– FOCUS Pourquoi l’UE s’est convertie aux ALE
À peu près inexistants dans la période du GATT courant depuis l’immédiat après-guerre jusqu’à la création de l’OMC en 1994, les accords de libre-échange (ALE) sont depuis vingt ans l’un des plus puissants moteurs — sinon le plus puissant — de la mondialisation. En septembre 2019, 291 accords commerciaux régionaux de libreéchange étaient actifs, couvrant toutes les régions du monde. Environ la moitié ne couvre que les biens. Une autre moitié couvre les biens et services.
L’Espace économique européen (Union européenne et Association européenne de libre-échange – AELE, incluant l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège et la
Suisse) est aujourd’hui partie prenante de 67 ALE, si l’on exclut les accords internes (élargissements, territoires d’outre-mer). Cette liste contient cependant quelques doublons, l’UE et l’AELE signant dans un certain nombre de cas les mêmes accords à quelques mois près. Si l’on s’en tient à l’Europe politique, et donc à l’Union européenne, le nombre d’ALE en vigueur avec des pays extérieurs à l’espace économique européen s’établit en septembre 2019 à 37.
Les ALE et la construction européenne
Rapporté à son PIB, ce chiffre n’est en réalité pas très élevé quand on le compare à celui d’autres blocs régionaux. Selon les données de l’OMC, le champion des ALE reste l’Asie orientale (86), suivie par l’Amérique du Sud (61), la Communauté des États indépendants (46), l’Amérique du Nord (42), l’Amérique centrale
(40). L’UE devance tout juste l’Afrique (34). En queue de classement, on trouve le Moyen-Orient, l’Océanie, et l’Asie occidentale (entre 22 et 29) puis les Caraïbes (9). Ce qui ressort de cette arithmétique très simple est que, contrairement à la présentation qu’en fait l’OMC, où il apparaît que l’Europe est le champion toutes catégories des ALE (avec le chiffre de 99 accords en vigueur depuis les tout premiers temps de la construction européenne), l’UE est une puissance commerciale dont l’engagement bilatéral reste minoritaire au regard des efforts consentis pour développer le commerce à l’intérieur de l’espace européen. Ceci n’est pas contradictoire avec le fait que l’UE se projette aujourd’hui comme un des acteurs les plus dynamiques et engagés dans la négociation d’ALE. L’histoire de la conversion de l’UE aux ALE (hors ALE intraeuropéens, insistons sur ce point) est indissociable d’une autre histoire : celle de la construction européenne. De 1995 à 2004, son agenda politique ne lui permet pas de se lancer dans des négociations commerciales bilatérales. Son calendrier commercial bilatéral est alors donné pour l’essentiel par l’élargissement à dix nouveaux pays, portant l’UE à vingt-cinq membres en mai 2004. La transformation de la relation avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), et la signature du programme d’Accords de partenariat économique (APE) réciproques avec ceux-ci, est l’exception qui confirme la règle de priorité donnée à l’élargissement.
En plus du peu de temps matériel laissé à la négociation d’accords commerciaux bilatéraux, l’élargissement de l’UE de 15 à 25 pays en tout juste dix ans a eu cet effet de renforcer le besoin des institutions européennes de se construire une existence morale. Les entretiens menés à l’époque au sein de la Direction générale (DG) Commerce montrent le souci de la Commission de ne pas apparaître comme une entité bureaucratique, sans vision et sans âme, et de répondre aux attentes d’une société civile dont on découvre depuis la conférence ministérielle de l’OMC à Seattle (1999) la virulence et la capacité de conviction auprès de l’opinion. La mise en place systématique d’études d’impact sur le développement durable ( trade sustainability impact assessment) et les rencontres régulières à Bruxelles avec les membres de la société civile accréditée, témoignent de cet effort de l’UE, constant durant le mandat de Pascal Lamy (1999-2004), de faire de la DG Commerce une enceinte produisant à la fois des accords et du sens. Lequel ? Le fait que le propre du commerce est de porter à la paix, clef de voûte et raison d’être de la construction européenne.
L’état du calendrier et des négociations de l’UE
Le calendrier bilatéral de l’UE en matière commerciale est rythmé par la négociation et la signature de trois Photo ci-dessus : Le 1er février 2019, le traité de libre-échange entre l’UE et le Japon entrait en vigueur, prévoyant notamment la suppression de droits de douanes sur les vins, les fromages et la viande européenne et ouvrant à l’UE un marché de 127 millions de consommateurs qui représentait déjà, avant ce traité, le quatrième marché de l’UE pour les exportations agricoles. (© Shutterstock/Alexandros Michailidis) types d’accords. Les unions douanières (libre commerce bilatéral à l’abri d’un tarif extérieur commun) ; les accords d’association, de stabilisation et d’association (ASA), les accords de libre-échange (ALE) et de partenariat économique (APE), qui visent à réduire les barrières au commerce entre participants (sans nécessairement les supprimer) ; et les accords de coopération et de partenariat, qui sont des accordscadres dépourvus de dispositions touchant aux barrières douanières. Nous nous intéressons ici à la seconde catégorie, qui réunit l’essentiel des initiatives en cours de l’Union européenne.
Les ALE et les APE en cours de négociation par l’UE touchent tous les continents. Ils sont d’ampleur et d’ambition diverses. Ainsi l’accord entre l’UE et les ÉtatsUnis (qui vise pour l’essentiel à la réduction de droits de douane sur certains produits industriels) de 2018 peut-il être qualifié de restreint, quand le CETA (UE-Canada, partiellement en vigueur depuis septembre 2017) est décrit comme un accord complet ( comprehensive), réunissant dans un même cadre les dispositions touchant au commerce des biens, des services, la propriété intellectuelle (incluses les appellations protégées), les marchés publics et l’investissement. Ce dernier type d’accord est qualifié pour cette raison d’« accord de nouvelle génération » — la première se concentrant sur la réduction des obstacles tarifaires au commerce des biens et éventuellement des services. Les accords de nouvelle génération tendent également vers une convergence ou une harmonisation des normes, qu’elles soient sanitaires, sociales, techniques ou environnementales.