Colonies : main basse sur la vallée du Jourdain
Contraires au droit international, les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont plus un problème aux yeux des États-Unis, qui proposent, dans leur plan présenté en janvier 2020, leur annexion par Israël. Quatre mois plus tôt, le Premier ministre, Benyamin Netanyahou (depuis 2009), avait même promis de prendre la vallée du Jourdain. Comment ces implantations fonctionnent-elles et quelle est leur importance économique ?
Entre 1978 et 2019, à l’instar d’une grande partie de la communauté internationale, les États-Unis considéraient comme illégales les colonies israéliennes au-delà de la Ligne verte, frontière de facto fixée à l’issue de la guerre des Six Jours de 1967 entre l’État hébreu et les Territoires palestiniens. Mais le revirement de la position américaine sonne comme un soutien de l’administration Trump (depuis 2017) au Likoud, le parti de Benyamin Netanyahou. Sorti victorieux des législatives de mars 2020 (avec 36 sièges sur 120), celui-ci est historiquement favorable à la politique de colonisation, quand bien même elle contrevient à plusieurs réglementations internationales, telles la Convention de Genève ou la résolution 2334 (décembre 2016) du Conseil de sécurité des Nations unies, qui exige l’arrêt « immédiat et complet » de toute activité de peuplement en Territoire palestinien.
Un Israélien sur dix
La colonisation commence par l’installation de populations dans les Territoires palestiniens occupés par Israël au lendemain de la guerre des Six Jours. Dans le cadre d’opérations menées d’abord par l’état-major, puis par des activistes religieux soutenus par le gouvernement, la colonisation s’accélère et ne connaît de ralentissement ni pendant les deux Intifadas (1987-1993, 2000-2005) ni durant les négociations de paix malgré les accords d’Oslo (1993) censés la geler. Les ONG, comme Peace Now, dénoncent la légalisation d’implantations « sauvages » et l’approbation de la construction de plusieurs milliers de logements par le gouvernement, qui souhaite dépasser le million de colons. Si, au départ, la colonisation était restreinte autour de zones stratégiques et de Jérusalem, elle s’est rapidement étendue. Ainsi, fin 2017, 131 implantations sont établies (ainsi que 110 autres sauvages), peuplées de 413 400 personnes, selon les chiffres reconnus de l’ONG B’Tselem (622 670 en incluant Jérusalem-Est), de sorte qu’un Israélien sur dix est un colon.
Plusieurs raisons encouragent les Israéliens à s’installer en Cisjordanie. La première est purement religieuse : menée par les ultraorthodoxes, à la tête de familles nombreuses, cette implantation vise une vie en retrait de la société moderne, sur la terre promise de « Judée et Samarie », selon la dénomination biblique de la Cisjordanie, autour des premiers lieux saints du judaïsme, le mur des Lamentations à Jérusalem-Est et le tombeau des Patriarches à Hébron.
Cette tendance est à relier à la montée en puissance des partis religieux depuis les années 2000.
Car la colonisation s’explique essentiellement par des facteurs politiques, et s’inscrit dans une idéologie sioniste et néosioniste : des colons ultranationalistes partent afin de former un « Grand Israël » s’étendant de la Méditerranée au Jourdain. En témoigne le mouvement nationaliste du Foyer juif (qui rejoint la coalition Yamina en 2019, remportant six sièges aux élections de mars 2020), un soutien solide dans la formation des coalitions de droite depuis 2009.
La troisième est économique : la colonisation est encouragée par le gouvernement qui ne lésine pas sur les moyens tels que l’octroi d’avantages fiscaux, de prêts immobiliers à faible taux d’intérêt, de subventions ou de logements pour attirer des jeunes chassés des villes par les prix des logements. Ainsi, à TelAviv, le prix moyen d’un appartement s’élève à 536 000 euros, contre 250 000 à Ariel, située à moins de 40 kilomètres de la métropole côtière. Les colons dits « économiques » représenteraient 80 % des Israéliens en Cisjordanie et 40 % des implantations.
Au détriment des Palestiniens
L’économie est l’un des enjeux les plus conflictuels de la colonisation. Si elle s’accompagne d’une amélioration des infrastructures en Cisjordanie, cet équipement se fait surtout au bénéfice des entreprises israéliennes, souvent prospères, dont la production repose sur l’accaparement des ressources palestiniennes.
La question de l’eau est sensible : tandis que les agriculteurs palestiniens voient leurs sources taries ou inaccessibles du fait de l’occupation militaire, les colonies, approvisionnées par des puits ultramodernes, capteraient 80 % des ressources en eau de Cisjordanie, où la vallée du Jourdain est particulièrement riche.
Cette situation est régulièrement dénoncée, comme par des ONG réclamant un boycott sur l’importation de produits depuis les colonies. L’ONU a publié début 2020 une liste de 112 entreprises en relation avec les colonies, telles que Alstom ou Airbnb (1). Le 12 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu obligatoire la mention « Territoires occupés par l’État d’Israël » sur les produits (agricoles et manufacturés) importés depuis les colonies. Certaines entreprises israéliennes installées dans celles-ci et qui ne souhaitent pas contrarier leur premier partenaire commercial (les échanges entre Israël et l’UE se chiffraient à 36,2 milliards d’euros en 2017) se relocalisent « intra-muros ».
La position américaine, avec la reconnaissance des colonies et la décision déjà critiquée d’accepter Jérusalem comme capitale en décembre 2017, apparaît ainsi comme un obstacle de plus au processus de paix au Proche-Orient.