DÉPENSES DE DÉFENSE EN EUROPE : UN EFFORT INDISPENSABLE
UN EFFORT INDISPENSABLE
En juin 2017, L’OTAN s’est félicitée d’une progression nette des dépenses militaires de ses pays membres. Le contexte géopolitique explique en grande partie le besoin d’un effort important et croissant de défense en Europe. L’environnement international a profondément changé depuis une décennie. La prise de conscience de ces enjeux semble s’être renforcée, sans doute accentuée par l’élection de Donald Trump à la présidence des États-unis et par l’imminence du Brexit qui éloignera, au moins temporairement, le Royaume-uni de ses alliés européens.
Cependant, nous ne devons pas envisager les tendances des dépenses militaires uniquement au regard de la conjoncture internationale ou des enjeux de sécurité intérieure, face à des menaces terroristes pesantes. Il est tout aussi important de prendre en considération des facteurs de plus long terme pour comprendre les enjeux qui doivent structurer l’effort de défense, en particulier les besoins d’équipement des armées dans les années à venir.
S’ADAPTER À UN MONDE EN ARMES TRAVERSÉ PAR LES CONFLITS
Le rebond tant attendu des efforts de défense en Europe semble se confirmer dans les statistiques depuis 2015. En effet, si la baisse, toute relative, des dépenses du Pentagone a connu une inversion avec le budget additionnel demandé par Donald Trump dès son arrivée à Washington, les pays européens ne sont pas en reste. Selon les dernières données publiées par L’OTAN, les dépenses militaires des pays de l’alliance, en dehors des États-unis, ont commencé à croître de nouveau depuis trois ans. La hausse de 1,8 % en 2015 a été confirmée par une augmentation de 3,3 % en 2016 et sera certainement de 4,3 % cette année selon les prévisions de l’alliance.
Cette tendance est perceptible lorsque nous analysons l’évolution de la part du PIB que les grands pays européens consacrent à leur défense. Certes, nous sommes encore bien loin des 2 % auxquels les pays de L’OTAN se sont engagés, mais la réduction comme peau de chagrin constatée depuis des années semble s’être arrêtée. Beaucoup de pays européens investissent une part croissante de leur PIB dans la sécurité internationale. Comme l’a souligné le Premier ministre lors de son discours au salon du Bourget, « dans un monde aussi instable, dans un monde où s’accumulent les dangers, les Français ne comprendraient pas que nous ne fassions pas cet effort pour leur sécurité ». Ce point de vue semble aujourd’hui largement partagé en Europe. La France et les pays européens sont fortement impliqués dans la résolution de crises internationales depuis une décennie. La lutte contre les mouvements djihadistes (Daech, AQMI, Boko Haram…) est
Nous sommes encore bien loin des 2 % du PIB auxquels les pays de L’OTAN se sont engagés, mais la réduction comme peau de chagrin constatée depuis des années semble s’être arrêtée.
un engagement inévitable au regard des valeurs que la France et ses alliés défendent et qui légitiment leurs opérations à l’international. Les mouvements djihadistes mettent en péril la sécurité dans la bande sahélo-saharienne, au Moyen-orient et jusqu’à l’afghanistan. Ils constituent aussi les ferments du terrorisme qui, une fois encore, a frappé le sol européen avec les attaques à Londres, Bruxelles ou Manchester. Dans la compréhension du niveau actuel d’effort de défense, il ne faut pas non plus négliger le retour des menaces internationales plus classiques avec la montée en puissance de la Chine (qui a multiplié par 2,5 ses dépenses militaires en dix ans et par 5 depuis 2000), la renaissance militaire de la Russie (mise en évidence tout particulièrement en Syrie) ou encore l’apparition de nouvelles puissances conventionnelles et parfois nucléaires, comme la Corée du Nord, sur la scène internationale. Le monde se réarme, ce qui est un facteur potentiel de déstabilisation internationale, voire une source possible de conflits. Nous pouvons ainsi constater depuis plusieurs années un phénomène de course aux armements à l’échelle régionale en Asie de l’est ou au Moyen-orient… C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les débats récents sur l’accroissement des dépenses militaires à hauteur de 2 % du PIB. Le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des Armées, a appelé de manière répétée à un sursaut d’effort au cours des derniers mois. Son appel témoigne avant tout des tensions que subissent les armées entre les missions qui leur sont confiées et les ressources à leur disposition. Même si elles disposent d’un budget important (33 milliards d’euros par an), les armées n’ont jamais été autant engagées en missions et opérations extérieures – « Barkhane », « Sangaris », « Chammal » – et sur le territoire national avec l’opération « Sentinelle ». De ce fait, les moyens consacrés aux armées apparaissent insuffisants au regard des tâches à accomplir. Cette situation reflète les « dividendes de la paix » dont la France et les pays européens ont bénéficié depuis la fin de la guerre froide. Si nous excluons le Royaume-uni qui a connu un effort accru de défense lié à ses engagements auprès des États-unis en Afghanistan et en Irak, les dépenses des grands pays européens ont pratiquement stagné en monnaie constante depuis le milieu des années 1990. Cela explique pourquoi l’europe représentait 24 % des dépenses militaires mondiales en 1996, mais seulement 14 % en 2016, selon le SIPRI.
AUGMENTER L’EFFORT DE DÉFENSE SANS FÉTICHISME DU CHIFFRE
Accroître le niveau d’investissement dans la sécurité de la France et des pays européens
est donc nécessaire en raison du contexte géopolitique, non seulement à court terme, mais aussi, et c’est là tout l’enjeu, également à moyen terme. Quel est alors le « bon effort de défense », qui permettrait de relever les défis sécuritaires sans absorber une part excessive de la richesse nationale ? 2 % du PIB, pourquoi pas ? Mais la bonne question est de savoir pourquoi et comment l’effort demandé aux citoyens dans la défense peut répondre aux besoins de défense et au maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Au regard de ces difficultés, quels sont les enjeux pour les pays européens ? L’année 2016 a été marquée par un débat sur le niveau approprié des dépenses militaires. Dans la continuité des sommets de L’OTAN à Chicago puis à Newport (Pays de Galles), la cible de 2 % du PIB a été mise en avant. L’union européenne elle-même a appelé ses États membres à accroître un effort de défense qui n’a cessé de se contracter pour tendre vers 1 % du PIB, voire moins. Ce débat a permis de mettre en évidence le niveau insuffisant des dépenses militaires, non pas dans l’absolu ou en part du PIB, ce qui n’a pas vraiment de sens, mais principalement au regard des missions confiées aux armées par les décideurs politiques et du niveau d’engagement de celles-ci. Nous pouvons même aller plus loin dans l’analyse. La situation n’est pas tenable, ni à court terme ni à moyen terme.
À court terme, le surengagement des armées pourrait amener à un point de rupture. Si l’expérience britannique au cours des deux dernières décennies peut servir de point de comparaison, la capacité apparente à faire face aux demandes pourrait créer des fragilités à moyen terme (épuisement des hommes, manque d’entraînement, démoralisation…) dont nous risquons de ne prendre conscience de l’ampleur que trop tardivement. Le danger d’un décrochage des hommes comme de leurs matériels est donc à prévenir, en particulier pour permettre aux armées une éventuelle remontée en puissance en cas de nouvelles menaces, notamment plus traditionnelles.
Il est indéniable que, en Europe, les moyens sont trop contraints au regard des missions actuelles. La difficulté est que les armées font toujours des efforts très importants, parfois au détriment de leurs capacités opérationnelles à plus long terme. C’est le cas de l’engagement des armées dans de nécessaires opérations de sécurité intérieure, en France comme en Italie, en Belgique, au Royaume-uni…, qui limite la déployabilité des armées et détourne les soldats de leur préparation opérationnelle. Un arbitrage apparaît donc inévitable : soit les moyens sont ajustés à la hausse pour couvrir les besoins induits par le niveau d’engagement,
soit il faut ajuster ce dernier à la réalité des moyens budgétaires. Cependant, cela ne constitue qu’une partie de l’équation. La pression des opérations ne doit pas faire oublier que les armées ont une mission permanente de défense. Or ceci suppose un lissage des moyens sur le moyen et le long terme.
UN EFFORT À DÉTERMINER AU REGARD DES MISSIONS DES ARMÉES
L’obsession des 2 % masque un enjeu majeur des années à venir. Bien sûr, dans certains pays européens, le budget consacré à la défense reste insuffisant pour répondre à leurs enjeux de sécurité et à une réelle participation à la sécurité collective en Europe. Cependant, ce n’est pas le cas de la France, qui est proche du niveau d’effort demandé. En fait, il ne faut pas perdre de vue que ces 2 % constituent un minimum, mais en rien un plafond et que le budget adéquat se détermine au regard de ce que la nation demande à ses armées et attend d’elles. Cela peut sembler étonnant, mais pas tant que cela à y regarder de plus près. Deux dimensions sont structurantes pour l’effort de défense : le niveau des menaces et celui des ambitions internationales que nous nourrissons. Ces dimensions sont corrélées bien qu’elles ne soient pas nécessairement dans une relation de cause à effet.
En effet, nous ne choisissons pas toujours nos adversaires, comme pourraient nous le faire remarquer les pays d’europe de l’est confrontés à une Russie par trop impériale… Dans une approche traditionnelle des relations internationales, il est possible de ne pas chercher un rapport de forces avec d’autres pays. Cependant, dès l’antiquité, il est apparu évident que le choix de la neutralité n’est pas forcément respecté par les belligérants ou les puissances du moment. Thucydide montrait clairement que l’on ne choisit pas toujours les conflits dans lesquels un pays est impliqué, comme le souligne la destruction de Mélos par Athènes…
Les trente dernières années ont aussi été caractérisées par un changement de nature des conflits. L’affrontement de puissances étatiques, que l’on pourrait qualifier de « westphaliennes » en grande partie, a été remplacé par des conflits asymétriques ou des guerres hybrides dans lesquels sont impliqués des acteurs non étatiques. Nos adversaires ne jouent pas avec les mêmes règles. Ils ne cherchent pas à s’inscrire dans une logique classique de guerre. De ce fait, il est en grande partie difficile de choisir les conflits dans lesquels la France ou les pays européens peuvent être engagés, donc de déterminer le niveau d’effort de défense qui
nous semble acceptable. Ce contexte est accentué par le fait que les décideurs politiques en France ou au Royaume-uni, mais aussi dans d’autres pays plus récemment, ont défini un niveau élevé d’ambition dans la défense, qui reflète leur volonté de maintenir une réelle implication dans le concert des nations. De ce fait, le contrat opérationnel confié aux armées est important (voire croissant dans le cas de l’allemagne ou de la Suède, par exemple), ce qui suppose une réelle adéquation entre les missions et les moyens disponibles pour les réaliser. Il ne faut donc pas se tromper dans le sens de la relation entre le niveau d’effort de défense, exprimé en part du PIB, et les besoins budgétaires des forces armées. Ce qui compte, ce n’est pas un ratio emblématique (même s’il permet de favoriser un plus grand effort), mais bien plus le montant du budget approprié afin d’assurer le niveau de sécurité dont la France et ses alliés ont besoin pour eux-mêmes et dans le cadre de leurs engagements internationaux. L’efficacité des efforts de défense est aussi liée à la manière dont ces moyens sont utilisés. Pour éviter de requérir des crédits supplémentaires, toujours difficiles à obtenir, la mutualisation des efforts en Europe constitue une solution alternative qui a l’avantage de permettre d’accroître l’efficacité globale des dépenses. La Commission européenne estime ainsi que le coût de la non-europe, par la dispersion des dépenses et le manque de coordination, représenterait un gaspillage de l’ordre de 30 milliards d’euros par an. Autant de moyens qui trouveraient un emploi utile pour combler les lacunes capacitaires ou améliorer la déployabilité des armées…
LE DÉFI MAJEUR D’UN NOUVEAU CYCLE D’ÉQUIPEMENT
À moyen terme, il ne faut pas négliger la nécessité de renouveler et d’ajuster les capacités dont sont dotées les armées. Les choix à venir sur le renouvellement de la dissuasion illustrent bien cet enjeu capacitaire, mais ce n’est pas la seule dimension structurante à prendre en considération en matière d’équipement des armées. La difficulté de gestion budgétaire de la défense est que le profil de dépense n’est pas aussi linéaire que dans d’autres ministères. Les dépenses militaires connaissaient des fluctuations imprévisibles induites par les évolutions géostratégiques ; mais ce n’est pas la seule cause de cyclicité des dépenses.
Si nous excluons les à-coups liés aux opérations et certains changements structurels comme la fin de la conscription, les besoins budgétaires des armées connaissent des fluctuations induites par le renouvellement de leurs équipements. En effet, il existe des cycles
d’acquisition d’une durée de vingt à vingt-cinq ans. Or nous allons entrer dans une phase de réinvestissement liée à l’usure des matériels, à la nécessité de dépasser certaines obsolescences et à l’adaptation des équipements aux évolutions géostratégiques et technologiques. Pour un pays investissant de manière importante dans l’équipement de ses armées, cette cyclicité des besoins budgétaires est portée par la nécessité de renouveler les flottes disponibles. De fait, le défi qui nous attend est aussi lié à l’indispensable rééquipement des armées à partir de la prochaine décennie.
La cause à court terme de ce besoin est un surengagement dans les opérations extérieures, qui a entraîné une usure accélérée des matériels. Il s’agit ici d’une cause non programmée, mais bien réelle. Du fait d’un niveau élevé d’opérations, le potentiel des équipements est consommé plus rapidement, en particulier pour les matériels de l’armée de Terre. Cela conduit à devoir les renouveler plus tôt que prévu ou, au moins, à engager des dépenses plus importantes pour leur maintien en condition opérationnelle. Une cause à moyen terme de réinvestissement est l’obsolescence naturelle d’équipements qui sont rentrés en dotation dans les années 1980 ou 1990, ce qui conduit à un renouvellement programmé des flottes dans une cyclicité prévisible, mais néanmoins difficile à absorber si les budgets sont plus ou moins constants. En effet, il existe des cycles d'acquisition d'une durée de 20-25 ans. Or nous allons entrer dans une phase de réinvestissement liée à l'usure des matériels, à la nécessité de dépasser certaines obsolescences et à l'adaptation des équipements aux évolutions géostratégiques et technologiques. Le défi qui est devant nous est lié à la nécessité de rééquiper les armées à partir de la prochaine décennie. Enfin, dans une perspective de plus long terme, nos armées ne peuvent pas maintenir leur supériorité technologique si les adversaires potentiels continuent à améliorer leurs capacités sans que nous fassions de même. S’il ne fait pas de doute que les armées françaises et européennes possèdent des équipements très performants, fruits d’une longue expérience industrielle et d’investissements publics importants, les puissances militaires émergentes cherchent à combler leur retard par des efforts soutenus qui leur permettent de réduire l’écart capacitaire. De plus, les capacités actuelles peuvent être remises en question par des ruptures technologiques ou de conception qui réduisent significativement la supériorité de nos armées. Améliorer les capacités existantes ou en développer de nouvelles est donc indispensable pour assurer la protection de nos soldats et l’efficacité de leur action. Il faut souligner ici l'impérieuse nécessité pour les armées d’accroître massivement leurs capacités en matière de cybersécurité.
En effet, le cyberespace est devenu un nouveau champ de bataille, où se déroule aujourd’hui une véritable course aux armements à un rythme effréné. Les cyberdéfenses ou cyberattaques sont devenues essentielles dans la conduite des opérations militaires. Du fait d’équipements fonctionnant de plus en plus en réseaux, reposant sur des logiciels sophistiqués et totalement dépendants du cyberespace, aucune opération militaire – qu’elle soit défensive ou offensive – ne peut aujourd’hui se concevoir sans une dimension cyber. De plus, la lutte sur ce champ de bataille est par nature asymétrique. De fait, il est plus facile de bloquer un adversaire doté d’équipements technologiquement très sophistiqués (Rafale, A400M, frégate Belh@rra, futurs véhicules blindés Jaguar et Griffon du programme SCORPION…) par une cyberattaque que de chercher à acquérir des capacités militaires équivalentes. Pour préserver la sécurité des soldats en opérations et leur permettre de bénéficier du plein potentiel de leurs équipements, il est donc de plus en plus important de leur apporter des solutions cyber appropriées. Il faut aussi garder en tête que la cyberdéfense est un domaine qui évolue très vite en termes de technologies et d’applications militaires. Les solutions fournies aux armées doivent donc évoluer aussi rapidement que les moyens dont se dotent nos adversaires. Il faut avoir une capacité d’appréciation quant à la nature des menaces et à la manière dont elles évoluent par une veille active. La compréhension des moyens d’agression est essentielle pour identifier les failles éventuelles tout en préservant la possibilité de tirer avantage de moyens militaires en réseaux. Cela conduit, en réponse, non seulement à investir dans la mise à niveau des équipements en service, mais aussi à doter les matériels d’une capacité d’évolution pour qu’ils ne deviennent pas rapidement obsolètes ou que les armées soient contraintes de les utiliser en mode dégradé. L'enjeu est de taille, en particulier vis-à-vis des puissances militaires les plus avancées dans ce domaine, comme la Russie ou la Chine. Qui plus est, l’investissement est de plus en plus important dans le développement de moyens offensifs pour lutter à armes égales avec nos adversaires dans la cyberguerre. Enfin, le champ du cyber progressant très rapidement du point de vue technologique, il est essentiel de consentir un effort approprié en recherche et technologie pour éviter un décrochage non seulement des armées, mais aussi de l’industrie de défense. Les enjeux sécuritaires sont donc importants et justifient un surcroît d’efforts de défense en France et en Europe. Il reste maintenant à confirmer les engagements budgétaires, au-delà des besoins à court terme, et surtout à favoriser une approche collective de la défense qui permette d’utiliser au mieux les efforts consentis par les citoyens au service de leur sécurité. L’union européenne a lancé de nombreuses initiatives depuis le discours sur l’état de l’union de Jean-claude Juncker en septembre 2016. Le Plan d’action européen de la défense constitue un levier salutaire pour compléter et encourager les efforts nationaux. Il convient de le mettre au plus vite en action et d’en assurer le succès pour une Europe plus sûre et pleinement maîtresse de son destin.