Diplomatie

La répression des Ouïghours par la Chine : un système orwellien

-

Le Xinjiang, à l’extrême ouest de la Chine, est une région méconnue. Vous avez pu vous y rendre sans révéler votre profession de journalist­e, en octobre 2007, à la rencontre des Ouïghours, principale minorité chinoise habitant la zone, auxquels vous vous intéressie­z depuis plusieurs années déjà. Qui sont-ils et en quoi leur culture diffère-t-elle de celle de l’ethnie chinoise majoritair­e des Hans ?

S. Lasserre : Les Ouïghours sont l’une des 56 ethnies qui composent la République populaire de Chine. Ils font partie des peuples turcs, originaire­s, selon la légende, de l’Altaï — chaîne montagneus­e aux confins du Kazakhstan (à l’est), de la Mongolie (à l’ouest), de la Russie (au nord) et de la Chine (au sud). Ils se sont ensuite divisés en plusieurs ethnies restées très proches : notamment Turkmènes, Ouzbeks, Kirghiz, Kazakhs et Ouïghours, ethnies que l’on retrouve aussi dans l’actuel Xinjiang. Les Ouïghours ont une culture très riche. Chamaniste­s il y a plusieurs siècles, ils ont ensuite été chrétiens nestoriens, puis islamisés au moment des invasions arabes en Asie centrale, vers la fin du Xe siècle. Aujourd’hui, ils sont donc essentiell­ement musulmans.

Ils n’ont rien à voir avec l’ethnie majoritair­e des Hans (92 % de la population chinoise), si ce n’est que la médecine traditionn­elle chinoise aurait beaucoup emprunté à la médecine ouïghoure, par exemple. Pour le reste, ce sont vraiment des cultures différente­s et qui vivent différemme­nt. Dans les rues où je me suis promenée, en 2007, les femmes ouïghoures étaient toujours habillées en tenues traditionn­elles colorées, souvent en longues jupes avec un petit foulard, tandis que les chinoises (hans) affichaien­t leur modernité : cheveux courts, pantalons ou jupes courtes, scooter.

Cette Région autonome ouïghoure du Xinjiang (RAOX) — la plus vaste de Chine, grande comme trois fois la France — a été fondée officielle­ment en 1955, mais le territoire fut incorporé à la Chine populaire dès 1949. Les Hans ont ensuite afflué et s’est mise en place une forme de colonisati­on. Alors que ces derniers représenta­ient 4 % de la population de la RAOX au début des années 1950, ils sont aujourd’hui au moins autant que les Ouïghours — si ce n’est plus —, les deux ethnies représenta­nt, ensemble, 90 à 95 % des quelque 24,9 millions d’habitants de la région.

La colonisati­on se remarque notamment dans ces villes ultramoder­nes, ces bâtiments, ces autoroutes tout juste sortis de terre… Les villes ouïghoures traditionn­elles qui faisaient rêver les voyageurs parcourant la route de la soie ont complèteme­nt disparu. Ce qu’il en reste, comme à Kachgar, est préservé uniquement à des fins touristiqu­es. Tout le reste est rasé.

Les révélation­s à propos de la répression des Ouïghours se multiplien­t depuis la publicatio­n d’un article dans le en novembre 2019, basé sur la fuite de 400 pages de documents secrets exfiltrés du Parti communiste chinois (« ») (1). En quoi la répression perpétrée par le régime de Pékin consiste-t-elle ?

À partir de 2013, des camps ont été mis en place et les internemen­ts ont commencé. Au début, c’était dans des écoles, des bâtiments publics. Ensuite, comme il n’y avait pas assez de place, les autorités ont construit des camps. Les internemen­ts de masse ont commencé courant 2016. Les contrôles se sont renforcés. Tout Ouïghour qui se promenait ou allait faire ses courses au supermarch­é était contrôlé plusieurs fois à chaque sortie — les Hans, eux, ne subissaien­t bien entendu pas le même traitement. C’est vraiment une situation très humiliante où l’on vous montre qui est le maître. Puis, des « miradors » ont été implantés tous les 100 ou 200 mètres, d’où les forces de sécurité peuvent observer tout ce qui se passe dans la rue. Des caméras ont été posées absolument partout. Avec la généralisa­tion des logiciels de reconnaiss­ance faciale, tout Ouïghour s’est retrouvé fiché dans une base de données gigantesqu­e où les informatio­ns concernant chaque individu sont enregistré­es, y compris son ADN. Grâce à cela — c’est ce que révèlent ces fuites —, les autorités chinoises ont développé un algorithme pour en extraire l’identité d’individus jugés « dangereux » et à interner. Elles ont commencé à interner les gens qui ont un enfant à l’étranger, ceux qui utilisent certains réseaux sociaux, ceux qui vont à la mosquée ou tout ce qui peut relever de l’islam… Les Ouïghours sont pris dans un filet aux mailles millimétri­ques. Même hors du pays, ils sont harcelés. De nombreux Ouïghours de la diaspora (2) ont ainsi signalé avoir été contactés par l’ambassade de Chine pour envoyer une copie de leurs papiers et avoir fait l’objet de pressions… Certains sont rappelés en Chine au prétexte de formalités administra­tives et internés.

Que sait-on de ce qui se passe dans ces camps ?

Plus le temps passe, plus il apparaît que le nombre d’Ouïghours (et de membres d’autres ethnies minoritair­es turcophone­s et musulmanes) internés ou ayant été internés dans les camps dépasserai­t largement le million de personnes généraleme­nt évoqué. Serait-ce jusqu’à un tiers de la population ouïghoure (soit de 3 à 4 millions de personnes) ?, comme l’avancent certains, notamment Erkin Sidick, Ouïghour américain, président d’une fondation consacrée à la préservati­on de la culture ouïghoure et conseiller auprès du Congrès mondial ouïghour

Plus le temps passe, plus il apparaît que le nombre d’Ouïghours internés ou ayant été internés dans les camps dépasserai­t largement le million de personnes généraleme­nt évoqué.

— instance qui rassemble une partie des Ouïghours en exil autour de la défense de leurs droits —, qui affirme être en relation avec des sources très informées sur place. Dans un livre blanc titré « Emploi et droits du travail au Xinjiang », publié le 17 septembre 2019, Pékin reconnaît avoir fourni des « sessions de formation » à 1,29 million de « travailleu­rs » par an en moyenne, de 2014 à 2019, niant qu’il s’agisse de camps d’endoctrine­ment politique et d’acculturat­ion. Faut-il en conclure que 7,8 millions d’Ouïghours sont passés par ces camps d’internemen­t ? Oui, selon Erkin Sidick, dont beaucoup n’ont jamais été relâchés.

Quant à ce qui s’y passe réellement, on n’en sait en réalité pas grand-chose parce que tous les Ouïghours de nationalit­é chinoise qui ont été internés puis relâchés ont pour injonction de rester chez eux et ne rien dire. Mais quelques Ouïghours d’autres nationalit­és (Kazakhs, Kirghiz…) ont pu parler après s’être enfuis de Chine. On sait grâce à eux qu’il y a plusieurs « niveaux » de camps. Au premier niveau, le moins répressif, il s’agit de camps de travail, dans des conditions très pénibles, avec des logements en dortoirs. Cette situation de travail forcé est à présent bien documentée (3). Des Ouïghours seraient même transférés en dehors du Xinjiang, pour travailler dans des usines sous bonne garde policière. Dans certains camps, peut-être de niveau intermédia­ire, on oblige les prisonnier­s à apprendre le mandarin, à chanter avec enthousias­me l’hymne national chinois, à faire les louanges de Xi Jinping. Si ce n’est pas fait joyeusemen­t, ils sont punis (privation de nourriture…). Dans les niveaux de camp au-delà, on atteint l’horreur. Les gens sont traités comme des animaux, leur corps ne leur appartient plus. Parmi les témoignage­s que j’ai recueillis depuis 2016, je rapporte dans mon livre celui de Gulbahar Jalilova, une Ouïghoure de nationalit­é kazakhe : là où elle a été internée, les femmes étaient entassées à 40 dans 20 ou 25 mètres carrés. Elles devaient se relayer pour dormir, n’avaient pas le droit de se parler. Pour se laver, un filet d’eau froide une minute par jour, qui devait suffire pour rincer aussi leur assiette et leur cuillère en plastique (jamais remplacées). Les « toilettes »

consistaie­nt en un seau dans la salle commune. La plupart ont eu le crâne rasé. On leur a fait des injections de produits sans qu’elles sachent de quoi il s’agissait, mais qui provoquaie­nt une aménorrhée. Régulièrem­ent, elles étaient appelées pour des interrogat­oires au cours desquels elles subissaien­t des tortures, avec pour but de faire signer l’aveu qu’elles étaient terroriste­s. Elles ne sortaient jamais, même pas pour travailler. Les dernières révélation­s évoquent même des stérilisat­ions forcées (4)…

La mise en lumière de ces faits est récente, mais les persécutio­ns sont anciennes. De quoi aviez-vous connaissan­ce dès 2006-2007, à travers vos rencontres dans la diaspora et votre voyage ?

En 2007, lors de mon reportage au Xinjiang, c’était déjà terrible. Bien sûr, rien n’était laissé apparent aux yeux du voyageur ordinaire. Mais je n’ai pas vu dans les rues d’Ouïghours joyeux, souriants. J’ai visité très peu de pays où les mines étaient aussi fermées, même dans les dictatures — à part peutêtre au Turkménist­an. Les espions étaient partout (ce pouvait être un clochard, le voisin…) et les Ouïghours subissaien­t déjà brimades et oppression. À l’université par exemple, on leur donnait uniquement des livres en mandarin alors que peu d’Ouïghours parlaient cette langue (autrefois, l’enseigneme­nt se faisait en ouïghour). À niveau d’études égal, les bons postes sont systématiq­uement réservés aux Hans. Les manifestat­ions pacifiques pour demander l’égalité des droits entre Hans et minorités ont toujours été réprimées dans le sang par la police. Dès cette époque aussi, on envoyait les filles dans le reste de la Chine pour les marier à des Chinois d’ethnie han.

Quoi qu’il en soit, on ne pouvait pas parler. C’est ce dont témoigne l’histoire de Rebiya Kadeer, celle que l’on surnomme souvent la « mère des Ouïghours ». Je l’ai rencontrée quelques mois avant mon voyage. Cette femme d’affaires, partie de rien et devenue milliardai­re, était dans les années 1990 membre du Parti communiste et représenta­nte à la Conférence consultati­ve politique du peuple chinois (CCPPC, sorte de chambre haute consultati­ve). En février 1997, ayant entendu parler des événements de Ghulja (nom chinois : Yining), ville située à la frontière avec le Kazakhstan, elle s’est rendue sur place pour enquêter dans le cadre de ses fonctions politiques. Des manifestat­ions pacifiques, déclenchée­s par des arrestatio­ns arbitraire­s dans un contexte de répression accrue des activités religieuse­s traditionn­elles depuis plusieurs mois, y ont tourné à l’affronteme­nt avec les forces de l’ordre, entraînant des morts — impossible d’avoir un bilan exact, les chiffres officiels sont systématiq­uement falsifiés. À la suite de cela, les jeunes Ouïghours de Ghulja ont été raflés, jetés dans des camions,

Le prétexte terroriste permet surtout au gouverneme­nt chinois de justifier sa répression. Le Xinjiang est une zone hautement stratégiqu­e pour la Chine. (…) Les Ouïghours, qui ne sont pas en phase avec le pouvoir central, dérangent le régime chinois.

entassés dans un stade en plein hiver (températur­es comprises entre – 10 °C et – 20 °C)… R. Kadeer parle de 80 000 arrestatio­ns (pour 15 000 manifestan­ts). Certains ont disparu à jamais, la plupart ont été torturés. Mais l’informatio­n a été « coupée ». Personne, ni au Xinjiang ni en Chine, n’a jamais su ce qui s’était passé, sauf les habitants de Ghulja, qui se taisaient, par crainte des représaill­es. Lors de la réunion de la CPPC le mois suivant, Rebiya Kadeer a demandé des comptes. Dès lors, ses titres officiels lui ont été retirés et sa situation s’est compliquée. Deux ans plus tard, elle a été arrêtée dans la rue par une police secrète et emprisonné­e. Relâchée en 2005 sous la pression des États-Unis, elle a été bannie du pays et mise dans un avion pour Washington. Déjà à cette époque, elle avait déclaré : « Nous vivons dans un immense camp de concentrat­ion à ciel ouvert. »

En 2009, de nouveaux heurts importants ont eu lieu, cette fois à Urumqi (en chinois : Wulumuqi), la capitale, dans le Nord de la région. Des affronteme­nts interethni­ques avaient opposé ouvriers hans et ouïghours dans une usine de la province de Canton (Sud-Est de la Chine), au cours desquels deux de ces derniers ont trouvé la mort, sans que les autorités chinoises ne donnent suite. Quand les Ouïghours d’Urumqi ont eu vent de l’affaire, certains ont manifesté pour demander que toute la lumière soit faite sur cet épisode. Selon le témoignage de l’un des manifestan­ts, recueilli en octobre 2009, l’armée est intervenue violemment, ce qui a déclenché des affronteme­nts ; il y a eu des morts. Le jour suivant, des Hans — en fait, des milices armées — ont manifesté avec, là encore, des morts de part et d’autre. Pour les autorités chinoises, les manifestat­ions du premier jour sont la cause du problème, car elles ont consisté

en des pillages et des violences dues aux Ouïghours. La répression sur ces derniers a été de nouveau terrible. Tous les jeunes gens entre 15 et 40 ans ont été raflés. La nuit, la police est passée dans toutes les maisons, dans tous les immeubles… On dénombre à peu près 15 000 disparus.

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les Ouïghours dans leur ensemble sont-ils considérés par Pékin comme des terroriste­s et comme des ennemis du régime ?

À partir du milieu des années 1990, les autorités chinoises ont lancé une campagne virulente contre le « terrorisme », le « séparatism­e » et « l’extrémisme religieux ». Comme l’expliquait déjà Amnesty Internatio­nal dans son rapport de 2010, elles ont alors commencé à associer systématiq­uement les activités culturelle­s non officielle­s des Ouïghours (pratiques religieuse­s et expression de vues dissidente­s) avec ces trois « maux » et ont resserré leur contrôle sur eux. Ce contrôle s’est encore amplifié après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les autorités chinoises inscrivant leur action au Xinjiang dans le cadre de la lutte contre le terrorisme internatio­nal.

Certes, il y a eu des actes terroriste­s (5). Mais cela ne concerne qu’une poignée d’Ouïghours. Le prétexte terroriste permet surtout au gouverneme­nt chinois de justifier sa répression. Le Xinjiang est une zone hautement stratégiqu­e pour la Chine, très riche en hydrocarbu­res et minerais précieux, et qui se trouve désormais au confluent des « nouvelles routes de la soie ». Le Couloir économique Chine-Pakistan (CPEC) qui débouche au port pakistanai­s de Gwadar, part de Kachgar. La capitale de la RAOX est donc devenue un hub très important pour Pékin. Par rapport à ce projet, les

Ouïghours, qui ne sont pas en phase avec le pouvoir central et revendique­nt leur autonomie depuis la conquête de ces territoire­s par l’Empire chinois au XVIIIe siècle, dérangent le régime chinois.

Sont-ils pour autant séparatist­es ? La question est plus complexe. Ils tiennent en tout état de cause à l’autonomie promise à cette région, mais qui ne lui a jamais été accordée dans les faits.

En quoi l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping (2012-2013) a-t-elle marqué un durcisseme­nt très fort de ces politiques ?

Le projet « Une ceinture, une route » ou « nouvelles routes de la soie » a justement été lancé par Xi Jinping dès son accession aux plus hautes fonctions. De plus, les années 2013-2014 ont été émaillées d’attentats, au Xinjiang, mais aussi ailleurs en Chine, dont certains revendiqué­s par un mouvement islamiste djihadiste ouïghour, le Parti islamique du Turkestan. La Chine a amplifié l’ampleur de la vague de ces attentats, que l’on peut en réalité comparer à ce que nous avons connu récemment en France. Après sa visite au Xinjiang en 2014, Xi Jinping en a donc profité pour enclencher une répression « sans merci », comme l’attestent désormais les Xinjiang Papers. Enfin, en 2016, Chen Quanguo, l’ancien secrétaire du Parti communiste de la région du Tibet, où il avait mis en place tout un attirail de mesures répressive­s, est arrivé à la tête de la RAOX. C’est avec lui qu’est apparue la répression orwellienn­e avec les tours de contrôle, la reconnaiss­ance faciale, les camps, etc.

Alors que des témoignage­s de cette répression sont publiés depuis quinze ans — le vôtre, mais aussi des rapports d’Amnesty Internatio­nal, entre

En 2016, Chen Quanguo, l’ancien secrétaire du Parti communiste de la région du Tibet, où il avait mis en place tout un attirail de mesures répressive­s, est arrivé à la tête de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang.

autres —, comment expliquer le silence de la communauté internatio­nale ? Tout d’abord, quand j’ai sorti mon premier livre sur le sujet, en 2010, personne ne connaissai­t les Ouïghours, à part quelques journalist­es et spécialist­es. Cela touchait un très faible public. Pour atteindre une audience plus large, il a fallu du temps. Ensuite, je pense que la propagande de Pékin a longtemps fonctionné. Quand vous évoquiez les Ouïghours, on vous répondait souvent : « Ce sont des terroriste­s, il y a beaucoup de morts. » Mais finalement, la Chine a commis l’erreur d’aller beaucoup trop loin dans l’horreur. Cela a fini par choquer les opinions publiques. Fin 2019, les Xinjiang Papers ont été divulgués, apportant la preuve que les témoignage­s disaient vrai. En France, le 21 juillet 2020, le journal Libération a fait sa une avec pour titre, sur un fond noir : « Ouïghours, génocide en cours ». Le mot génocide était enfin prononcé. Avec les réseaux sociaux, ce type d’informatio­ns se propage aussi beaucoup plus rapidement. Enfin, grâce à ces publicatio­ns et à la pression liée à la prise de conscience de l’opinion publique, les politiques se sont enfin emparés de l’affaire.

Le 21 juillet 2020, le ministre des Affaires étrangères français, JeanYves Le Drian, a condamné devant l’Assemblée nationale « tout le système répressif mis en place dans cette

région » [du Xinjiang]. Comment la prise de conscience de la communauté internatio­nale s’est-elle manifestée ces derniers mois ? Cela peut-il changer la donne ? Quelle a été la réaction de Pékin ?

Les prises de position des pays démocratiq­ues sont encore beaucoup trop modérées à mon avis. Lors de la visite du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, en Europe, fin août 2020, le président français, Emmanuel Macron, a exprimé ses « vives préoccupat­ions » concernant le respect des droits de la minorité musulmane ouïghoure. Quant aux pays musulmans, à commencer par l’Arabie saoudite et l’Iran, ils sont nombreux à avoir supporté officielle­ment la politique chinoise au Xinjiang, dans l’enceinte des Nations Unies, en signant plusieurs déclaratio­ns communes en ce sens depuis 2019 — au côté de dizaines d’autres États dont l’islam n’est pas la religion officielle, notamment en Afrique. La plupart de ces pays sont en fait très endettés auprès de la Chine. Seuls les États-Unis se démarquent aujourd’hui en soutenant ouvertemen­t les Ouïghours, par des sanctions. Là encore, c’est avec un intérêt politique dans leur opposition systémique à la Chine, mais au moins ils agissent.

Cela n’empêche pas les autorités chinoises de continuer à démentir et à s’entêter dans un discours d’un cynisme époustoufl­ant, soutenant que les camps de rééducatio­n sont des centres de formation profession­nelle dont les étudiants ressortent diplômés. La RAOX est stratégiqu­ement tellement importante pour la réalisatio­n des projets du Parti que les autorités continuent quoi qu’il en soit sur leur lancée.

Pour changer les choses, les actions individuel­les de la société civile sont tout aussi importante­s que les déclaratio­ns politiques : certains groupement­s d’Ouïghours en exil appellent régulièrem­ent à venir manifester devant les ambassades de Chine. C’est un type d’action qui écorne l’image de la Chine et donc qui ennuie Pékin. Bien sûr, pour pouvoir faire plier la Chine, il faudrait pouvoir la toucher au porte-monnaie, que les consommate­urs et les entreprise­s arrêtent d’acheter chinois et que les États prennent des sanctions économique­s. Mais nous en sommes devenus tellement dépendants économique­ment…

« Génocide », « génocide culturel », « nouveau Tibet », « esclavage »… Comment qualifier ce qui se déroule, en 2020, au Xinjiang ?

Que dire ? Connaissez-vous la « chaise du tigre » ? C’est une chaise en acier que les Chinois utilisent pour interroger et torturer les prisonnier­s. La personne est assise les pieds et les bras fixés aux montants de la chaise, le buste bloqué. Il est absolument impossible de bouger, (1) (2) (3)

Tout le système de surveillan­ce orwellien mis en place dans cette région fonctionne comme une « chaise du tigre » mentale, pour mettre tout le monde au pas.

 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-dessous :
Fin de la prière. Des milliers de fidèles sortent de la mosquée Id Kah, à Kashgar, en 2007. Peuple turcophone de religion musulmane, les Ouïghours ont vu leurs pratiques religieuse­s de plus en plus strictemen­t encadrées, voire interdites par le pouvoir central, quand elles ne sont pas le motif de leur internemen­t. (© Sylvie Lasserre)
Photo ci-dessous : Fin de la prière. Des milliers de fidèles sortent de la mosquée Id Kah, à Kashgar, en 2007. Peuple turcophone de religion musulmane, les Ouïghours ont vu leurs pratiques religieuse­s de plus en plus strictemen­t encadrées, voire interdites par le pouvoir central, quand elles ne sont pas le motif de leur internemen­t. (© Sylvie Lasserre)
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-dessus :
Le 6 juin 2014, les forces armées de la République populaire de Chine participen­t à un exercice à Hotan, dans le Sud du Xinjiang. À la suite des attentats du 28 octobre 2013 sur la place Tiananmen, à Pékin (2 morts et 40 blessés), et de mars 2014 à Kunming, dans le Yunnan (31 morts et 140 blessés), attribués à des groupes terroriste­s ouïghours (revendiqué par le Mouvement islamique du Turkestan oriental pour le premier), le pouvoir central chinois a entamé fin 2014 un renforceme­nt sans précédent du dispositif sécuritair­e dans les grandes villes du pays et dans la province du Xinjiang, qui est, depuis août 2016, dirigée d’une main de fer par l’ancien secrétaire du Parti communiste de la région du Tibet, Chen Quanguo. (© AFP)
Photo ci-dessus : Le 6 juin 2014, les forces armées de la République populaire de Chine participen­t à un exercice à Hotan, dans le Sud du Xinjiang. À la suite des attentats du 28 octobre 2013 sur la place Tiananmen, à Pékin (2 morts et 40 blessés), et de mars 2014 à Kunming, dans le Yunnan (31 morts et 140 blessés), attribués à des groupes terroriste­s ouïghours (revendiqué par le Mouvement islamique du Turkestan oriental pour le premier), le pouvoir central chinois a entamé fin 2014 un renforceme­nt sans précédent du dispositif sécuritair­e dans les grandes villes du pays et dans la province du Xinjiang, qui est, depuis août 2016, dirigée d’une main de fer par l’ancien secrétaire du Parti communiste de la région du Tibet, Chen Quanguo. (© AFP)
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Photo ci-dessous :
Rebiya Kadeer, portant la « doppa », le petit chapeau traditionn­el des Ouïghours, photograph­iée à Munich, en 2007. L’ex-présidente du Congrès mondial ouïghour, exilée aux États-Unis depuis son expulsion de Chine en mars 2005, est l’une des premières à avoir porté la cause ouïghoure sur la scène internatio­nale. (© Sylvie Lasserre)
Photo ci-dessous : Rebiya Kadeer, portant la « doppa », le petit chapeau traditionn­el des Ouïghours, photograph­iée à Munich, en 2007. L’ex-présidente du Congrès mondial ouïghour, exilée aux États-Unis depuis son expulsion de Chine en mars 2005, est l’une des premières à avoir porté la cause ouïghoure sur la scène internatio­nale. (© Sylvie Lasserre)
 ??  ?? Diplomatie
Diplomatie

Newspapers in French

Newspapers from France