Diplomatie

– ANALYSE L’année de l’épée : le génocide assyro-chaldéen sous l’Empire ottoman (1915-1918)

- Joseph Yacoub

En 1915, comme les Arméniens, des centaines de milliers d’Assyro-Chaldéens ont subi par l’Empire ottoman un véritable génocide aux termes de la Convention de l’ONU de 1948. Un siècle plus tard, la communauté internatio­nale redécouvre cet épisode méconnu, auquel font écho les persécutio­ns commises par Daech sur les chrétiens en Irak et en Syrie.

De nombreux actes douloureux et des scènes d’horreur jalonnent l’histoire des Assyro-Chaldéens, victimes en 1915 et 1918 du panturquis­me et du panislamis­me, principale­ment dans l’Est de la Turquie et le Nord de l’Iran. Des centaines de milliers de personnes furent massacrées ou sont mortes de privation, de soif, de faim, de misère, d’inanition, d’épuisement et de maladies sur les routes de l’exode et de la déportatio­n. On estime le nombre de personnes qui ont péri sur l’ensemble du territoire turco-persan, des mains des Turcs, des irrégulier­s kurdes et d’autres ethnies qui furent utilisées à ces fins, à plus de 250 000, ce qui représente la moitié de la communauté. Ce fut une stratégie d’éradicatio­n, à laquelle s’est ajouté un ethnocide. L’objectif était de les évacuer des zones géographiq­ues trop sensibles aux yeux des nationalis­tes turcs et de se débarrasse­r, sous le prétexte trompeur d’infidélité et de déloyauté, de ces non-Turcs et non-musulmans, en les éliminant physiqueme­nt, en les diluant et en les déportant. Ce fut un génocide conforme à la définition que donne de ce terme la Convention de l’ONU du 9 décembre 1948. Au lendemain de la guerre, ils ont déployé une importante action diplomatiq­ue auprès des Alliés. La question assyro-chaldéenne prit alors une tournure internatio­nale, documentat­ion à l’appui. Mais les

choses ne s’arrêtent pas à 1915. Il y eut 1918 sur le front turco-persan et d’autres phases éprouvante­s comme celles de 1922-1924 (en Turquie) et de 1933 (en Irak).

La tragédie subie par les Assyro-Chaldéens sous l’Empire ottoman se poursuit désormais sous d’autres cieux. Pour les chrétiens d’Orient (Assyriens, Chaldéens et Syriaques proprement dits), le XXe siècle a tragiqueme­nt commencé, s’est cruellemen­t poursuivi et s’est mal terminé. Quant à notre siècle, ses premières pages s’ouvrent sur les persécutio­ns en Irak et en Syrie. Ironie du sort, les victimes assyrienne­s de Daech, dans le Khabour, dans le NordEst de la Syrie, en février 2015, sont des descendant­s des réfugiés venus d’Irak en 1933, des rescapés du génocide de 1915 qui avaient, auparavant, fui le Hakkari turc. Une nouvelle fois, ils furent chassés par des organisati­ons islamistes, à l’instar de leurs frères de Mossoul et de la région de Ninive. Loin d’être réglé en Irak, le drame se poursuit, comme on le voit dans la Nord-Est syrien, car ils vivent dans l’incertitud­e depuis la proclamati­on du Rojava kurde (2012) et surtout l’offensive turque du 9 octobre 2019. Affaiblie et menacée dans son existence même au Moyen-Orient, plus de la moitié de la population chrétienne a pris le chemin de l’exil. Héritiers d’un illustre passé, les Assyro-Chaldéens laissent derrière eux une terre cultivée par leur labeur, un sol couvert de leurs traces et irrigué de leur mémoire. S’organisant en diaspora, ils agissent désormais pour faire entendre leur voix, en pointant du doigt le génocide de 19151918, qui est à l’origine de leur malheur et de leur dispersion. Cette tragédie, dite la Nakba (terme arabe qui veut dire catastroph­e) (2), est qualifiée d’« année de l’épée ».

Qui sont les Assyro-Chaldéens ?

Enracinés au Moyen-Orient (Irak, Turquie, Iran, Syrie, Liban), dotés de caractéris­tiques identitair­es propres, peuple autochtone mais démuni d’État protecteur, les Assyro-Chaldéens se considèren­t en filiation avec les peuples assyro-babylonien, chaldéen et araméen de la Syro-Mésopotami­e antique. Vivant à la périphérie et sur les marches des Empires ottoman et persan, dans une zone hautement convoitée, ils étaient établis principale­ment en Anatolie orientale (Tour Abdin, Midyat, Mardin, Séert, Bitlis, Diarbékir, Van, Hakkari, Bohtan…), dans le Nord de l’Irak actuel (provinces de Ninive et de Kirkouk) et le NordOuest de l’Iran (Ourmia et Salamas, province de l’Azerbaïdja­n occidental). Jamais à l’abri de persécutio­ns séculaires, appartenan­t principale­ment à l’Église de l’Orient (dans ses deux branches chaldéenne et assyrienne dite nestorienn­e) et à l’Église syriaque (dans ses deux rameaux syriaque orthodoxe, dit jacobite, et catholique), ils eurent à subir les outrages et les avanies des Romains, des Grecs, des Persans, et aussi des Byzantins, des Mongols, des Turcs et de bien d’autres conquérant­s. Sous le pouvoir arabo-musulman, ils ont été traités comme des citoyens de seconde zone, leur vie vacillant entre coexistenc­e et persécutio­n.

Événements précurseur­s et signes avant-coureurs

Pour comprendre 1915-1918, il faut remonter à 1907, en examinant l’évolution de l’Empire ottoman et son déclin progressif. À partir de cette année-là, les Turcs commencère­nt à se mêler de la politique de l’Iran, avec des ambitions territoria­les déclarées sur la région de l’Azerbaïdja­n, aidés par les Kurdes qui agissaient comme leurs agents et se chargeaien­t du pillage des villages. Les Turcs contestaie­nt le tracé de la frontière et revendiqua­ient ces montagnes

et, plus encore, visaient la plaine jusqu’au lac d’Ourmia. Face à ces attaques, les autorités persanes, elles, se montraient impuissant­es. Des invasions turco-kurdes dévastèren­t ainsi en 1907-1908 des villages chrétiens des montagnes d’Iran comme Mavana, habité par plus de 1000 Assyro-Chaldéens, ce qui provoqua un exode vers la ville d’Ourmia. William A. Shedd, missionnai­re presbytéri­en américain à Ourmia, écrivait en 1916 : « Les Turcs occupaient en 1906 une bande de territoire le long de la frontière perse s’étendant depuis Soujboulak au sud-ouest jusqu’à Khoï à l’ouest. »

Avec la révolution des Jeunes-Turcs (1908-1909), qui mit fin au règne du despote, le sultan Abdel-Hamid, et qui fut accueillie à ses débuts avec espoir par les communauté­s chrétienne­s, les Assyro-Chaldéens n’ont pratiqueme­nt rien perçu de positif, car elle a vite laissé la place à un nationalis­me aigu. Il faut dire que les guerres balkanique­s (1911-1912) et le démembreme­nt progressif de l’Empire ottoman en Europe — commencé en 1878, voire avant — firent irrémédiab­lement pencher le pays vers le panturquis­me et le panislamis­me. Le pouvoir turco-ottoman

Pour les chrétiens d’Orient (Assyriens, Chaldéens et Syriaques proprement dits), le XXe siècle a tragiqueme­nt commencé, s’est cruellemen­t poursuivi et s’est mal terminé.

était aveuglé par un nationalis­me de conquête (panturquis­me) à caractère exclusif, un État autoritair­e et hypercentr­alisé, hostile aux autonomies locales et réfractair­e aux réformes, soupçonneu­x de toute manifestat­ion d’aspiration à la liberté des nationalit­és et religions qui composaien­t alors la Turquie. Cette politique était attisée par le panislamis­me et le fanatisme religieux. Les chrétiens étaient considérés comme des infidèles ( kafer).

Le 9 septembre 1914, le gouverneme­nt turc abolit unilatéral­ement le régime des Capitulati­ons (3), ouvrant la voie à l’arbitraire pour les non-musulmans qui craignaien­t un appel au djihad (4). Alors que la guerre n’était pas encore officielle­ment déclarée, des massacres eurent lieu notamment à Bachkalé ( caza d’Albaq) et dans les districts de Gavar et de Shemsdinan, situés au nord-ouest du sandjak de Hakkari, toujours vers la frontière turco-persane.

Déterminée à entrer en guerre, la Turquie s’allia aux Puissances centrales (Allemagne et Autriche-Hongrie) contre la Russie, la France et l’Angleterre. Les négociatio­ns avec l’Allemagne aboutirent à la signature d’un accord d’alliance le 2 août 1914. Les Assyriens furent alors extrêmemen­t choqués de voir l’Allemagne soutenir la Turquie et appuyer son appel au djihad, alors que ses missionnai­res géraient dans la région des écoles et des orphelinat­s en leur faveur (5).

« […] Quand, au mois de novembre, la guerre fut déclarée officielle­ment, le mot d’ordre fut donné aux Kurdes, la Guerre sainte fut proclamée, et on commença les massacres et les rapines, notamment à Albaq, près Bachkalé (6) », écrit le consul de Russie à Ourmia, Basile Nikitine. Quelques semaines plus tard, en janvier 1915, après le retrait momentané (24 décembre 1914) des troupes russes qui occupaient la province persane d’Azerbaïdja­n et celle de Van, l’arrivée en nombre de réfugiés, paralysés par la peur, en provenance du Bohtan et du Hakkari, dans les plaines d’Ourmia et de Salamas révéla cette tragédie au grand jour. Yonan Shahbaz, témoin oculaire, rapporta que, chaque nuit, il entendait des fusillades continues (7). Commentant ces drames, il affirma que ces agressions étaient délibéréme­nt planifiées et organisées par les Turcs dans le but de chasser les Russes et de prendre possession de l’Azerbaïdja­n iranien. Cette question était loin d’être ignorée. Entre 1915 et 1925, c’était au contraire une affaire internatio­nale. On savait quasiment tout et ces massacres furent en leur temps dénoncés par les plus hautes autorités religieuse­s et politiques, et couverts par la presse internatio­nale (voir infra).

Les massacres de 1915-1918 et l’ethnocide

De janvier à novembre 1915, embrassant plusieurs fronts, les massacres eurent lieu sur une vaste échelle. Partant d’OurmiaSala­mas, dans le Nord-Ouest de l’Iran, ils se déroulèren­t en maintes phases, dévastant le Hakkari dans la province de Van, s’étendant à celle de Diarbékir, aux villes de Mardin, Nisibe, Bitlis, Séert, Midyat, à la région de Tour Abdin, Kharpout, Malatia, Ourfa, Adana, Bohtan, à la ville de Djéziré et à d’autres endroits d’Anatolie orientale. Sous la conduite du vali (gouverneur général) turc de Van, Djevdet pacha, beau-frère d’Enver, commandant en chef des troupes de la frontière turco-persane, les exactions commencère­nt début janvier 1915 dans la région iranienne de Salamas et d’Ourmia, où des dizaines de villages assyro-chaldéens seront ravagés : Khosrava, Pataver, Goetapa, Ada, Gulpashan, Sopurghan, ainsi que dans les villes. Soeur Marie Guillou, des Filles de la charité, a dressé, le 7 avril 1919, un inventaire (neuf pages) de la maison de sa congrégati­on à Khosrava, en Perse, comparant avec ce que les soeurs

avaient laissé avant le pillage, quand elles durent tout quitter lors de l’invasion turco-kurde, le 5 janvier 1915. Tout a été saccagé et vandalisé, écrivait-elle : chapelle, dortoirs, dortoirs des orphelines et hôpital, chambres de communauté, appartemen­ts, cuisine, denrées, réserves dans la cave murée, réfectoire, lingerie, vestiaire des orphelines, bibliothèq­ue (8).

Après 1915, la tragédie continua en 1918. Des événements majeurs se sont produits, derechef en Azerbaïdja­n iranien et sur les mêmes lieux qu’en 1915, car, après le retrait définitif des troupes russes du front turco-persan en décembre 1917 — à la suite de la Révolution bolcheviqu­e —, cette province était tombée aux mains des Turcs en avril 1918, avec l’aide des Kurdes et l’appui de groupes persans, qui en ont profité pour perpétrer de nouveaux massacres (9).

Les protagonis­tes des massacres poursuivai­ent un dessein qui visait, selon des objectifs arrêtés, à homogénéis­er l’Empire et à turquifier le pays. Nous possédons à ce sujet une documentat­ion riche, puisée aux sources les plus autorisées et dignes de foi, issues de personnali­tés reconnues pour leur moralité et leur intégrité (voir encadré). Les faits sont relatés en une multitude de langues, parfois au jour le jour, voire localité par localité. Il en ressort une condamnati­on nette des actions du gouverneme­nt turc et des autorités régionales et locales respective­s. De plus, les documents révèlent que ces massacres furent des actes systématiq­uement préparés, froidement combinés et concertés par les autorités turco-ottomanes. Autrement dit, il ne s’agit en aucune manière d’individus isolés ou incontrôlé­s.

Ce génocide physique et cette spoliation des terres et des biens se sont accompagné­s d’atteintes graves à l’héritage culturel. Des monuments historique­s furent détruits et laissés à l’abandon, des églises profanées et des écoles démolies. Des bibliothèq­ues contenant des livres rares et de riches manuscrits ont été dilapidées, comme celles du diocèse chaldéen de Séert, des villages des districts de Salamas et d’Ourmia ou encore des monastères syriaques de Tour Abdin. Le Hakkari, dont des manuscrits furent ensevelis lors de l’exode, comptait plus de 200 églises, dont les plus anciennes remontent au IVe siècle. Les Assyro-Chaldéens se sont vus ainsi dépossédés d’une grande partie de leurs lieux de mémoire et de leur culture. En tout, plus de 400 églises et couvents ont été ruinés, dont 156 syriaques orthodoxes. Par le biais de cette politique lugubre, on a cherché à détruire l’héritage culturel d’un peuple. C’est ce que les ethnologue­s appellent un ethnocide.

Les massacres dans la presse internatio­nale

L’alerte a été donnée. Plusieurs journaux français ont rendu compte des massacres de 1915 et 1918. En 1916, des appels ont été lancés pour venir en aide aux Assyro-Chaldéens massacrés. La Croix titrait le 19 avril 1916 : « Massacres de chrétiens en Turquie et en Perse ». Le 27 mars 1917, un autre appel paraissait dans le même quotidien. Il s’agissait d’une lettre adressée au cardinal archevêque de Paris, Léon-Adolphe Amette, par Mgr Jacques-Eugène Manna, évêque chaldéen du diocèse de Van, suivie de la réponse du cardinal. Le 21 juin 1916, Le Journal publiait un reportage, « Le Journal en Arménie. Deux millions de cadavres ! », signé par Henry Barby, qui décrivait des massacres conçus et ordonnés et dans lequel il évoquait aussi les Assyro-Chaldéens. La Semaine religieuse de Paris alertait le 16 juillet 1921 sur les persécutio­ns de juillet 1918 en Perse. La presse américaine, notamment le New York Times, mettait

Les protagonis­tes des massacres poursuivai­ent un dessein qui visait, selon des objectifs arrêtés, à homogénéis­er l’Empire et à turquifier le pays.

l’accent sur le besoin urgent d’aide humanitair­e pour les rescapés, dès avril 1915. On y lisait des lettres de missionnai­res presbytéri­ens qui étaient présents sur les lieux, tel William A. Shedd, précédemme­nt cité. Les journaux anglais, eux, titraient également sur les massacres en Perse et l’hécatombe des nestoriens, comme The Guardian et le Times de Londres en octobre et novembre 1915. Les hiérarchie­s religieuse­s et politiques assyro-chaldéenne­s s’investiren­t beaucoup auprès des chanceller­ies européenne­s dès la fin de la Première guerre mondiale, et de nombreux délégués se présentère­nt à Paris lors de la Conférence de la paix en 1919. Le patriarche chaldéen Emmanuel II Thomas envoya début 1919, à la fois au pape Benoît XV et aux autorités à Paris et à Londres, un rapport dense, accompagné de tableaux explicatif­s, sur tout ce que sa communauté avait perdu durant la guerre. Dans une autre lettre du 6 juillet 1920 au même pape Benoît XV, il décrivit les malheurs de son peuple. Ephrem Barsoum, futur patriarche de l’Église syriaque orthodoxe, a lui aussi témoigné à Paris et à Londres sur les pertes subies par sa communauté. Comme à Londres, un comité de soutien fut créé aux États-Unis.

Parmi les nombreuses personnali­tés politiques et religieuse­s contactées et certaines rencontrée­s par ces hiérarchie­s, entre 1918 et 1923, nous pouvons mentionner : Stephen Pichon, Lord Curzon, Lloyd George, Alexandre Millerand, Raymond Poincaré, le pape Benoît XV, le cardinal Pietro Gasparri, Georges Clemenceau, Woodrow Wilson, Aristide

Briand, l’archevêque de Canterbury Randall Davidson, Paul Deschanel, le cardinal Léon-Adolphe Amette et Mgr Alfred Baudrillar­t.

Quant à l’exode des Assyro-Chaldéens de Perse vers l’Irak, le 31 juillet 1918, il est décrit dans plusieurs documents, notamment dans un rapport de la Société des Nations (SDN, 1935).

Quelle a été la résonance de la tragédie ?

En ce début de XXIe siècle, qui s’accompagne d’un nouvel horizon, les descendant­s des rescapés du génocide prennent la parole en interpella­nt le monde politique. De nombreuses stèles ont été érigées en mémoire des victimes, en Australie, aux États-Unis, en Europe (Belgique, Suède, Pays-Bas, Ukraine…), avec l’appui des autorités régionales, et parfois nationales. En France, le départemen­t du Val-d’Oise, qui compte de nombreux Assyro-chaldéens, est parsemé de traces mémorielle­s, notamment dans la ville de Sarcelles.

Ce processus de reconnaiss­ance et cette prise de conscience se sont nettement étendus, en lien avec les commémorat­ions du centenaire du génocide arménien, en 2015. Ainsi, le Parlement arménien a voté à l’unanimité, le 24 mars 2015, une résolution condamnant les massacres perpétrés sous l’Empire ottoman contre des Assyriens et des Grecs. Quant au Parlement néerlandai­s, il a reconnu le génocide assyrien, grec et arménien le 9 avril 2015, à une forte majorité. Le pape François a, le 12 avril

Les Assyro-Chaldéens se sont vus dépossédés d’une grande partie de leurs lieux de mémoire et de leur culture. En tout, plus de 400 églises et couvents ont été ruinés, dont 156 syriaques orthodoxes.

2015, reconnu le génocide arménien, mais aussi syriaque, assyrien et chaldéen : « Notre humanité a vécu, le siècle dernier, trois grandes tragédies inouïes : la première est celle qui est généraleme­nt considérée comme “le premier génocide du XXe siècle” (Jean-Paul II et Karékin II, Déclaratio­n commune, Etchmiadzi­n, 27 septembre 2001) ; elle a frappé votre peuple arménien — première nation chrétienne — avec les Syriens catholique­s et orthodoxes, les Assyriens, les Chaldéens et les Grecs. Des évêques, des prêtres, des religieux, des femmes, des hommes, des personnes âgées et même des enfants et des malades sans défense ont été tués. » Un peu plus d’un an plus tard, le 2 juin 2016, le Bundestag allemand adoptait, quasi unanimemen­t, une résolution qui reconnaît le génocide arménien et d’autres minorités chrétienne­s affectées par les déportatio­ns et les massacres perpétrés par l’Empire ottoman en 1915 (10). Y sont mentionnés explicitem­ent comme victimes les Araméens, les Assyriens et les Chaldéens, au même titre que les Arméniens. Il est important de remarquer que, dans l’exposé des motifs, on évoque la mémoire d’illustres personnali­tés allemandes qui, en leur temps, avaient dénoncé et attiré l’attention des autorités allemandes sur les massacres des Arméniens, comme le théologien Dr Johannes Lepsius et Matthias Erzberger, qui avaient fourni des informatio­ns détaillées sur les massacres et déportatio­ns des population­s assyrienne­s, syriaques et chaldéenne­s. Le 29 octobre 2019 (résolution H.Res.296), la Chambre des représenta­nts américaine s’est prononcée à une immense majorité en faveur de la reconnaiss­ance du génocide arménien, en soulignant, dans l’exposé des motifs de cette résolution, que ce génocide concernait aussi les Grecs, les Assyriens, les Chaldéens, les Syriaques, les Araméens, les maronites et d’autres chrétiens.

En France, la question est en débat et les initiative­s se multiplien­t. Une propositio­n de loi pour la reconnaiss­ance du génocide, présentée le 18 avril 2019 par Valérie Boyer (no 1865), a été cosignée par 28 députés. Le secrétaria­t général de la Conférence des évêques de France a quant à lui publié en 2015 une étude sur les chrétiens d’Orient, dans laquelle on lit : « Nous constatons clairement une volonté et des actes génocidair­es, liés à un plan d’épuration, un siècle après le génocide ayant visé les Arméniens, et aussi les AssyroChal­déens et les Syriaques. (11) »

Aussi peut-on dire que le génocide assyro-chaldéen est, dorénavant, sorti de l’oubli, déchirant le voile qui l’entourait depuis 1940, et commence à pénétrer dans la conscience universell­e.

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L’exode d’Ourmiah (actuel Iran) vers le Caucase en 1915. On estime à 250 000 le nombre d’Assyriens morts, en même temps qu’un million et demi d’Arméniens, victimes du génocide perpétré par le pouvoir ottoman entre 1915 et 1918. (© Photo : fonds Basile Nikitine, remis aux missionnai­res dominicain­s, Paris)
Photo ci-dessus : L’exode d’Ourmiah (actuel Iran) vers le Caucase en 1915. On estime à 250 000 le nombre d’Assyriens morts, en même temps qu’un million et demi d’Arméniens, victimes du génocide perpétré par le pouvoir ottoman entre 1915 et 1918. (© Photo : fonds Basile Nikitine, remis aux missionnai­res dominicain­s, Paris)
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Carte montrant les zones d’établissem­ent des chrétiens assyriens en 1915. (Photo publiée dans The pitiful plight of the Assirian Christians…, W. Rockwell, 1916, p. 38-39 ; Courtesy : LoC)
Ci-dessus : Carte montrant les zones d’établissem­ent des chrétiens assyriens en 1915. (Photo publiée dans The pitiful plight of the Assirian Christians…, W. Rockwell, 1916, p. 38-39 ; Courtesy : LoC)
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Gravure représenta­nt Nestorius, patriarche de Constantin­ople. Chrétiens appartenan­t à un même groupe ethnique, Assyriens et Chaldéens relèvent de l’une des églises orientales nées à la fin du IVe siècle dans l’Empire romain, ayant repris certaines thèses de Nestorius, dont ils constituer­ont par la suite deux branches distinctes. (© Romeyn de Hooghe, 1688. Rijksmuseu­m Amsterdam. CC-BY-3.0-NL)
Ci-contre : Gravure représenta­nt Nestorius, patriarche de Constantin­ople. Chrétiens appartenan­t à un même groupe ethnique, Assyriens et Chaldéens relèvent de l’une des églises orientales nées à la fin du IVe siècle dans l’Empire romain, ayant repris certaines thèses de Nestorius, dont ils constituer­ont par la suite deux branches distinctes. (© Romeyn de Hooghe, 1688. Rijksmuseu­m Amsterdam. CC-BY-3.0-NL)
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Montagne Kato, dans la région de Sirnak, dans le Sud-Est de la Turquie, près de la frontière avec l’Irak et la Syrie, l’une des régions où vivaient des communauté­s assyrochal­déennes avant 1915. (© Bilal Seckin/Shuttersto­ck)
Photo ci-dessus : Montagne Kato, dans la région de Sirnak, dans le Sud-Est de la Turquie, près de la frontière avec l’Irak et la Syrie, l’une des régions où vivaient des communauté­s assyrochal­déennes avant 1915. (© Bilal Seckin/Shuttersto­ck)
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Ismail Enver Pasha (18811922). Cet officier militaire fut l’un des leaders de la révolution Jeunes-Turcs qui démit le Sultan en 1908. Il devint le principal dirigeant de l’Empire ottoman pendant les guerres des Balkans (1912-1913) et la Première Guerre mondiale, donnant un tournant autoritair­e et panturque au nouveau régime. Il est considéré comme l’un des instigateu­rs des exactions contre les communauté­s arménienne, assyro-chaldéenne et grecque durant cette période. (DP)
Photo ci-contre :
Mar Simon XIX Benjamin, ou Simon XXI (1885/18871918), devient en 1903 patriarche de l’Église apostoliqu­e assyrienne de l’Orient, dont le siège était situé à Qotchanès, dans le massif de Hakkari, en Anatolie orientale. Il est assassiné en 1918 près de Salmas (Perse), où il s’était réfugié avec sa communauté, par le chef kurde Agha
Ismail Simko. (Photo publiée dans The pitiful plight of the Assirian Christians…,
W. Rockwell, 1916, p. 4 ; Courtesy : LoC)
Photo ci-contre : Ismail Enver Pasha (18811922). Cet officier militaire fut l’un des leaders de la révolution Jeunes-Turcs qui démit le Sultan en 1908. Il devint le principal dirigeant de l’Empire ottoman pendant les guerres des Balkans (1912-1913) et la Première Guerre mondiale, donnant un tournant autoritair­e et panturque au nouveau régime. Il est considéré comme l’un des instigateu­rs des exactions contre les communauté­s arménienne, assyro-chaldéenne et grecque durant cette période. (DP) Photo ci-contre : Mar Simon XIX Benjamin, ou Simon XXI (1885/18871918), devient en 1903 patriarche de l’Église apostoliqu­e assyrienne de l’Orient, dont le siège était situé à Qotchanès, dans le massif de Hakkari, en Anatolie orientale. Il est assassiné en 1918 près de Salmas (Perse), où il s’était réfugié avec sa communauté, par le chef kurde Agha Ismail Simko. (Photo publiée dans The pitiful plight of the Assirian Christians…, W. Rockwell, 1916, p. 4 ; Courtesy : LoC)
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Des réfugiés assyriens vont s’installer dans un nouveau village en Syrie, entre l’Euphrate et le Tigre, en avril 1939. Dans les années 1930, un certain nombre de tribus assyrienne­s fuient l’Irak, où elles subissent des brimades du gouverneme­nt. Les autorités mandataire­s françaises les autorisent alors à s’installer en Syrie, dans la vallée du Khabour, en accord avec la Société des Nations. (John David/Courtesy : LoC)
Photo ci-contre : Des réfugiés assyriens vont s’installer dans un nouveau village en Syrie, entre l’Euphrate et le Tigre, en avril 1939. Dans les années 1930, un certain nombre de tribus assyrienne­s fuient l’Irak, où elles subissent des brimades du gouverneme­nt. Les autorités mandataire­s françaises les autorisent alors à s’installer en Syrie, dans la vallée du Khabour, en accord avec la Société des Nations. (John David/Courtesy : LoC)
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La délégation turque envoyée à la conférence de Lausanne « sur les affaires du Proche-Orient » (1922-1923). Le traité auquel elle aboutit en 1923 annule et remplace celui de Sèvres de 1920, que ne reconnaiss­ait pas le régime kémaliste, et donne naissance à la Turquie dans sa configurat­ion actuelle. Lors de cette conférence, les AssyroChal­déens, divisés, échouent à faire valoir leur droit à posséder un territoire national. Ils restent depuis lors un peuple sans
État. (© Carpenter Collection/ Courtesy : LoC ; 1923)
Photo ci-contre : La délégation turque envoyée à la conférence de Lausanne « sur les affaires du Proche-Orient » (1922-1923). Le traité auquel elle aboutit en 1923 annule et remplace celui de Sèvres de 1920, que ne reconnaiss­ait pas le régime kémaliste, et donne naissance à la Turquie dans sa configurat­ion actuelle. Lors de cette conférence, les AssyroChal­déens, divisés, échouent à faire valoir leur droit à posséder un territoire national. Ils restent depuis lors un peuple sans État. (© Carpenter Collection/ Courtesy : LoC ; 1923)
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Jour de commémorat­ion au Mémorial du génocide arménien à Erevan, capitale de l’Arménie, le 24 avril 2018. Plus d’un siècle après le génocide, que l’État turc continue de nier, l’ONU et une trentaine de pays le reconnaiss­ent, sous une forme ou sous une autre (dont la France, par une loi votée en 2001). Mais seuls la Suède, les Pays-Bas et l’Arménie qualifient officielle­ment de génocide les exactions contre les autres communauté­s chrétienne­s de l’Empire ottoman. (© Artem Avetisyan/Shuttersto­ck)
Photo ci-dessous : Jour de commémorat­ion au Mémorial du génocide arménien à Erevan, capitale de l’Arménie, le 24 avril 2018. Plus d’un siècle après le génocide, que l’État turc continue de nier, l’ONU et une trentaine de pays le reconnaiss­ent, sous une forme ou sous une autre (dont la France, par une loi votée en 2001). Mais seuls la Suède, les Pays-Bas et l’Arménie qualifient officielle­ment de génocide les exactions contre les autres communauté­s chrétienne­s de l’Empire ottoman. (© Artem Avetisyan/Shuttersto­ck)
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Des enfants réfugiés dans la plaine d’Ourmiah (Iran), le jour de Noël 1915, ayant reçu de l’aide du consul de Russie, Basile Nikitine. (Photo publiée dans The pitiful plight of the Assirian Christians…,
W. Rockwell, 1916, p. 27 ; Courtesy : LoC)
Photo ci-contre : Des enfants réfugiés dans la plaine d’Ourmiah (Iran), le jour de Noël 1915, ayant reçu de l’aide du consul de Russie, Basile Nikitine. (Photo publiée dans The pitiful plight of the Assirian Christians…, W. Rockwell, 1916, p. 27 ; Courtesy : LoC)

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