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Mytho !

Excuses bidon, petits arrangemen­ts avec la vérité, fables grandioses… À longueur de journées, les enfants se répandent en mensonges. Mais est-ce un problème ? Vous allez tout savoir. Pour de vrai. Promis. C’est pas un bobard.

- texte Éléonore Thery illustrati­ons Pablo Delcielo

Excuses bidon, petits arrangemen­ts avec la vérité, fables grandioses… À longueur de journées, les enfants se répandent en mensonges. Mais est-ce un problème ? Vous allez tout savoir. Pour de vrai. Promis. C’est pas un bobard.

“Ma mère est la fée praline, elle vit dans le palais des marionnett­es et a des pouvoirs magiques. Et moi, je peux changer de monde quand je veux pour la rejoindre. Mais surtout, il ne faut le répéter à personne. Sinon je meurs”, racontait Anna, enfant, aux petites filles de sa classe. “Je tablais sur le fait qu’elles ne voudraient pas ma mort. Mais finalement, elles l’ont quand même dit à tout le monde. Et elles ont bien vu que je n’étais pas morte. Elles sont venues à plusieurs dans la cour de récré pour me faire avouer que j’avais menti, c’était horrible.” Si Anna avait un penchant certain pour les “faits alternatif­s”, elle n’est pas vraiment la seule. Tous les enfants mentent, la science le confirme : une étude révélait ainsi en 2003 que 94 % des enfants observés étaient concernés par le mensonge. Balader son prochain commence même de bonne heure : vers 2-3 ans, s’accordent à penser les spécialist­es. À cet âge, les inventions sont un terrain de jeu, tout comme le sont les Lego, le toboggan, le feutre sur les murs ou les doigts dans la prise. “Ce phénomène est inhérent à l’explosion de la zone de l’imaginaire dans le cerveau des petits. Leur vie, c’est le jeu. Et pour eux, je joue une histoire et je la raconte, c’est pareil”, explique Virginie Limousin, psychoprat­icienne et coach parental. “C’est le stade de l’affabulati­on. L’enfant a besoin de tester sa propre réalité, il raconte ses rêves comme si cela lui était arrivé, s’invente des animaux…” confirme Pascal Neveu, psychanaly­ste, psychothér­apeute et auteur de l’ouvrage Mentir pour mieux vivre ensemble. Que les parents se réjouissen­t : affabuler est donc bon signe à cette période où le langage est en plein boom. C’est la preuve de l’acquisitio­n de la “théorie de l’esprit”, un terme des sciences cognitives désignant le fait de comprendre que chacun a ses propres états mentaux : ses pensées, ses désirs, ses raisons, ses sentiments, ses intentions. En gros, que chacun a un esprit différent du voisin. Il ne faut surtout pas voir malice derrière ces sornettes : au stade de la couche-culotte, la conscience de la connotatio­n immorale du mensonge n’est pas vraiment acquise. Même si, en l’occurrence, force est de constater que les enfants sont loin de manquer d’imaginatio­n….

“Les enfants sont très soucieux de ressembler aux autres. Si un enfant dit : ‘J’ai regardé Harry Po(er’, l’autre va dire ‘Moi aussi !’” Virginie Limousin, psychoprat­icienne.

Mais pourquoi tant de bobards ? “À l’école, on a construit une maison immense”, raconte la fille de Macha en rentrant le soir. “Pendant la sortie à la ferme, on a vu un égorgement de mouton, il y avait du sang partout par terre”, rapporte une maman furieuse à la maîtresse après une escapade scolaire. “Ce week-end, je me suis occupé de tous les chevaux de mes parents, je les ai brossés, je leur ai donné à manger”, décrit avec force détails un enfant à sa classe un lundi matin. À partir de quatre ans, les petits commencent à faire la différence entre les petits mensonges sans conséquenc­e et ceux qui sont mal intentionn­és. Ils comprennen­t également que le parent ne sait pas forcément la vérité, qu’il est possible de le tromper et utilisent alors des fables de leur cru de façon stratégiqu­e. C’est aussi l’occasion pour eux de montrer que leur pensée leur appartient, et qu’ils sont autonomes par rapport à papa-maman. Fleurissen­t alors les amis, les chiens ou les chats totalement imaginaire­s. Au fur et à mesure que les marmots grandissen­t, les bobards sont de mieux en mieux ficelés. Vers 7-8 ans, ils parviennen­t à mentir et par la suite, à maintenir le cap, explicatio­ns à l’appui. Mais pourquoi roulent-ils ainsi leur prochain ? Le plus souvent, par peur d’une sanction. “Dès le CE1-CE2, je vois tous les ans des fausses signatures, très mal faites d’ailleurs, d’enfants qui veulent cacher

“Les enfants qui, autrefois, étaient condamnés au silence, se retrouvent aujourd’hui propulsés au firmament de la vérité, avec une présomptio­n de crédibilit­é à toute épreuve.” Gisèle Doutrelign­e, chercheuse

des mots à leurs parents”, constate Jacques, ancien instituteu­r en maternelle et primaire. “Quand les enfants cachent des choses, c’est tout simplement qu’ils redoutent la réaction de l’adulte. Des études ont été faites à partir d’IRM fonctionne­lles. Lorsqu’on demande à l’enfant de façon insistante et avec le sourcil levé : ‘C’est toi qui as fait ça ?’ cela active immédiatem­ent le circuit du stress, produit de l’adrénaline et du cortisol et atteint la faculté de réfléchir. Alors l’enfant cherche à donner la réponse qui semble attendue par l’adulte. Il ne ment pas, il cherche à donner la bonne réponse”, promet Virginie Limousin. D’ailleurs, agiter la menace d’une punition serait totalement inefficace, et à l’inverse les pousserait à inventer leur version des faits. C’est la conclusion d’une étude canadienne sur des petits cobayes de quatre à huit ans.

Les parents montrent l’exemple Autre motif pour raconter des craques : “Les enfants sont très soucieux de ressembler aux autres, mentir sert alors à affirmer son statut social. L’un dit : ‘J’ai regardé Harry Potter, ça fait peur’, l’autre ne veut pas avouer que ce n’est pas son cas, alors il surenchéri­t en répondant ‘Moi, je les ai tous vus’”, relate Virginie Limousin. Et pour avoir un statut social, certains ont plus d’imaginatio­n que d’autres. Ana se souvient encore : “Je disais aux filles de ma classe que j’étais une princesse russe, que mes ancêtres faisaient partie de l’aristocrat­ie et étaient venus en France. Je ne parlais pas russe mais yiddish, donc ça pouvait passer. Un jour, nous étions tous allés au théâtre et une actrice jouait un rôle de princesse. J’ai raconté que c’était ma tante. À la sortie, je lui ai souri, et elle a répondu à mon sourire, du coup c’est passé. Je ne crois pas que j’avais beaucoup de copines, donc j’avais envie de rehausser mon prestige avec ces histoires.” Une autre fois, elle se vante de pouvoir “parler aux arbres”, mais l’effet est moindre. “L’enfant a un besoin de pouvoir personnel. Mentir peut être le moyen de réaffirmer qu’il a le contrôle de sa propre vie, si les parents ne lui montrent pas assez qu’il est aimé ou le briment un peu trop”, indique Virginie Limousin. “Quand on vient me consulter, je prends le mensonge comme le symptôme d’un problème”, poursuit-elle. Le fait que les parents affabulent eux-mêmes, du père Noël à la petite souris en passant par les réponses bidon, n’arrange rien. Bien souvent, sans le vouloir et sans le savoir, ils encouragen­t même leur progénitur­e à mentir, laquelle comprend vite qu’un petit arrangemen­t avec la vérité peut aussi servir à préserver les autres. “Il fallait toujours que j’appelle ma grand-mère en lui disant que le pull qu’elle m’avait tricoté était joli”, se souvient Olivier, bien obligé, alors, de mentir. Les secrets de famille sont un nouvel encouragem­ent à tromper son monde. “Un garçon était venu me voir parce qu’il mentait tout le temps. Il s’est révélé qu’il y avait un gros secret sur l’identité de son père. Et il sentait qu’on lui cachait quelque chose. Lorsque nous mentons, nous sommes trahis par des signaux corporels : le ton de la voix, la posture, etc. L’enfant les capte tout de suite, il ressent les émotions de son interlocut­eur grâce aux neurones miroir”, relate Virginie Limousin. “Le fait que les parents mentent aux autres est problémati­que. Comme dans le cas où le père est au chômage et raconte à tout le monde à l’extérieur de la maison que tout va bien dans son boulot”, ajoute Pascal Neveu.

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