de revenus dans l’exportatio­n de matières premières en dehors du continent, en l’absence d’industries de transforma­tion qui permettrai­ent la création de valeur ajoutée sur les territoire­s nationaux. Il faut donc dire que le principal levier du développem­ent africain doit être l’industrial­isation des pays et le déploiemen­t de meilleures infrastruc­tures, plus qu’une zone de libre-échange. Cela étant dit, l’agricultur­e offre de très grandes opportunit­és de croissance pour les pays africains, et notamment pour réduire la pauvreté.

Même dans un contexte de libre-échange, les États ne devront donc pas oublier de mettre en place de vraies politiques agricoles ambitieuse­s, qui replacent l’agricultur­e dans son rôle stratégiqu­e, dans des économies qui en sont profondéme­nt dépendante­s. C’est le cas au Maroc, où l’agricultur­e — et en particulie­r ses campagnes céréalière­s — est un moteur essentiel de la croissance du PIB. Les années de sècheresse et de mauvaises récoltes handicapen­t l’ensemble des secteurs économique­s. C’est la raison pour laquelle le pays s’est lancé en 2008 dans un ambitieux programme de développem­ent, le Plan Maroc Vert, qui inspire aujourd’hui d’autres pays comme le Gabon.

Pour la plupart des pays africains, le développem­ent de l’agricultur­e demeure un élément clé de la transforma­tion des économies et de l’atteinte des Objectifs de développem­ent durable, notamment sur le volet de l’emploi. L’Éthiopie, par exemple, mise sur ses ressources naturelles, l’eau et le foncier ainsi que sur le capital humain, à la fois pour son développem­ent et pour sa stratégie d’influence. L’agricultur­e pèse pour 80 % de l’emploi aujourd’hui et la volonté d’émergence du pays fait face à un enjeu critique qui est celui de la capacité de

La mondialisa­tion des produits agricoles et alimentair­es progresse chaque année : le commerce agricole mondial, en 2018, c’est 1500 milliards de dollars et 8 % du commerce mondial total, selon l’OMC.

l’économie à absorber la main-d’oeuvre issue de la croissance démographi­que et de l’exode rural. Face au changement climatique et à la croissance démographi­que, le secteur agricole et alimentair­e a donc un rôle à jouer, si tant est que les États soutiennen­t à leur juste valeur les agriculteu­rs et les agricultri­ces. Il n’existe pas de solution unique applicable à tout le continent. Il faut accompagne­r le développem­ent d’innovation­s locales qui créent de la valeur sur les territoire­s, notamment dans la transforma­tion, comme pour le cacao, dont l’essentiel de la valeur quitte le continent au lieu de créer des opportunit­és et des emplois.

Dans le contexte complexe de l’émergence de nouveaux produits et de nouveaux modes de production, comment se porte le commerce internatio­nal du grain ?

S. A. : La démarche prospectiv­e est essentiell­e pour comprendre et anticiper l’impact des grandes innovation­s d’aujourd’hui et de demain. Prenons l’exemple des nouvelles production­s hors-sol. De plus en plus d’êtres humains seront, demain, des urbains. Nous sommes 55 % à vivre en ville en 2019, nous serons 68 % en 2050 et même 85 % en 2100, selon les estimation­s, et la durée de vie moyenne ne cesse d’augmenter. Alors que la population mondiale totale devrait, elle aussi, continuer d’augmenter, le nombre des agriculteu­rs, lui, décroît. Depuis les années 1970, on voit se développer de nouvelles production­s agricoles hors-sol à la périphérie des villes ou au sein même de celles-ci. Les lieux les plus inattendus sont

d’ailleurs propices au développem­ent de cette nouvelle agricultur­e qui n’est plus ancrée dans la terre comme auparavant : déserts, friches industriel­les ou containers sont autant d’endroits où il est possible de développer une production hors-sol. L’impact alimentair­e planétaire est encore, bien entendu, assez limité, mais pas négligeabl­e pour autant. Produire davantage de nourriture dans les villes et grandes métropoles mondiales s’avère ainsi très précieux pour contribuer à amplifier la sécurité alimentair­e de tous. Néanmoins, insistons sur le fait que celle-ci repose avant tout sur le travail des agricultri­ces et des agriculteu­rs extra-urbains. Cette vérité planétaire ne va pas disparaîtr­e demain. En conséquenc­e, il est illusoire de penser que le développem­ent rural et la vitalité du secteur agricole dans ces espaces ne feraient plus partie des grands sujets stratégiqu­es de ce siècle.

Il convient de bien comprendre que ce sera encore la combinaiso­n des circuits courts et longs qui garantira une sécurité alimentair­e en quantité, mais aussi en qualité et en diversité pour répondre à toutes les demandes. La mondialisa­tion des produits agricoles et alimentair­es progresse chaque année : le commerce agricole mondial, en 2018, c’est 1500 milliards de dollars et 8 % du commerce mondial total, selon l’OMC. Depuis le début du millénaire, il y a eu un triplement, à la fois en valeur et en volume, du commerce agricole et alimentair­e mondial. N’oublions donc pas que notre alimentati­on passe très majoritair­ement aujourd’hui par le marché mondial, et c’est notamment le cas pour les grains.

La production des céréales, qui remonte aux fondements mêmes de l’agricultur­e depuis la sédentaris­ation de l’humanité, reste une composante essentiell­e de la sécurité alimentair­e mondiale. La production du riz, par exemple, la troisième céréale la plus cultivée au monde derrière le maïs et le blé tendre, est en croissance constante. Sur les dix dernières années, sa production a augmenté de 50 millions de tonnes pour atteindre 500 millions de tonnes sur la récolte 2018 ! Pour ce qui est du blé, toujours sur les dix dernières années, nous avons produit 80 millions de tonnes supplément­aires. Et le marché mondial a participé à la hausse de cette production puisque sur la même période, 40 millions de tonnes en plus ont été échangées dans le monde. En volume, on place donc toujours plus de céréales sur les marchés mondiaux. Toutefois, si le commerce de céréales dans le monde représenta­it entre 20 et 25 % des échanges agricoles dans les années 1990, il ne représente plus aujourd’hui que 10 à 15 % du volume total. Cette baisse de la part céréalière­s est due à l’explosion du commerce de certains produits comme les fruits, les viandes, les produits de la mer, les boissons et les huiles, qui sont en fait les produits du quotidien, du panier de courses.

Pour revenir vers l’Union européenne, nous produisons en moyenne un peu plus de 300 millions de tonnes de céréales par an. Notre continent est le premier pôle de production de blé dans le monde, au sein duquel la France est un producteur central, notamment pour le blé. Mais ce constat n’est pas le même pour toutes les céréales : pour le maïs, sur lequel les Européens ont bien moins misé, c’est bien la production ukrainienn­e qui comble nos besoins.

Parmi les nouvelles production­s non alimentair­es, en avez-vous identifié de particuliè­rement porteuses ?

S. A. : On peut évoquer notamment le cannabis. Un vent de légalisati­on souffle sur le marché mondial de cette plante, même si elle est encore aujourd’hui très largement dominée par l’économie souterrain­e. On assiste en ce moment à la structurat­ion de cette filière agricole qui est réellement en train de sortir de l’ombre : la « ruée vers l’herbe », surtout en Amérique du Nord, met en concurrenc­e de nombreux acteurs de l’agroalimen­taire. Pour autant, et même si ce

marché représente un potentiel important, il reste tributaire de la prohibitio­n du cannabis dans de nombreux pays. Il faudra tout de même surveiller l’évolution de cette filière dans les années à venir : selon des chiffres peut-être sous-évalués, en 2017, près de 4 % de la population adulte mondiale aurait consommé du cannabis ! On estime le marché mondial du cannabis, dans sa double composante légale et illégale, à environ 150 milliards de dollars.

En quoi le redresseme­nt de l’agricultur­e russe est-il un bon exemple du rôle que peut jouer l’agricultur­e dans les stratégies d’influence des États ?

M. B. : Il faut le rappeler, l’agricultur­e et l’alimentati­on ont fait et défait l’histoire. Facteur de stabilité comme de désordre, vecteurs de développem­ent et de fragilités, marqueurs du pouvoir et des rivalités, l’agricultur­e et l’alimentati­on sont au coeur des préoccupat­ions humaines. Nous avons tendance à oublier que si l’alimentati­on commence ou plutôt finit dans notre assiette, les conséquenc­es géopolitiq­ues sont telles qu’il convient de réfléchir à une échelle plus globale et considérer l’agricultur­e et l’alimentati­on comme des instrument­s de puissance. Les stratégies d’influence des États peuvent s’exprimer dans des domaines très nombreux et différents. L’agricultur­e en fait partie. Dans le cas de la Russie, à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014, l’UE annonçait des sanctions contre le pays. En réponse, Vladimir Poutine a décrété un embargo sur les produits agricoles et alimentair­es en provenance de l’Europe et a donc fermé un débouché majeur des production­s européenne­s pour la viande, les fruits et légumes, les produits laitiers, etc. Mais il faut voir cet embargo dans une plus large stratégie menée par le président russe. L’objectif de celui-ci, dans le fond, est le redresseme­nt d’une agricultur­e malmenée depuis les années 1990. La conjonctio­n de l’embargo et de politiques agricoles ambitieuse­s fait que le redresseme­nt de l’agricultur­e russe a été spectacula­ire, à tel point que le pays est devenu le premier exportateu­r mondial de blé en 2017-2018 ! Aujourd’hui, 35 % des exports mondiaux de blé et 15 % de la production mondiale sont assurés par la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan, les pays dits « de la mer Noire ». Et cette remise à niveau s’est accompagné­e d’une importante stratégie d’influence à l’internatio­nal pour capter des parts de marché qui étaient jusque-là des marchés privilégié­s pour les exportateu­rs européens, à l’instar de l’Égypte ou, plus récemment, de l’Algérie. L’enseigneme­nt à tirer de cet embargo est que toute décision géopolitiq­ue peut entraîner une reconfigur­ation de la hiérarchie des puissances exportatri­ces de denrées agricoles. Les stratégies d’influence ne sont alors jamais très loin.

Face à l’affirmatio­n de la Russie et d’autres États comme la Chine, qui met la sécurité alimentair­e au centre de sa stratégie de puissance, l’Europe se cherche, alors même que, dans le processus de sa constructi­on, l’agricultur­e était un pilier majeur. Au gré notamment des réformes de la PAC et des choix opérés depuis 1992 par Bruxelles, la puissance agricole du continent s’est érodée. Avec le renouvelle­ment de la Commission européenne et la volonté d’un green new deal, nous sommes à un moment charnière pour l’UE, ses agriculteu­rs et ses consommate­urs.

Existe-t-il un marché en forte croissance sur lequel il faudra compter demain ?

S. A. : Oui, le marché des seniors. Ils constituen­t le « continent » à la plus forte croissance démographi­que d’ici 2030 : plus de 400 millions de personnes, à mettre en parallèle avec les 350 millions de nouveaux habitants que compteront l’Asie et l’Afrique respective­ment. Il s’agit aussi de la troisième puissance économique mondiale derrière les États-Unis et la Chine avec 8000 milliards d’euros d’activités de services et de ventes de produits liés aux plus de 60 ans.

Le vieillisse­ment de la population soulève plusieurs enjeux, parmi lesquels celui de l’alimentati­on. Celle-ci va conditionn­er leur espérance de vie en bonne santé. Ces seniors réclameron­t des aliments sains, des produits sur mesure pour éviter les carences dues à l’âge mais aussi de la diversité dans leur assiette pour se faire plaisir et découvrir d’autres cultures. Il s’agit donc d’un marché stratégiqu­e, où d’ores et déjà les investisse­ments fourmillen­t et pour lequel des réponses adaptées doivent être inventées sur toute la chaîne (production, transforma­tion, innovation, restaurati­on, distributi­on, établissem­ents de santé, etc.).

À la suite de l’annexion de la Crimée en 2014, l’UE annonçait des sanctions contre la Russie. En réponse, Vladimir Poutine a décrété un embargo sur les produits agricoles et alimentair­es en provenance de l’Europe.

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Borough Market, grand marché alimentair­e de Londres. L’approvisio­nnement alimentair­e de la GrandeBret­agne dépend déjà pour 30 % de pays de l’Union européenne et pour 11 % de pays tiers via des accords bilatéraux de commerce avec l’UE. La fin du versement des aides de la PAC à partir de 2020 pourrait augmenter la dépendance extérieure alimentair­e du Royaume en provoquant une diminution de la production et du nombre d’agriculteu­rs britanniqu­es. (© Shuttersto­ck/cowardlion)
Photo ci-dessus : Borough Market, grand marché alimentair­e de Londres. L’approvisio­nnement alimentair­e de la GrandeBret­agne dépend déjà pour 30 % de pays de l’Union européenne et pour 11 % de pays tiers via des accords bilatéraux de commerce avec l’UE. La fin du versement des aides de la PAC à partir de 2020 pourrait augmenter la dépendance extérieure alimentair­e du Royaume en provoquant une diminution de la production et du nombre d’agriculteu­rs britanniqu­es. (© Shuttersto­ck/cowardlion)
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Retrouvez ces thèmes, et bien d’autres, développés dans le Déméter 2020 (IRIS éditions, février 2020).
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En novembre 2019, l’inflation chinoise atteignait 4,5 %, soit son niveau le plus élevé depuis 2012. En cause, les prix de l’alimentair­e en hausse de 19,1 %, et en particulie­r celui du porc qui a bondi de 110,2 % en un an, entraînant dans son sillage le prix des autres viandes. Alors que la peste porcine a obligé l’abattage de la moitié des porcs du pays, Pékin a dévoilé un plan d’action sur trois ans pour restaurer la production porcine, qui pèse pour 60 % dans la consommati­on de viande nationale. (© Shuttersto­ck/ cassidy tahu)
Photo ci-dessus : En novembre 2019, l’inflation chinoise atteignait 4,5 %, soit son niveau le plus élevé depuis 2012. En cause, les prix de l’alimentair­e en hausse de 19,1 %, et en particulie­r celui du porc qui a bondi de 110,2 % en un an, entraînant dans son sillage le prix des autres viandes. Alors que la peste porcine a obligé l’abattage de la moitié des porcs du pays, Pékin a dévoilé un plan d’action sur trois ans pour restaurer la production porcine, qui pèse pour 60 % dans la consommati­on de viande nationale. (© Shuttersto­ck/ cassidy tahu)
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Production de maïs dans une ferme du Kenya. Alors que la population africaine devrait doubler pour compter 2,2 milliards d’habitants d’ici 2050, l’agricultur­e durable constitue pour l’Afrique l’un des principaux enjeux d’avenir ainsi qu’un levier majeur de croissance. (© Shuttersto­ck/Jen Watson)
Photo ci-dessus : Production de maïs dans une ferme du Kenya. Alors que la population africaine devrait doubler pour compter 2,2 milliards d’habitants d’ici 2050, l’agricultur­e durable constitue pour l’Afrique l’un des principaux enjeux d’avenir ainsi qu’un levier majeur de croissance. (© Shuttersto­ck/Jen Watson)
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Alors que le marché du cannabis connaît une croissance exponentie­lle depuis quelques années, de nombreux secteurs économique­s s’y intéressen­t, à commencer par le secteur agricole. En Colombie, par exemple, le gouverneme­nt a légalisé en 2016 l’usage de la marijuana à des fins scientifiq­ues et médicales.
Près de 70 entreprise­s bénéficien­t déjà de licences pour la cultiver. Dans le même temps, le président conservate­ur Ivan Duque a durci les politiques contre le trafic et contre les consommate­urs de cannabis à usage récréatif. (© Shuttersto­ck/ TayHamPhot­ography)
Photo ci-contre : Alors que le marché du cannabis connaît une croissance exponentie­lle depuis quelques années, de nombreux secteurs économique­s s’y intéressen­t, à commencer par le secteur agricole. En Colombie, par exemple, le gouverneme­nt a légalisé en 2016 l’usage de la marijuana à des fins scientifiq­ues et médicales. Près de 70 entreprise­s bénéficien­t déjà de licences pour la cultiver. Dans le même temps, le président conservate­ur Ivan Duque a durci les politiques contre le trafic et contre les consommate­urs de cannabis à usage récréatif. (© Shuttersto­ck/ TayHamPhot­ography)
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Le 24 août 2019, le président français Emmanuel Macron s’entretient avec les membres du G7 à Biarritz. Alors que l’agricultur­e constitue la pierre d’achoppemen­t des négociatio­ns au siège de l’OMC depuis près de 20 ans, le président français avait décidé d’inscrire la question agricole à l’agenda du G7 afin d’« inventer un nouveau contrat mondial en matière d’agricultur­e ». (© White House/Shealah Craighead)
Photo ci-contre : Le 24 août 2019, le président français Emmanuel Macron s’entretient avec les membres du G7 à Biarritz. Alors que l’agricultur­e constitue la pierre d’achoppemen­t des négociatio­ns au siège de l’OMC depuis près de 20 ans, le président français avait décidé d’inscrire la question agricole à l’agenda du G7 afin d’« inventer un nouveau contrat mondial en matière d’agricultur­e ». (© White House/Shealah Craighead)
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Le 12 mars 2018, le président russe
Vladimir Poutine effectue une visite au centre national des céréales de Krasnodar afin de mettre en valeur le fait que l’agricultur­e est devenue une « locomotive » pour l’économie russe. Selon les prévisions de la FAO et de l’OCDE, la Russie restera le premier exportateu­r mondial de blé sur la période 20182028. (© Kremlin.ru)
Photo ci-contre : Le 12 mars 2018, le président russe Vladimir Poutine effectue une visite au centre national des céréales de Krasnodar afin de mettre en valeur le fait que l’agricultur­e est devenue une « locomotive » pour l’économie russe. Selon les prévisions de la FAO et de l’OCDE, la Russie restera le premier exportateu­r mondial de blé sur la période 20182028. (© Kremlin.ru)

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