Sommet de Woodside : une nouvelle chance pour le couple Joe Biden-Xi Jinping ?
Bien que positive, la rencontre entre les présidents Biden et Xi mi-novembre 2023 en marge du sommet de l’APEC n’a pas apporté d’avancée majeure, les dossiers de discorde entre les deux puissances restant nombreux et importants.
Le 15 novembre 2023, les chefs d'État des États-Unis et de la Chine ont tenu à Woodside (Californie) un sommet très attendu après une année 2023 compliquée et caractérisée par la méfiance et la défiance. Le dernier sommet entre les deux pays, organisé à Bali en marge du sommet du G20 en 2022, avait abouti à la déclaration de Bali, supposée définir un cadre pour la relation bilatérale. L'incident du ballon chinois en février 2023 a toutefois forcé les Américains à annuler une visite du secrétaire d'État Antony Blinken à Pékin ; s'en sont suivis plusieurs mois tendus sans réel dialogue.
Un sommet sans surprise
Le sommet de novembre 2023 a ainsi permis avant tout de rétablir le dialogue entre les présidents Xi et Biden et a été considéré par les deux parties comme constructif, les deux présidents insistant sur l'importance de ce dialogue. Dans ses remarques préliminaires, le président Biden a déclaré : « J'apprécie notre conversation car je pense qu'il est primordial que vous et moi nous comprenions clairement de leader à leader, sans idées fausses ni mauvaise communication. » Il a également insisté sur le fait qu'il existait une compétition entre les deux États et qu'il s'agissait avant tout de la gérer de manière responsable afin d'éviter qu'elle ne se transforme en conflit voire en confrontation, ou en une nouvelle guerre froide (1). Le président Xi a pour sa part estimé que « tourner le dos à l'autre n'[était] pas une option » et a insisté sur le fait qu'il y avait de la place et pour la Chine et pour les États-Unis. Afin que ce sommet puisse avoir lieu, il a été précédé de
nombreuses visites et rencontres entre les délégations américaines et chinoises. L'administration Biden, en particulier, a entamé un nouveau dialogue avec la Chine, qui s'est traduit par la visite de nombreux membres du gouvernement américain en Chine au cours de l'été 2023. Au cours de cette période, les deux puissances ont convenu de mettre en place de nouveaux groupes de travail sur les questions relatives à la région Asie-Pacifique et sur les questions maritimes (2). Ces groupes de travail devraient remplacer les dialogues officiels considérés comme « trop axés sur le processus plutôt que sur les résultats » (3). Lors d'une rencontre à Pékin consacrée au changement climatique le 17 juillet, John Kerry a déclaré : « Nous [les Américains] espérons que cette réunion marquera le début d'une nouvelle définition de la coopération [sur le climat] et de la capacité à résoudre nos différends. » Wang Yi s'est fait l'écho de ces propos le lendemain : « La coopération sur le changement climatique progresse entre la Chine et les États-Unis, nous avons donc besoin du soutien conjoint des peuples des deux pays […]. Nous avons besoin d'une relation saine, stable et durable entre la Chine et les États-Unis. » En août 2023, Washington et Pékin ont également convenu de mettre en place un groupe de travail pour « rechercher des solutions sur les questions de commerce et d'investissement et faire progresser les intérêts commerciaux américains en Chine ». En septembre 2023, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan a rencontré le ministre des Affaires étrangères Wang Yi à Malte pour « maintenir des lignes de communication ouvertes et gérer les relations de manière responsable » (4). Cette rencontre sera suivie d'une visite de Wang Yi fin octobre aux États-Unis. Enfin, début novembre se sont tenues des réunions au niveau des groupes de travail concernant le contrôle des armements et la prolifération, et la situation en mer de Chine méridionale. Si l'on ne pouvait s'attendre à de grandes avancées, le sommet a toutefois permis quelques progrès. Ainsi, les deux partis ont annoncé le 14 novembre une plus grande collaboration en matière de lutte contre le changement climatique (Sunnylands statement on enhancing cooperation to address the climate crisis). Ils se sont entre autres engagés à collaborer sur la pollution du plastique et du méthane. Ils ont également déclaré mettre en place des consultations concernant l'intelligence artificielle, et rétablir le dialogue de militaire à militaire qui avait été suspendu suite à la visite de Nancy Pelosi à Taïwan en août 2022. Dans ce cadre, un élément important est la reprise des conversations téléphoniques entre les commandants de théâtre. Les deux dirigeants se sont également engagés à mettre sur pied un groupe de travail pour discuter de la fabrication et du trafic du fentanyl, qui tue plus de 100 000 personnes chaque année aux ÉtatsUnis. Il faudra toutefois voir si cela aboutit à un quelconque résultat, la Chine s'étant déjà engagée concernant cette question sous l'administration Trump, sans y donner suite. Enfin, les deux chefs d'État se sont mis d'accord pour renforcer les relations « de personne à personne » en accroissant les vols entre les deux pays et les échanges étudiants, du monde des affaires, de la culture et du sport.
Comme attendu, il n'y a pas eu d'avancées sur des sujets majeurs tels que le commerce et les nouvelles technologies, l'Ukraine ou Taïwan. Sur ce dernier sujet, les États-Unis ont réaffirmé leur position officielle du statu quo et d'une solution pacifique de la question. Cela étant, si les mesures annoncées au sommet et les mois précédents sont suivies de mesures concrètes, cela pourrait enclencher une dynamique positive, renforcer la confiance entre la Chine et les États-Unis et entraîner un effet boule de neige pour s'attaquer aux questions qui fâchent.
Il n’y a pas eu d’avancées sur des sujets majeurs tels que le commerce et les nouvelles technologies, l’Ukraine ou Taïwan. Sur ce dernier sujet, les États-Unis ont réaffirmé leur position officielle du statu quo et d’une solution pacifique de la question.
La compétition reste le maître-mot
Si les questions autour de Taïwan et de la mer de Chine méridionale sont bien connues et abondamment analysées, il y a d'autres dossiers qui méritent tout autant d'attention, à savoir la géoéconomie et l'enjeu spatial.
Au centre de la compétition géoéconomique se trouve la quatrième révolution industrielle (intelligence artificielle, semi-conducteurs, informatique quantique, biotechnologie, cybernétique, 5-6G, etc.), moteur de la puissance économique, politique, normative et militaire de demain. La souveraineté économique devient la nouvelle règle. Ainsi, les gouvernements suivent une logique de « Made in… » et encouragent le backsourcing (« réinternalisation »). Lorsqu'il n'est pas possible de contrôler la chaîne logistique, ils encouragent une diversification maximale des partenaires commerciaux afin de ne pas dépendre d'un seul pays et risquer une (inter)dépendance asymétrique qui pourrait devenir source de chantage. En
conséquence, Chine et États-Unis sont de plus en plus désireux de créer et de contrôler leurs propres écosystèmes, en particulier dans les domaines dits stratégiques. Les États-Unis encouragent le concept de friendshoring (également appelé allyshoring), c'est-à-dire la fabrication et l'approvisionnement auprès d'alliés et de partenaires stratégiques. Le friendshoring et le nearshoring (5) ont un avantage potentiel par rapport au reshoring : ils sont moins coûteux. Du côté chinois, il s'agit de développer la circulation duale, à savoir deux économies. Une économie restera en contact avec le reste du monde, caractérisée idéalement par des relations économiques asymétriques et une dépendance envers la Chine, tandis que l'autre mettra l'accent sur les demandes intérieures et donc sur le marché intérieur. En appliquant cette logique, la Chine espère devenir une puissance économique autosuffisante, capable de contrôler la chaîne de production et de veiller à ce qu'elle soit nationale ou régionale, que ce soit dans les domaines de la technologie, de l'énergie, de la finance ou de l'agriculture. Pour les deux puissances, il s'agit de développer une économie plus résistante aux chocs géopolitiques. Il n'est pour autant pas question d'entrer dans une logique de découplage total entre les deux pays. Les échanges subsisteront donc, mais ils seront caractérisés par le « de-risking » : l'établissement de restrictions au commerce de minéraux stratégiques et de technologies hautement sensibles et à double usage, lesquelles sont de plus en plus nombreuses en raison de la quatrième révolution industrielle. Ainsi ces dernières années, les États-Unis ont pris plusieurs mesures pour freiner les exportations dans le secteur des semi-conducteurs vers la Chine (2022 et 2023) ; en réaction, cette dernière a pris des mesures de rétorsion dans le secteur des terres rares. Suivant cette logique de repli, nous sommes entrés, d'après le rapport 2022 de l'Institut finlandais des affaires internationales, dans l'ère du capitalisme stratégique : l'État intervient « fortement dans les marchés et les industries qu'il juge importants du point de vue de la sécurité nationale, tout en adoptant une position libérale dans d'autres marchés et industries » (6). Moins d'interdépendance et d'intégration économique pourrait signifier plus de tensions dues à des écosystèmes fermés et un monde plus déconnecté, se caractérisant par des différences dans les normes commerciales, technologiques et numériques, les systèmes de paiement et les monnaies de réserve. De plus, un risque de retour à des logiques centre/périphérie, plus prononcées que par le passé, se dessine. Les conséquences risqueraient d'être importantes pour les pays peu ou pas développés, jusqu'ici attractifs en raison du coût de leur main-d'oeuvre, mais qui seront désormais trop peu qualifiés. Ces pays, déjà peu intégrés dans la mondialisation, risquent d'en être complètement exclus du fait de la régionalisation des économies. Enfin, le besoin de ressources, souvent situées à la périphérie, risque d'accroître les guerres par procuration.
Moins médiatisée et pourtant très présente, la compétition se poursuit également dans l'espace. Si les États-Unis sont la première puissance spatiale civile et militaire, disposant d'entreprises telles que SpaceX et Blue Origin, ou la NASA (budget autour de 25 milliards de dollars), ils sont fortement concurrencés aujourd'hui par les Chinois aussi bien dans les domaines civils que militaires. Depuis la mise en opération effective du 44e satellite de la constellation Beidou, la Chine possède maintenant son propre système de navigation mondial par satellites, Beidou 3, à une précision comparable (certains affirment même supérieure) à celle du GPS américain, à la fois pour les usages civils et militaires. Largement répandu dans le civil, le système de positionnement par satellite est avant tout un outil militaire permettant le guidage des missiles équipés d'un système de navigation par satellite. Un atout hautement stratégique, donc. Au-delà de Beidou, la Chine a également massivement investi dans les satellites de surveillance et de communication, tels que les satellites Yaogan, utilisés pour la reconnaissance et le renseignement ou encore les satellites Tianlian, pour les communications militaires cryptées. La technologie satellite permet ainsi à la Chine de développer ses capacités dans la collecte d'informations et la coordination, notamment au sein des différentes branches de l'armée. Ces avancées technologiques dans le domaine de l'aérospatial permettent à Pékin, grâce à la fusion civilo-militaire, de nourrir le développement et la modernisation de son arsenal balistique. De son missile de 4e génération DF-41 à son bombardier H-6N, en passant par ses SSBN, Pékin développe sa triade pour accroître sa dissuasion stratégique et augmenter les chances de survie de son arsenal. Dans
Chine et États-Unis sont de plus en plus désireux de créer et de contrôler leurs propres écosystèmes, en particulier dans les domaines dits stratégiques.
le domaine hypersonique, la Chine avance à pas rapides, Washington peinant à rattraper les avancées scientifiques et technologiques de son concurrent. La Chine développe également un concurrent à Starlink, via StarNet, une entreprise publique visant à créer une « mégaconstellation de 12 992 satellites » (7). La compétition entre les deux pays se traduit également dans le domaine de l'espace civil avec une volonté des deux pays de retourner vers la Lune. Washington mise avant tout sur le projet « Artemis » (Lunar Orbital Platform-Gateway, Starship, Blue Moon, Space Act…), qui devrait aboutir d'ici 2029 au retour d'astronautes américains sur la Lune. Du côté chinois, il s'agit de poser pour la première fois un taïkonaute sur la Lune (via les différentes missions « Chang'e ») d'ici 2029, date symbolique (anniversaire des 80 ans de la RPC). Il s'agit aussi bien d'un concours de prestige que d'un enjeu potentiel de conquête vers Mars, d'exploitation des ressources minières (exemple : hélium-3) à moyen et long terme et de possibles revendications territoriales et de zones économiques exclusives.
Gérer la compétition
La compétition entre les deux puissances mène notamment à des différences significatives en matière de gouvernance, des économies moins interdépendantes, et une militarisation (weaponisation) de tous les domaines. Ces réalités, le sommet de Woodside ne les a pas effacées, malgré les sourires de façade et les déclarations positives.
L'année 2024 étant caractérisée aux États-Unis par une année électorale, il est peu probable que Washington prenne de nouvelles initiatives ; quant à la Chine, elle adoptera probablement une position attentiste, ce qui ne sous-entend pas que nous sommes à l'abri d'une nouvelle crise qui pourrait envenimer à nouveau les tensions bilatérales. Néanmoins, du fait de la compétition économique, technologique, militaire et idéologique, l'objectif des deux pays est de gérer leur relation sans attendre des percées importantes sur les dossiers qui exaspèrent. Il s'agit finalement de veiller à ce que la rivalité et la compétition ne se transforment pas en guerre hégémonique, ce qui est déjà un défi en soi ; éviter ce scénario serait un succès diplomatique majeur ! Aussi, ces sommets et rencontres sont primordiaux pour construire une relation de compréhension mutuelle et établir des règles pour gérer la relation (établissement de lignes rouges, de domaines de coopération…). Toutefois, si Woodside a rétabli le dialogue, a-t-il pour autant permis de (r)établir la confiance ? L'avenir le dira.
Dans le domaine hypersonique, la Chine avance à pas rapides, Washington peinant à rattraper les avancées scientifiques et technologiques de son concurrent.