– ENTRETIEN L’OTAN vue de Chine
Entretien avec Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et enseignant à Sciences Po Paris. Il est l’auteur de nombreux articles et études sur la politique étrangère et de sécurité de la Chine.
La déclaration commune adoptée par les 29 pays membres de l’OTAN à Londres présente la montée en puissance de la Chine comme un « défi ». Quelle est la nature de ce défi, et comment expliquer ce changement de ton ?
A. Bondaz : Il est fondamental de contextualiser et de relativiser cette déclaration puisque de nombreux médias semblent l’avoir surinterprétée, faisant de la Chine une nouvelle menace clairement identifiée par l’Alliance.
Premièrement, la mention de la Chine dans la déclaration commune de décembre 2019 constitue la dernière phrase du sixième paragraphe, et non un paragraphe à part entière. Les éléments de langage utilisés sont aussi très mesurés puisqu’il est écrit :
« Nous reconnaissons que l’influence croissante de la Chine et ses politiques internationales présentent à la fois des opportunités et des défis que nous devons relever ensemble en tant qu’Alliance ». Cette mention est historique et souligne qu’une prise de conscience des enjeux est en cours au sein de l’Alliance. Cependant, elle n’annonce pas un changement de paradigme en termes de perceptions des menaces pour les alliés, et encore moins une évolution des missions de l’Alliance. Deuxièmement, les propos du secrétaire général, Jens Stoltenberg, au cours de différentes conférences de presse permettent de préciser cette mention. Selon lui, les alliés reconnaissent que l’objectif « n’est pas de créer un nouvel adversaire », mais simplement d’« analyser, comprendre et ensuite répondre de manière équilibrée aux défis que pose la Chine ».
Parmi les sources d’inquiétudes : les dépenses militaires chinoises et la modernisation quantitative et qualitative des capacités de l’Armée populaire de libération (APL) [lire à ce sujet l’entretien avec A. Bondaz dans Diplomatie no 101]. Au cours de son audition au Parlement européen en janvier 2020, il a également précisé que « l’idée n’est pas de déplacer l’OTAN dans la mer de Chine méridionale. Mais le défi est que la Chine se rapproche de nous : dans le cyberespace, en investissant massivement dans nos infrastructures critiques, en Afrique, dans l’Arctique ». La Chine intègre donc officiellement la liste des défis auxquels doivent faire face les alliés, même si, de fait, elle en fait partie depuis longtemps.
Troisièmement, cette mention de la Chine s’inscrit dans une offensive diplomatique claire des États-Unis depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump visant à convaincre leurs alliés et partenaires que Pékin est devenue une menace. À l’étranger, cela se traduit par les nombreuses déclarations du secrétaire d’État Mike Pompeo, dont celle d’avril 2019 dans laquelle il affirme : « Nous devons adapter notre alliance pour faire face aux nouvelles menaces », avant de préciser que « la concurrence stratégique chinoise, y compris la technologie et la 5G » en font partie. Or ce qui est une menace aux États-Unis ne l’est pas forcément en Europe.
Quelles ont été les réactions chinoises à cette déclaration ? La Chine a-t-elle fait part de son mécontentement ?
Alors que la rhétorique de la diplomatie chinoise est de plus en plus directe, voire parfois agressive, les commentaires officiels ont été mesurés. Dans une conférence de presse du 5 décembre, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères s’est réjouie que la Chine ne soit pas présentée comme « une menace » contrairement à ce que souhaitaient les États-Unis, notant qu’au sein de l’OTAN, « des voix objectives et rationnelles s’élèvent pour dire que la Chine n’est pas un ennemi ». La communication de Pékin se concentre donc
Photo ci-dessus : En juillet 2019, des médecins militaires de l’Armée populaire de libération ont participé à un exercice médical conjoint, avec l’armée allemande, pour la première fois sur le sol européen (à Feldkirchen, en Bavière). Peu significatif en termes de capacités de combat, cet entraînement était surtout pour Pékin un moyen de renforcer la confiance avec une grande puissance de l’OTAN, alors que sa présence militaire à l’étranger est appelée à augmenter. (© Bundeswehr/Dirk Bannert) sur la critique de Washington et l’influence importante, mais non totale, des États-Unis sur leurs alliés. La presse chinoise reprend les mêmes éléments de langage. Un éditorial du Global Times, intitulé « Cibler la Chine ne peut pas sauver l’OTAN », ajoute que les États-Unis « veulent faire intervenir l’OTAN pour s’opposer à la Chine, mais cela va à l’encontre des intérêts stratégiques des pays européens en Chine ».
L’objectif de la Chine est clair : tenter de neutraliser au sens propre les pays européens en cas de tensions sinoaméricaines. Pour cela, Pékin cherche à accentuer les dissensions transatlantiques en essayant, entre autres, de transformer son poids économique en influence politique. La Chine soutient également une autonomie stratégique renforcée de l’Europe en formulant l’hypothèse — sûrement à tort — que cela entraînera une opposition accrue de l’Europe aux États-Unis.
Notons encore, ce qui n’est que trop rarement souligné, que pour la première fois en 2019, le livre blanc sur la défense chinois fait mention de l’OTAN, et notamment de son élargissement vers l’Est et de ses exercices militaires. Cette mention s’inscrit non seulement dans le cadre du renforcement de la coopération stratégique sino-russe, mais aussi dans la perception émergeant en Chine, depuis déjà une dizaine d’années, selon laquelle l’OTAN se rapproche du territoire chinois.