LUTTE ASM DANS L'AÉRONAVALE : UN NOUVEAU SOUFFLE
UN NOUVEAU SOUFFLE
LA réorientation de la flotte de surface vers la lutte Anti-sous-marine (ASM) depuis la fin de la guerre froide s’est accompagnée assez naturellement d’une modernisation des moyens ASM aéroportés, aussi bien dans la Patrouille Maritime (PATMAR) que pour les hélicoptères embarqués de l’aéronavale. Aujourd’hui, la modernisation de ces capacités passe par deux chantiers majeurs : la rénovation des ATL-2 et le remplacement des Lynx par une nouvelle monture née de l’ère numérique, le NH90. Mais si le saut qualitatif est incontestable, la phase de transition s’annonce encore bien délicate.
Devant la multiplication des menaces sous-marines, et afin de protéger son porte-avions, ses unités de surface et la FOST (Force Océanique Stratégique), la Marine nationale se repose sur des frégates ASM de dernière génération (1), mais également sur un ensemble de vecteurs aériens. Ainsi, les nouvelles classes de navires ont été spécialement conçues pour accueillir un hélicoptère polyvalent de dernière génération, le NH90 Caïman. Entrée en service dans la Marine nationale en 2011, la version marine du Caïman équipe aujourd’hui les flottilles 31F et 33F, et devrait à terme remplacer la douzaine de Lynx de la 34F qui arment les anciennes frégates F70, trop petites pour le NH90.
NH90 CAÏMAN, LA NOUVELLE BÊTE DE SOMME DES FRÉGATES
Comparativement au Lynx, le Caïman apporte d’indéniables avantages dans la lutte ASM. Avec 11 t en charge, il est deux fois plus lourd que son prédécesseur et dispose d’une autonomie elle aussi doublée, avec plus de quatre heures de vol, ainsi que de commandes de vol électriques, d’un système complet de dégivrage et d’une maintenance automatisée. Mais les principales innovations reposent dans son système d'armes entièrement numérique. Mis en oeuvre depuis la soute, le sonar actif/passif basse fréquence FLASH de Thales est capable de plonger à plus de 600 m, bien plus profondément que le DUAV-4 du Lynx. En France, le FLASH est livré dans sa version SONICS, couplée à des bouées acoustiques passives et actives.
Comme le Lynx, le NH90 peut embarquer une paire de torpilles MU90, capables de détruire un sous-marin à 1 000 m de profondeur, mais aussi d’engager des cibles à très courte distance dans des eaux littorales. Cette dernière capacité a été particulièrement soignée sur le NH90, afin de répondre notamment aux menaces de plus en plus répandues que représentent les sous-marins côtiers. En plus de son équipement sonar, le NH90 embarque ainsi un radar de veille à synthèse d’ouverture inverse opérant à 360° et une boule FLIR développée par Sagem, capables d’opérer
Les principales innovations du Caïman reposent dans son système d’armes entièrement numérique. Mis en oeuvre depuis la soute, le sonar actif/passif basse fréquence FLASH de Thales est capable de plonger à plus de 600 m, bien plus profondément que le DUAV-4 du Lynx.
ensemble pour détecter, identifier et suivre des cibles à grande distance, y compris des périscopes ou des schnorchels. Une suite de veille électromagnétique (ESM), un IFF (identification amis/ennemis) et un détecteur d’alerte radar viennent compléter ces capteurs, et alimentent le système d’autoprotection de l’appareil, doté de leurres antimissiles.
Dans les faits, l’autonomie et la portée des senseurs du NH90 lui permettent, en une unique sortie, de sécuriser une zone assez vaste pour assurer la libre navigation du navire porteur pendant une période de 24 heures. Cette donnée est d’autant plus importante que les nouveaux navires ASM, Frégates Multi-missions (FREMM) et Frégates de Taille Intermédiaire (FTI), n’embarqueront plus qu’un seul hélicoptère, là où les Georges Leygues étaient initialement formatées pour en accueillir deux. Ce choix français (2) s’explique à la fois par le bond capacitaire offert par le NH90 et par la nécessité propre à la Marine nationale de faire opérer ses navires longtemps loin de leurs bases. De manière contre-intuitive, cet argument plaide en faveur d’un unique hélicoptère, puisque le matériel, les pièces et les ateliers nécessaires à la mise en oeuvre du Caïman sur une longue période occupent une place importante, incompatible avec l’embarquement d’un second hélicoptère lourd. Une quinzaine de marins sont nécessaires sur chaque frégate pour opérer un NH90, soit deux équipages, huit mécaniciens et un préparateur de mission.
Avec deux ou trois NH90 intégrés au groupe aéronaval, sur autant de navires d’escorte, la permanence de la lutte ASM aéroportée est assurée au profit du porte-avions, même en cas de défaillance d’un des hélicoptères. La liaison de données L-11 cryptée des NH90 leur permet alors de partager les éventuelles pistes sous-marines directement avec le navire amiral, en plus de leur navire porteur, raccourcissant d’autant plus la boucle décisionnelle.
Avec la lutte ASM, la mission principale des flottilles 33F et 31F reste la recherche et le sauvetage en mer, notamment depuis leurs bases de LanvéocPoulmic et de Hyères. Dans le cadre de leurs missions de service public, elles sont amenées à lutter contre les pollutions maritimes, les trafics ou les actes de malveillance en mer.
L’INÉLUCTABLE APPEL DE LA POLYVALENCE
Les missions du NH90 ne se limitent cependant pas à la lutte ASM. Multirôle de conception, le NH90 participe à la lutte antisurface, en détectant les cibles et en guidant les missiles Exocet lancés par les frégates (3). Comme dans l’armée de Terre, le Caïman Marine peut servir d’appareil de transport ou de manoeuvre. Ses capteurs et sa suite d’autoprotection lui permettent également de remplir des missions de collecte de renseignement, de contre-terrorisme et de soutien aux forces spéciales, avec la possibilité d’embarquer une mitrailleuse ou un tireur d’élite en sabord. Avec la lutte ASM, la mission principale des flottilles 33F et 31F reste cependant la recherche et le sauvetage en mer, notamment depuis leurs bases de Lanvéoc-poulmic et de Hyères. Dans le cadre de leurs missions de service public, elles sont amenées à lutter contre les pollutions maritimes, les trafics ou les actes de malveillance en mer. Les équipements spécifiques à la mission ASM sont alors débarqués afin de gagner en volume de cabine et en autonomie.
Cette polyvalence des vecteurs impose bien évidemment une polyvalence des équipages et des flottilles, et donc une adaptation structurelle des forces. Une nécessité d’autant plus grande que le nombre de cellules réservées à la Marine nationale a été calculé au plus juste. Ainsi, 27 NH90 devraient être livrés en version navale, dont 13 équipés d’une rampe de chargement arrière. Quatorze kits ASM seront livrés, permettant à n’importe quelle cellule d’être équipée pour le combat. Néanmoins, avec l’arrivée des FTI, la Marine nationale devrait disposer à l’horizon 2030 de 15 navires (frégates de défense aérienne (FDA), FREMM et FTI) devant mettre en oeuvre le NH90, tout en continuant d’armer le créneau du secours maritime avec les Caïman. Le futur Hélicoptère Interarmées Léger (HIL) étant basé sur le H160 d’airbus, une option haute, on peut imaginer qu’une partie des missions qu’il est prévu de confier aux NH90 puisse être, à partir de 2024, remplies par ces nouveaux appareils dans leur version « combat », par exemple à bord des FDA. En attendant, les derniers Lynx sont en cours de rénovation à l’atelier Industriel de l’aéronautique (AIA) de Cuers, afin d’être dotés d’équipements de navigation et de communication aux normes OACI (Organisation de l’aviation Civile Internationale), d’une Liaison-11, d’un IFF et d’une console tactique moderne. Ainsi revalorisés, quelques-uns de ces appareils robustes pourraient bien survivre au retrait des derniers Georges Leygues et, en cas de retard du programme HIL, jouer les prolongations sur les frégates La Fayette rénovées.
ATL-2, LA MODERNISATION DES FRÉGATES VOLANTES
Malgré leurs qualités indéniables, notamment l’emport d’un sonar trempé, les hélicoptères ASM restent des outils de lutte ponctuelle, à l’autonomie limitée, dépendant d’un navire pour leurs déploiements. Pour protéger des abords maritimes sur de longues périodes, ou pour rechercher et traquer l’adversaire dans les grandes étendues océaniques, l’avion de PATMAR reste encore l’outil de référence. Entré en service au début des années 1990, l’atlantique 2, ou ATL-2, a été développé par la France spécifiquement pour la lutte maritime, en remplacement du Breguet Atlantic dont il reprend la configuration générale. Avec leur autonomie de près de 18 h, la mission la plus stratégique des ATL-2 a toujours été d’assurer la protection des Sousmarins Nucléaires Lanceurs d’engins (SNLE) de la FOST, principalement au-dessus du plateau continental atlantique (4). L’ATL-2 reste cependant un appareil de lutte maritime au sens large, aussi bien adapté à la lutte ASM, avec l’emport de huit torpilles MLU, qu’à la lutte antinavire, avec l’emport de deux missiles Exocet. Dès l’origine toutefois, les capteurs optiques, radars et ESM de l’appareil en ont fait un outil de prédilection pour assurer la reconnaissance, l’appui et le guidage des opérations terrestres et aéroterrestres françaises.
Si l’appareil a connu au fil de sa carrière de nombreuses modernisations incrémentales, comme la capacité d’emport de quatre bombes guidées GBU-12, la Marine a engagé depuis le début de la décennie une série de rénovations destinées à prolonger la durée de vie de L’ATL-2 au-delà de 2030, mais aussi à le doter de nouvelles capacités combattantes, notamment dans le cadre de la lutte littorale et du soutien aéroterrestre. La première étape a consisté, comme pour les Lynx, à rendre les ATL-2 compatibles avec les normes de navigation OIAC, une nécessité compte tenu du rythme de déploiement des avions. Au cours des dernières années, certains appareils déployés dans le cadre des Opérations Extérieures (OPEX) ont également subi des modernisations d’urgence opérationnelle, la plus marquante étant l’intégration de boules optroniques MX-20D munies d’un désignateur laser qui ont permis, dès 2015, à des ATL-2 de délivrer de manière autonome des GBU-12 au combat. Notifié en 2013, un chantier majeur de rénovation concernant 15 appareils sur les 22 encore opérationnels sera mené par Dassault Aviation et Thales, en coopération avec DCNS et le Service Industriel de l’aéronautique (SIAÉ) qui devrait prendre la maîtrise d’oeuvre du programme sur son site de Cuers-pierrefeu après validation des prototypes livrés par l’industriel, pour une mise en service à l’horizon 2020.
Ces ATL-2 rénovés vont recevoir le Searchmaster de Thales, un radar AESA multifonction dérivé de celui du Rafale, mieux adapté à la localisation lointaine de petites cibles, même par mer formée près des côtes, et particulièrement polyvalent, puisqu’il sera doté de modes air, terre, mer et imagerie, ainsi que d’un IFF. Thales fournira également le STAN (Sous-système de Traitement Acoustique Numérique) adapté aux nouvelles générations de bouées acoustiques actives/ passives géolocalisées par satellites et capables d’opérer en réseau sur un plus large spectre de fréquences. La dotation en MX-20 sera également généralisée à l’ensemble de la flotte rénovée, et le Logiciel Opérationnel de Traitement de l’information (LOTI) sera complètement revu par DCNS et Dassault afin de permettre aux neuf opérateurs systèmes embarqués d’établir des situations tactiques de manière collaborative, depuis des consoles de dernière génération. Le nouveau système d’armes de L’ATL-2 confirmera sa capacité à opérer au-delà de 2030 comme une véritable frégate volante capable de traquer et d’engager toutes cibles situées sur et sous la surface, tout en utilisant sa suite de capteurs dans des missions de renseignement et de reconnaissance. Ses capacités accrues à détecter et pister simultanément des cibles aériennes et terrestres devraient également lui permettre d’agir comme un véritable AEW&C (appareil d’alerte avancée et de commandement) armé en soutien aux opérations aéroterrestres les plus complexes. Une des missions premières de la Marine nationale a toujours été d’apporter soutien et protection aux engagements militaires français de tous types, et L’ATL-2 en est déjà le parfait émissaire.
Notifié en 2013, un chantier majeur de rénovation concernant 15 ATL-2 sur les 22 encore opérationnels sera mené par Dassault Aviation et Thales, en coopération avec DCNS et le Service Industriel de l’aéronautique (SIAÉ).
VERS UNE REMISE À PLAT DU MCO ?
Si l’on peut se réjouir de l’avancée qualitative du matériel ASM de la Marine nationale, inédite depuis le début des années 1980, il n’est cependant pas possible d’ignorer les gros problèmes de disponibilité qui continuent d’entacher les programmes NH90 et ATL-2. Ainsi, à l’automne dernier, sur 22 ATL-2 en ligne, dix étaient immobilisés à L’AIA de Cuers-pierrefeu, la durée moyenne des visites d’entretien majeur étant passée de 18 à plus de 30 mois. Entre les immobilisations pour entretien et l’entraînement,
seuls deux ou trois appareils étaient disponibles pour des opérations, alors même que les ATL-2 sont utilisés sur tous les théâtres. La principale cause de ces problèmes résiderait dans les difficultés de mise en oeuvre du nouveau logiciel SAPHIR censé gérer l’approvisionnement en pièces de rechange, mais il ne faut pas négliger l’impact des mises à niveau OACI et MX-20 imposées par l’urgence opérationnelle et qui ont perturbé la routine du MCO (Maintien en Condition Opérationnelle), ni celui de la sous-traitance civile qui a parfois montré ses limites à L’AIA de Cuers. Afin d’améliorer cette situation devenue critique, le plan d’entretien des appareils a été revu et un nouveau plot MCO a été ouvert auprès d’un industriel privé, ce qui n’est pas sans créer des tensions avec le SIAÉ.
Concernant le NH90, la situation n’est guère plus brillante. Fin 2016, sur 17 appareils livrés à la Marine, dix étaient en maintenance, notamment pour corriger certains problèmes de corrosion, tandis que le 17e a été livré avec plusieurs équipements non fonctionnels. Dans le cas du NH90, c’est le consortium industriel européen NHI qui est largement mis en cause. Les appareils livrés ne répondraient pas toujours au cahier des charges, et la multiplication des interlocuteurs industriels dans différents pays allonge dramatiquement le temps nécessaire pour valider les solutions techniques. En raison des retards de développement de l’appareil, la Marine opère actuellement trois standards différents du Caïman, ce qui entraîne des immobilisations supplémentaires afin d’uniformiser toute la flotte d’ici à 2025. Pour Laurent Collet-billon, à la tête de la Direction Générale de l’armement (DGA), « NHI n’est pas réputé pour être un industriel particulièrement performant (5) ». L’amélioration de la boucle communicationnelle entre la DGA, les autres pays partenaires du programme et les différents membres du consortium NHI apparaît aujourd’hui comme une priorité, les autorités françaises estimant que l’utilisation accrue des Caïman français en OPEX devrait impliquer une prise en charge prioritaire par l’industriel. À plus long terme, la possibilité de former un AIA à l’entretien du NH90 est à l’étude, afin de pallier les manquements du fabricant, une situation inédite pour un matériel aussi récent ! Si la SIMMAD (Structure Intégrée de MCO des Matériels Aéronautiques du ministère de la Défense) semble avoir fait du MCO des ATL-2 et des Caïman sa priorité, on constate que les solutions sont longues à se mettre en oeuvre à travers les structures et les processus parfois laborieux du ministère de la Défense. Pour les rapporteurs de la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’assemblée nationale, il devient alors nécessaire de revoir complètement le MCO dans le secteur aéronautique, et aéronaval en particulier, quitte à envisager de passer à un « MCO de guerre » pour les équipements les plus critiques. Avec les outils de maintenance modernes, il serait possible de se dégager de la notion d’entretiens programmés pour se recentrer sur des entretiens en fonction de l’usure réelle, ce qui est déjà appliqué en partie au Rafale, mais pourrait être difficile à mettre en oeuvre sur un appareil assez ancien comme L’ATL-2. Une telle proposition fait cependant s’interroger sur la rigidité de structures de MCO anciennes, conçues pour l’entretien permanent de grandes flottes d’aéronefs, là où les besoins actuels porteraient sur un MCO adapté à des flottes plus réduites, équipées de sous-systèmes modulaires de haute technologie, utilisés intensivement loin du territoire métropolitain.
Au sujet du MCO, le rapport parlementaire no 3323 de décembre 2015 recommandait ainsi de moderniser la structure de MCO aéronautique, notamment en améliorant les relations avec l’industrie, en adaptant les ressources humaines aux nouvelles technologies, mais aussi et surtout en réalignant les budgets alloués en fonction des besoins opérationnels réels, une mesure éminemment politique qui nécessite de confier aux armées les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Tout aussi politique, le rapport évoque le besoin pressant d’agir au niveau européen, notamment en faisant reconnaître la protection offerte à l’union par les OPEX françaises, et donc la priorité des besoins français en MCO. Avec la requalification du ministère de la Défense en ministère des Armées, on peut imaginer que ce dossier reviendra sur le devant de la scène dans les mois à venir.
Pour les rapporteurs de la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’assemblée nationale, il devient nécessaire de revoir complètement le MCO dans le secteur aéronautique, et aéronaval en particulier, quitte à envisager de passer à un « MCO de guerre » pour les équipements les plus critiques.
Notes
(1) Bien que polyvalentes, les FREMM et les futures FTI sont particulièrement adaptées à la lutte ASM. On notera que les FDA Horizon ont également montré à l’usage d’étonnantes capacités de détection et de lutte ASM. (2) Les FREMM italiennes et les F124 allemandes sont conçues pour embarquer deux NH90. (3) Le futur missile antinavire léger pourrait être réservé, au moins dans un premier temps, au futur HIL. (4) Une mission récemment étendue à la protection occasionnelle des SNLE britanniques, depuis le retrait anticipé, et très regretté, de leurs Nimrod de PATMAR. (5) www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/16-17/c1617008.asp.