La pétition en ligne, un nouveau pouvoir ?
DÉBUT 2016, DEUX PÉTITIONS LANCÉES SUR INTERNET – L’UNE EN FAVEUR DE JACQUELINE SAUVAGE, L’AUTRE CONTRE L’AVANT-PROJET DE LOI SUR LE TRAVAIL – ONT FAIT BEAUCOUP DE BRUIT. DÉCRYPTAGE DE CE MODE D’EXPRESSION PAR TROIS EXPERTS.
Jean-gabriel Contamin
Professeur de science politique à l’université de Lille-2
Son écho dépend du contexte
\\Une pétition n’émerge que si des décideurs y trouvent un intérêt et la relaient dans la sphère politique et les médias. Mais, en général, elle ne permet pas d’obtenir quelque chose directement par elle-même. L’avantprojet de loi sur le travail a trouvé un écho, car des personnes appartenant à la majorité gouvernementale, divisée sur ce sujet, ont utilisé la pétition comme levier pour défendre leur position. Le contexte entourant son lancement se révèle donc primordial. Une pétition recueillant beaucoup de signataires ne résonnera pas si elle se heurte à un consensus sur la question soulevée. À côté du pétitionnement institutionnel (toute pétition dépassant un seuil de signatures sera discutée par le Parlement européen ou le conseil municipal, de Grenoble, par exemple, et débouchera éventuellement sur un référendum), il en existe un autre véhiculé par des sites Internet. Cette voie permet la diffusion rapide des pétitions et limite leur coût. Mais elle peut présenter un risque pour les signataires ; tout dépend des causes. Pour preuve, en Turquie, des universitaires ont été poursuivis, en début d’année, pour avoir signé une pétition appelant le pouvoir à renoncer à la violence aveugle exercée à l’encontre de la majorité kurde dans le sud-est du pays.//
Franck Bousquet
Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Toulouse-3
Un moyen de s’exprimer politiquement
\\Les pétitions électroniques ont pris de l’importance depuis la fin des années 2000. Récemment, deux pétitions, l’une en faveur de Jacqueline Sauvage, l’autre contre l’avantprojet de loi sur le travail, ont impressionné par leur nombre de signataires. Mais ce sont des exceptions, beaucoup ne recueillant pas ou peu de signatures. Pour une pétition politique, l’identité de ses initiateurs doit être suffisamment engageante pour qu’on ait envie de signer (une image positive, pas trop marquée par une ambition électorale), et leur savoir-faire militant doit être assez fort pour que l’appel soit visible et diffusé. L’idéal est qu’elle soit relayée à la fois par des médiateurs traditionnels (organisations politiques, médias, etc.) et des médiateurs individuels. Les pétitions en ligne pèsent dans l’espace public par le nombre de signataires, à la différence de certaines pétitions sur papier qui mobilisent par la qualité de leurs signataires. Les dirigeants doivent tenir compte d’une pétition électronique qui a récolté un grand nombre de signatures. Elle permet à certains groupes n’ayant pas un accès facile aux médias de faire émerger des opinions. Parfois, la pétition fonctionne également comme un référendum, en envoyant un message au gouvernement, comme celle contre la réforme du travail.//
Yann-Arzel Durelle-Marc
Maître de conférences en histoire du droit à Paris-13
Internet ne change pas le droit de pétition
\\Le droit de pétition n’est pas un nouveau droit, mais il est mieux défini par la loi auprès des collectivités locales et du Conseil économique, social et environnemental qu’auprès des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Né en 1789, il a disparu formellement avec les lois constitutionnelles de 1875, puis a été réintroduit par deux lois, l’une de 2003, l’autre de 2008. La voie électronique ne modifie pas le droit de pétition lui-même. Seul le support change ! Avec un atout à la clé : l’utilisation d’un site sécurisé et d’un logiciel qui décompte et vérifie les signatures électroniques permet de remiser les pages ou les rouleaux qui, suivant les pays et les époques, compilaient l’intégralité des signatures sur papier. La pétition renforce la démocratie participative à condition qu’elle soit entendue, donc qu’il existe une reconnaissance mutuelle entre pétitionnaires et pétitionnés. Les pétitions électroniques, comme celles relatives à l’affaire Jacqueline Sauvage (voir Repères ci-dessous) et à la réforme du travail, actionnent les autorités compétentes en faisant appel au public : la mobilisation accompagne la pétition. Elles visent à engendrer des mouvements d’opinion, tel un article de journal, par exemple J’accuse… ! d’émile Zola.//