Diplomatie

éditorial

- par Alexis Bautzmann

Les États-Unis seraient-ils devenus une puissance impuissant­e ?

Force est de constater que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les succès de l’armée américaine se font rares. Malgré un budget militaire sans égal et une capacité à se projeter en masse sur des théâtres d’opérations extérieure­s, le Pentagone peine à accompagne­r ses campagnes militaires de victoires à même de régler durablemen­t les crises auxquelles Washington est confronté. Une situation perçue, après coup, avec lucidité par les autorités américaine­s qui, s’agissant par exemple du conflit afghan (lequel aura coûté près de mille milliards de dollars en 18 ans), ont pointé quatre facteurs d’échec : l’importatio­n et l’imposition d’un système institutio­nnel étranger à destinatio­n d’une société dont on ignore tout ou presque ; la définition d’objectifs et de calendrier­s irréaliste­s ; la prise de décision par les militaires en matière d’aide aux population­s locales (conforméme­nt à la théorie de la contre-insurrecti­on) ; et enfin, des dépenses excessives sans capacité de suivre et d’évaluer les projets financés (ce qui alimente une corruption locale massive). En réalité, à la lecture des analyses post-conflits du Pentagone, le problème semble aller au-delà d’une simple politique hors-sol : il porte davantage sur un dysfonctio­nnement au plus haut niveau de l’appareil politique américain, lequel semble répéter invariable­ment les mêmes erreurs en évitant à tout prix de les assumer a posteriori. Une situation qui amène in fine la Maison-Blanche à pratiquer dans l’urgence des retraits militaires incompréhe­nsibles et aux conséquenc­es catastroph­iques en matière géopolitiq­ue. L’échec des engagement­s armés au Vietnam, en Irak, en Somalie, en Afghanista­n ou encore en Syrie résulte de cette dichotomie singulière entre l’analyse et la décision au sein de l’Administra­tion américaine. Or, dans un monde où les tensions internatio­nales deviennent de plus en plus vives, comme nous l’a récemment rappelé le face-à-face sanglant entre soldats chinois et indiens dans l’Himalaya (le premier à faire des victimes depuis 1975), cette culture de l’échec devant des adversaire­s désormais plus puissants, mieux armés ou simplement plus rusés risque de peser lourdement sur le destin même des États-Unis comme première puissance mondiale. Dans ce contexte, les Européens, confortabl­ement installés depuis 1945 sous l’aile protectric­e de leur grand allié d’outreAtlan­tique, auraient tout à gagner à s’interroger sur l’avenir de la puissance américaine et sur le risque que son décrochage pourrait faire peser, à moyen ou long terme, sur leur propre architectu­re de sécurité.

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