éditorial
Les États-Unis seraient-ils devenus une puissance impuissante ?
Force est de constater que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les succès de l’armée américaine se font rares. Malgré un budget militaire sans égal et une capacité à se projeter en masse sur des théâtres d’opérations extérieures, le Pentagone peine à accompagner ses campagnes militaires de victoires à même de régler durablement les crises auxquelles Washington est confronté. Une situation perçue, après coup, avec lucidité par les autorités américaines qui, s’agissant par exemple du conflit afghan (lequel aura coûté près de mille milliards de dollars en 18 ans), ont pointé quatre facteurs d’échec : l’importation et l’imposition d’un système institutionnel étranger à destination d’une société dont on ignore tout ou presque ; la définition d’objectifs et de calendriers irréalistes ; la prise de décision par les militaires en matière d’aide aux populations locales (conformément à la théorie de la contre-insurrection) ; et enfin, des dépenses excessives sans capacité de suivre et d’évaluer les projets financés (ce qui alimente une corruption locale massive). En réalité, à la lecture des analyses post-conflits du Pentagone, le problème semble aller au-delà d’une simple politique hors-sol : il porte davantage sur un dysfonctionnement au plus haut niveau de l’appareil politique américain, lequel semble répéter invariablement les mêmes erreurs en évitant à tout prix de les assumer a posteriori. Une situation qui amène in fine la Maison-Blanche à pratiquer dans l’urgence des retraits militaires incompréhensibles et aux conséquences catastrophiques en matière géopolitique. L’échec des engagements armés au Vietnam, en Irak, en Somalie, en Afghanistan ou encore en Syrie résulte de cette dichotomie singulière entre l’analyse et la décision au sein de l’Administration américaine. Or, dans un monde où les tensions internationales deviennent de plus en plus vives, comme nous l’a récemment rappelé le face-à-face sanglant entre soldats chinois et indiens dans l’Himalaya (le premier à faire des victimes depuis 1975), cette culture de l’échec devant des adversaires désormais plus puissants, mieux armés ou simplement plus rusés risque de peser lourdement sur le destin même des États-Unis comme première puissance mondiale. Dans ce contexte, les Européens, confortablement installés depuis 1945 sous l’aile protectrice de leur grand allié d’outreAtlantique, auraient tout à gagner à s’interroger sur l’avenir de la puissance américaine et sur le risque que son décrochage pourrait faire peser, à moyen ou long terme, sur leur propre architecture de sécurité.