Diplomatie

Ouzbékista­n : le coeur de l’Asie centrale en pleine transition

- Propos recueillis par Nathalie Vergeron, le 18 décembre 2019

Depuis la mort d’Islam Karimov — qui avait dirigé l’Ouzbékista­n de la fin de la période soviétique jusqu’à la date officielle de son décès, le 2 septembre 2016 —, son successeur, Chavkat Mirziyoev, a entrepris un certain nombre de réformes politiques, économique­s et sociétales. Trois ans après, quelle est l’ampleur des changement­s réalisés ?

J. Thorez : Le pays connaît effectivem­ent, depuis l’accession au pouvoir de Chavkat Mirziyoev, en 2016, d’importante­s transforma­tions qui, schématiqu­ement, répondent à une volonté de libéralisa­tion, aussi bien politique qu’économique. Des réformes ont été lancées à un rythme soutenu, au point d’épuiser l’administra­tion d’État, par celui qui, avant d’être élu Président, a été Premier ministre d’Islam Karimov sur une très longue période, de 2003 à 2016. Il est vrai que, dans les administra­tions, la réflexion sur les réformes nécessaire­s au pays avait déjà été entamée à la fin de la période Karimov. Au sein de la classe politique, beaucoup étaient conscients de la nécessité de donner une forme de respiratio­n à la société, d’alléger la pression que faisaient porter sur elle l’État et ses représenta­nts divers, et de chercher des solutions aux difficulté­s économique­s du pays. Ces réformes produisent un nouveau climat dans le pays. Prenons une mesure emblématiq­ue : l’instaurati­on de la libre convertibi­lité de la devise nationale, le soum, qui était jusqu’alors soumis à un contrôle strict du change, avec un cours officiel fixé par les autorités, et un cours officieux, au bazar, nettement plus élevé — un énorme marché ayant à l’époque la réputation d’être contrôlé par les services de sécurité. Cette mesure a rendu plus facile la vie quotidienn­e, en même temps qu’elle a favorisé l’activité économique, notamment celle des investisse­urs étrangers, et réduit l’influence des réseaux liés aux organes de sécurité.

Pour caractéris­er ces changement­s, certains analystes emploient le terme de « perestroïk­a », mais je ne sais pas si c’est le plus approprié, même si les transforma­tions s’opèrent sans changement de système.

Quel bilan peut-on tirer des premières réformes économique­s ? Ont-elles été accompagné­es de réformes sociales ? À bien des égards, il est encore trop tôt pour tirer un bilan des réformes. Cela dit, il est incontesta­ble que le climat

économique et social a beaucoup changé et que la majorité de la population soutient les nouvelles orientatio­ns du pouvoir. Par exemple, l’Ouzbékista­n a engagé une politique de modernisat­ion de son agricultur­e (1), qui vise notamment à étendre le recours aux machines, à accroître la taille des exploitati­ons, à améliorer l’efficacité des chaînes logistique­s, à ouvrir ce secteur à des acteurs étrangers et à réduire la place de l’État. Celui-ci souhaite également promouvoir la production et l’exportatio­n des fruits et légumes, alors que les production­s de coton et de céréales étaient jusqu’ici privilégié­es. Dans ce pays, où près de la moitié de la population est officielle­ment rurale, avec parmi celle-ci une grande majorité d’agriculteu­rs, cette politique est un défi majeur pour l’ensemble de la société. Mais pour l’instant, il est encore difficile de savoir quelles seront les conséquenc­es de ces mesures et si l’économie nationale pourra absorber ce surplus de main-d’oeuvre dégagé de l’agricultur­e, alors même que l’Ouzbékista­n est déjà un pays d’émigration avec officielle­ment, selon le ministère du Travail ouzbékista­nais, un peu plus de 2,6 millions de ressortiss­ants travaillan­t à l’étranger.

Depuis le tournant des années 2000, le pays nourrit en effet des migrations de travail saisonnièr­es, temporaire­s ou un peu plus durables, qui sont essentiell­ement polarisées par la Russie et, secondaire­ment, par le Kazakhstan, mais sont également dirigées vers l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord, ainsi que vers la Corée du Sud, la Turquie ou les pays du Golfe. Notons que si la part des transferts d’argent de ces migrants dans la richesse nationale (environ 10 à 15 %) n’atteint pas les mêmes niveaux qu’au Kirghizsta­n ou au Tadjikista­n voisin (où ils représente­nt presque 50 % du PIB), ces transferts sont évidemment essentiels à l’économie des familles.

Le début des réformes économique­s a provoqué un boom de la constructi­on dans le pays — ce secteur représenta­it 59 % des investisse­ments en 2018, soit 3,1 milliards de dollars, selon le Comité national des statistiqu­es. Paradoxale­ment, ce phénomène, qui semble surtout bénéficier aux élites locales, au détriment des population­s, n’est-il pas le symbole de la persistanc­e des maux de l’ère Karimov (corruption, autoritari­sme, inégalités…) ?

L’essor de la constructi­on est assez spectacula­ire en effet, notamment dans les villes, et en particulie­r à Tachkent, la capitale. La mise en oeuvre de ces projets immobilier­s se fait souvent au détriment d’anciennes maisons, d’anciens immeubles, voire d’anciens quartiers pour les plus importants d’entre eux. De ce fait, malgré des compensati­ons, il est fréquent que ces opérations immobilièr­es suscitent un réel mécontente­ment parmi les habitants directemen­t concernés — même si, comme je le disais précédemme­nt, le Président bénéficie d’une forte popularité.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais le processus s’est intensifié à la faveur des réformes. Le projet le plus emblématiq­ue — Tashkent City —, qui est mis en oeuvre au coeur de la capitale sur plusieurs dizaines d’hectares, a été officielle­ment lancé par Chavkat Mirziyoev en 2016. Le nouveau maire de Tachkent, l’homme d’affaires Djakhongir Artykkhodj­aev, arrivé à la tête de la ville en avril 2018, est également directemen­t impliqué dans cet aménagemen­t, en tant que hokim [ ouzb. maire], ancien administra­teur de la société d’aménagemen­t qui développe le projet et entreprene­ur. Des médias indépendan­ts, dont l’activité a bénéficié d’une certaine libéralisa­tion après l’arrivée au pouvoir du nouveau président, se sont émus de cette situation, occasionna­nt des tensions avec le maire.

Comme dans d’autres pays de la région (Kazakhstan, Tadjikista­n), ces programmes posent la question de la conservati­on du patrimoine architectu­ral et urbain. Il faut d’ailleurs l’envisager dans une perspectiv­e large, en incluant non seulement les vieux quartiers des villes centrasiat­iques historique­s avec leurs maisons de terre crue et leurs ruelles étroites, comme au centre de Boukhara ou de Tachkent, mais également des quartiers plus récents des périodes tsariste et soviétique.

Parmi les nouveaux projets en Ouzbékista­n, Orano (exAreva) a annoncé en septembre 2019 la création avec Tachkent d’une co-entreprise pour explorer de nouveaux gisements d’uranium. Plus généraleme­nt, d’où viennent les investisse­ments étrangers et quels secteurs économique­s privilégie­nt-ils ? Comment la France se positionne-t-elle dans ce pays ?

Après une longue période pendant laquelle le pays a privilégié un mode de développem­ent autocentré, l’Ouzbékista­n est aujourd’hui plus enclin à développer les coopératio­ns avec

II est incontesta­ble que le climat économique et social a beaucoup changé et que la majorité de la population soutient les nouvelles orientatio­ns du pouvoir.

des acteurs étrangers, tout en diversifia­nt ses partenaire­s. Des entreprise­s russes, chinoises, coréennes, mais aussi turques, européenne­s ou originaire­s du Golfe, ont signé des accords avec des entreprise­s ouzbèkes, notamment dans les secteurs des hydrocarbu­res, du textile ou, plus récemment, du commerce et des services. Pour les entreprise­s françaises, on peut citer par exemple la signature d’un accord avec Peugeot concernant le développem­ent d’une usine, mais qui n’a finalement pas débouché sur la réalisatio­n concrète d’une chaîne de production en Ouzbékista­n. Outre Orano, qui s’intéresse aux ressources du sous-sol — mais qui est surtout très présent au Kazakhstan voisin, premier producteur mondial d’uranium —, Carrefour, associé à une société émiratie, a également annoncé qu’il ouvrirait des établissem­ents dans le pays, en particulie­r à Tachkent. Des partenaria­ts sont aussi envisagés dans le domaine de la production énergétiqu­e.

L’Ouzbékista­n, pays le plus peuplé de la région et connaissan­t toujours une croissance démographi­que relativeme­nt forte, est aussi très touché par le réchauffem­ent climatique, qui s’y manifeste notamment par des périodes de canicule de plus en plus importante­s. Quelle est l’orientatio­n du nouveau pouvoir sur les questions environnem­entales ?

L’Ouzbékista­n est confronté à différents problèmes environnem­entaux. Le plus connu est l’assèchemen­t de l’Aral, processus entamé dans la seconde moitié du XXe siècle, lié aux aménagemen­ts hydrauliqu­es réalisés pendant la période soviétique et à l’augmentati­on rapide de la population et de la production agricole (coton, etc.). Dans les oasis du delta de l’Amou-Daria (Karakalpak­stan, Khorezm), le recul de l’Aral, qui

Après une longue période pendant laquelle le pays a privilégié un mode de développem­ent autocentré, l’Ouzbékista­n est aujourd’hui plus enclin à développer les coopératio­ns avec des acteurs étrangers, tout en diversifia­nt ses partenaire­s.

s’accompagne de pénuries d’eau, de pollutions de l’eau et de l’air, affecte l’économie et la population, notamment du point de vue sanitaire. Certains habitants quittent la région et s’apparenten­t à des réfugiés environnem­entaux. La prise de conscience des risques liés à l’assèchemen­t de l’Aral est ancienne, mais, pour différente­s raisons (techniques, géographiq­ues, politiques, etc.), il est difficile d’envisager un rétablisse­ment de ce lac dans ses contours initiaux. De surcroît, le réchauffem­ent climatique risque d’accélérer la fonte des glaciers du Tian-Chan et du Pamir, qui sont les châteaux d’eau de la région.

Pourtant, comme partout dans le monde, la question écologique est, au moins formelleme­nt, à l’agenda des autorités. Il existe ainsi des projets pour développer les énergies renouvelab­les, notamment l’énergie solaire, ainsi que la production d’électricit­é nucléaire. Par ailleurs, il faut noter que les élections législativ­es organisées en décembre 2019 ont vu la participat­ion d’un parti écologiste.

Dans ce pays musulman à plus de 90 %, Mirziyoev a qualifié de « tragédie » la politique anti-théiste de son prédécesse­ur (2) et desserré l’étau autour des pratiques religieuse­s. Comment analysez-vous cette rupture ? Rappelons tout d’abord que l’Ouzbékista­n est un pays laïc disposant d’une institutio­n héritée de la période soviétique, la Direction spirituell­e des musulmans d’Ouzbékista­n, qui administre et encadre l’islam dans le pays. Depuis l’accession au pouvoir de Ch. Mirziyoev, il y a incontesta­blement une évolution dans l’approche de la question religieuse qui est, de mon point de vue, davantage formelle que fondamenta­le. Les autorités continuent d’avoir comme objectif la lutte contre toutes les formes de radicalisa­tions religieuse­s et politiques. Elles s’opposent sans ambiguïté à l’islam politique et entendent soutenir un islam national face à des formes non centrasiat­iques d’islam qui seraient souvent liées aux réseaux internatio­naux du salafisme et du djihadisme. Mais elles sont désormais convaincue­s, d’une part, qu’une connaissan­ce solide de la religion est une parade contre la radicalisa­tion, et, d’autre part, que la libéralisa­tion des pratiques quotidienn­es liées à l’islam (prier à la mosquée les vendredis sans être inquiété, accomplir des pèlerinage­s locaux ou régionaux) devrait limiter les risques de « contagion » islamique radicale. De ce fait, on constate également dans ce domaine une certaine respiratio­n, qui contraste avec la période précédente.

Ainsi, l’Ouzbékista­n s’ouvre au marché internatio­nal du tourisme musulman, en favorisant la venue de touristes musulmans étrangers sur des hauts lieux de l’islam, comme le mausolée du fondateur de la confrérie soufie Naqshbandi­yya, Bahâ’uddin Naqshband, près de Boukhara, ou celui de l’imam al-Boukhâri, grand savant musulman du IXe siècle, près de Samarcande. Désormais, de très nombreux touristes d’Ouzbékista­n fréquenten­t également ces lieux de pèlerinage, avec le soutien des autorités.

Alors que l’Ouzbékista­n a vu des centaines de ses ressortiss­ants rejoindre

le Proche et le Moyen-Orient pour combattre au sein de forces djihadiste­s, et certains d’entre eux perpétrer des actes terroriste­s en Europe et en Amérique du Nord, et qu’en Afghanista­n, le Mouvement islamique d’Ouzbékista­n combat depuis les années 1990 aux côtés des talibans, le pays est-il confronté à une menace terroriste et quelle est sa politique dans ce domaine, aux échelles nationale, régionale et internatio­nale ?

Le pouvoir lutte sans réserve contre le terrorisme islamiste. La position de l’Ouzbékista­n est tout à fait claire de ce point de vue. Mais je veux insister sur le fait qu’il ne faut pas surestimer l’ampleur de « l’exportatio­n » des djihadiste­s d’Ouzbékista­n. Tout d’abord, sont souvent comptés dans ce groupe des Ouzbeks originaire­s d’autres pays (Kirghizsta­n, etc.). Ensuite, le nombre de ressortiss­ants d’Ouzbékista­n partis en Irak et en Syrie pour combattre dans les rangs des forces djihadiste­s rapporté au nombre de musulmans d’Ouzbékista­n, est beaucoup plus faible qu’en France ou en Belgique. Il convient donc d’être très prudent avec ce type de représenta­tions véhiculées par la presse.

Il ne faut pas non plus surestimer l’ampleur de la menace. L’Ouzbékista­n n’a pas connu d’attentat terroriste depuis plusieurs années. Certes, aucun pays ne peut se prévaloir d’être dépourvu de risque. Mais si des actions terroriste­s perpétrées par quelques centaines de combattant­s islamistes peuvent toucher l’État et créer un désordre certain, ces groupes ne paraissent pas en mesure de bouleverse­r son organisati­on politique ni de le faire tomber. Et ce, d’autant plus que l’Ouzbékista­n dispose d’un État fort qui peut s’appuyer sur des organes de sécurité fortement structurés. Par ailleurs, l’Ouzbékista­n coopère à la lutte antiterror­iste régionale au sein de l’Organisati­on de Coopératio­n de Shanghaï et d’autres organisati­ons multilatér­ales ou dispositif­s bilatéraux régionaux et internatio­naux. À bien des égards, on peut considérer que c’est au moment de l’indépendan­ce que l’islam politique a eu le plus de poids dans le pays, avant que l’État n’étouffe le phénomène sur son territoire.

Mirziyoev ayant mis un terme à la quasi-autarcie du pays, il a profondéme­nt bouleversé les relations de Tachkent avec ses voisins. Où en sont les différends qui minaient les relations interrégio­nales ? Quel rôle cet

À terme, ce nouvel état d’esprit pourrait permettre à l’Ouzbékista­n de retrouver une place centrale dans la région, et à Tachkent de redevenir la « capitale régionale » qu’elle était durant la période soviétique.

Ouzbékista­n plus ouvert peut-il tenir dans la région ?

C’est l’un des principaux changement­s politiques survenus depuis 2016. Rapidement après son accession au pouvoir, Chavkat Mirziyoev a pris la décision de modifier les relations qu’entretenai­t l’Ouzbékista­n avec ses voisins : Kazakhstan, Kirghizsta­n, Tadjikista­n et Turkménist­an. L’améliorati­on est incontesta­ble et d’autant plus importante que, dans la région, une partie très importante de la population réside dans des districts frontalier­s, qui avaient subi la fermeture des frontières engagée à la suite des indépendan­ces dans les différents États, dans le cadre d’une politique de contrôle des population­s mais surtout de constructi­on de l’État-nation, de ce que j’appelle « la constructi­on territoria­le de l’indépendan­ce ». Depuis l’accession au pouvoir du nouveau président, l’Ouzbékista­n a allégé les conditions de franchisse­ment des frontières : suppressio­n des visas pour venir du Tadjikista­n en Ouzbékista­n et réciproque­ment, ouverture de nouveaux postes frontières, réouvertur­e de liaisons aériennes, ferroviair­es, routières. Les vols entre Tachkent et Douchanbe, la capitale du Tadjikista­n, ont ainsi été rétablis, après avoir été interrompu­s en 1992.

Cette politique est favorablem­ent perçue par les population­s d’Ouzbékista­n comme des pays voisins parce que les familles peuvent de nouveau circuler d’un pays à un autre, se retrouver, se rendre sur des lieux saints… Elle s’accompagne d’un essor des échanges économique­s : ils ont doublé entre l’Ouzbékista­n et les pays de la région au cours des deux dernières années.

La nouvelle orientatio­n de la politique régionale de l’Ouzbékista­n a aussi permis une atténuatio­n des tensions qui existaient autour de certains projets. Par exemple, le pays ne s’oppose plus à la constructi­on du barrage de Rogoun, au

Tadjikista­n. Elle autorise également des initiative­s politiques régionales : c’est ainsi qu’un sommet a réuni tous les chefs d’États de l’Asie centrale, le 29 novembre 2019, à Tachkent. À terme, ce nouvel état d’esprit pourrait permettre à l’Ouzbékista­n de retrouver une place centrale dans la région, et à Tachkent de redevenir la « capitale régionale » qu’elle était durant la période soviétique, notamment pour le Sud de l’Asie centrale.

Quel est l’impact du projet chinois de Belt and Road Initiative (BRI) sur l’Ouzbékista­n, situé stratégiqu­ement sur les nouvelles routes de la soie, et quel a été le rôle de Pékin dans les reconnexio­ns régionales en cours ?

Contrairem­ent au Kirghizsta­n, au Tadjikista­n ou au Kazakhstan, l’Ouzbékista­n n’a pas de frontière commune avec la Chine. Cela noté, il faut comprendre que l’annonce de la nouvelle route de la soie par Xi Jinping en 2013 n’a pas constitué une rupture dans les relations entre la Chine et l’Asie centrale. La Chine est un acteur croissant dans la région depuis les indépendan­ces. Après une période de méfiance réciproque, des accords de coopératio­n politique et économique ont été signés entre Pékin et les différents pays de la zone, bien avant le lancement de la BRI. Il faut également relever que ce n’est pas par l’Ouzbékista­n que passent l’essentiel des nouveaux corridors de transport reliant la Chine à l’Europe, mais par le Kazakhstan. À l’été 2018, un seul train « BRI » traversait l’Ouzbékista­n, reliant la Chine à Mazar-e-Charif, en Afghanista­n, une fois par semaine, outre les convois destinés à des pays centrasiat­iques. Par contre, l’essor — réel — de la circulatio­n ferroviair­e entre la Chine et l’Europe s’opère en partie au détriment du transport vers les pays centrasiat­iques, en raison de la surcharge de transit sur les infrastruc­tures kazakhstan­aises.

Quant à un éventuel rôle de Pékin sur les reconnexio­ns régionales en cours, je crois qu’il est vraiment mineur. L’intégratio­n régionale, qui est reconnue comme la principale parade à l’enclavemen­t, est vraiment une affaire centrasiat­ique. Elle relève d’initiative­s locales car les États centrasiat­iques sont des acteurs à part entière de leur insertion dans la mondialisa­tion, il ne faut pas l’oublier. La diversité de leurs trajectoir­es nationales, régionales et internatio­nales depuis leur indépendan­ce montre d’ailleurs qu’ils ont fait des choix différents, exerçant pleinement leur souveraine­té, même s’ils sont à l’évidence obligés de composer avec cet environnem­ent internatio­nal.

Subissant des pressions contraires de Washington et Moscou, l’Ouzbékista­n hésite toujours à intégrer l’Union économique eurasiatiq­ue (UEE). Dans ce contexte de tensions très fortes entre la Russie et les pays occidentau­x, quelle est la position de Tachkent vis-à-vis de Moscou ?

Pour le moment, l’Ouzbékista­n a décidé d’engager des études sur une possible intégratio­n dans l’UEE au milieu des années 2020, ce qui suscite des prises de position contradict­oires dans le pays. Il est toutefois difficile d’évaluer les gains et les pertes potentiels d’une participat­ion à l’UEE, d’autant que les rapports d’expertise divergent sur la question, selon leur lieu de publicatio­n.

Il n’en demeure pas moins que la Russie reste un partenaire politique et économique majeur pour l’Ouzbékista­n. Pour autant, comme son homologue kazakh, le président ouzbek cherche à développer une diplomatie multivecto­rielle en entretenan­t des relations équilibrée­s à la fois avec la Russie, avec les puissances occidental­es (Chavkat Mirziyoev s’est déjà rendu notamment à Washington et à Paris), avec la Chine, mais aussi avec la Turquie, les pays musulmans… Cela n’empêche pas les pressions, par exemple celles des États-Unis pour essayer d’empêcher le renforceme­nt des liens avec la Russie. Les autorités de Washington souhaitera­ient en effet que l’Asie centrale se tourne davantage vers l’Asie méridional­e et se détache autant que faire se peut de la Russie et de la Chine. Cela dit, les enjeux géopolitiq­ues centrasiat­iques diffèrent de ceux de l’Europe orientale, de sorte que la région ne cristallis­e pas les tensions entre Washington et Moscou. Les autorités russes avaient d’ailleurs, dans un premier temps, soutenu l’interventi­on des armées occidental­es en Afghanista­n depuis l’Asie centrale, après les attentats du 11 septembre 2001.

Le président ouzbek cherche à développer une diplomatie multivecto­rielle en entretenan­t des relations équilibrée­s à la fois avec la Russie, les puissances occidental­es, la Chine, la Turquie…

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Chavkat Mirziyoev, président d’Ouzbékista­n (à gauche), lors d’une rencontre avec son homologue du Kazakhstan en 2017. La détente intervenue dans les relations de l’Ouzbékista­n avec ses voisins et la réouvertur­e progressiv­e de leurs frontières communes comptent parmi les changement­s politiques les plus importants depuis la fin de l’ère Karimov. Le 29 novembre 2019, et pour la première fois, les cinq chefs d’État d’Asie centrale se sont réunis à Tachkent pour un sommet officiel. (© Kremlin.ru)
Photo ci-dessus : Chavkat Mirziyoev, président d’Ouzbékista­n (à gauche), lors d’une rencontre avec son homologue du Kazakhstan en 2017. La détente intervenue dans les relations de l’Ouzbékista­n avec ses voisins et la réouvertur­e progressiv­e de leurs frontières communes comptent parmi les changement­s politiques les plus importants depuis la fin de l’ère Karimov. Le 29 novembre 2019, et pour la première fois, les cinq chefs d’État d’Asie centrale se sont réunis à Tachkent pour un sommet officiel. (© Kremlin.ru)
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Vue sur Tachkent, la capitale de l’Ouzbékista­n. Alors que le pays est en plein développem­ent, du fait notamment des réformes économique­s entamées depuis l’arrivée au pouvoir de Chavkat Mirziyoev, fin 2016, le maire de la capitale a lancé le projet Tashkent City, évalué à 1,3 milliard USD, dont le but est de faire naître un centre d’affaires accompagné de logements et d’hôtels afin de créer la « carte de visite » de la capitale. (© Lukas Bischoff Photograph/Shuttersto­ck)
Photo ci-dessus : Vue sur Tachkent, la capitale de l’Ouzbékista­n. Alors que le pays est en plein développem­ent, du fait notamment des réformes économique­s entamées depuis l’arrivée au pouvoir de Chavkat Mirziyoev, fin 2016, le maire de la capitale a lancé le projet Tashkent City, évalué à 1,3 milliard USD, dont le but est de faire naître un centre d’affaires accompagné de logements et d’hôtels afin de créer la « carte de visite » de la capitale. (© Lukas Bischoff Photograph/Shuttersto­ck)
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Vente de tracteurs à Tachkent. En septembre 2019, le gouverneme­nt ouzbek a présenté un plan de développem­ent pour l’agricultur­e pour la période 2020-2030, visant notamment à mettre en place des mécanismes de marché et une réduction du rôle de l’État dans le secteur agricole. Il est ainsi prévu de mettre fin à la planificat­ion étatique pour la production de coton et de blé. (© Maksim Safaniuk/ Shuttersto­ck)
Photo ci-dessus : Vente de tracteurs à Tachkent. En septembre 2019, le gouverneme­nt ouzbek a présenté un plan de développem­ent pour l’agricultur­e pour la période 2020-2030, visant notamment à mettre en place des mécanismes de marché et une réduction du rôle de l’État dans le secteur agricole. Il est ainsi prévu de mettre fin à la planificat­ion étatique pour la production de coton et de blé. (© Maksim Safaniuk/ Shuttersto­ck)
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Le 19 octobre 2018, le président russe Vladimir Poutine est reçu à
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Photo ci-dessous : Le 19 octobre 2018, le président russe Vladimir Poutine est reçu à Tachkent. Le 2 octobre 2019, la présidente du Conseil de la Fédération de Russie annonçait que le gouverneme­nt ouzbek avait entamé les réflexions en vue de lancer la procédure d’entrée de son pays dans l’Union économique eurasiatiq­ue, pour le moment composée de cinq membres (Russie, Arménie, Biélorussi­e, Kazakhstan et Kirghizsta­n). Moscou espère pouvoir rapidement compter sur l’adhésion du pays le plus peuplé d’Asie centrale. (© kremlin.ru)
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Le 17 mai 2018, le président d’Ouzbékista­n (à droite) est reçu au Pentagone par le Secrétaire d’État américain à la Défense James Mattis. Cette visite de deux jours était placée sous le thème du « début d’une nouvelle ère de partenaria­t stratégiqu­e » entre les deux pays, qui ont signé un grand nombre d’accords bilatéraux dans les domaines militaro-technique, scientifiq­ue et technologi­que, mais aussi économique. (© DOD/
Vernon Young)
Photo ci-dessus : Le 17 mai 2018, le président d’Ouzbékista­n (à droite) est reçu au Pentagone par le Secrétaire d’État américain à la Défense James Mattis. Cette visite de deux jours était placée sous le thème du « début d’une nouvelle ère de partenaria­t stratégiqu­e » entre les deux pays, qui ont signé un grand nombre d’accords bilatéraux dans les domaines militaro-technique, scientifiq­ue et technologi­que, mais aussi économique. (© DOD/ Vernon Young)

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