L’US AIR FORCE RESTERA-T-ELLE LA PREMIÈRE FORCE AÉRIENNE AU MONDE ?
Joseph HENROTIN
L’US Air Force est, organiquement comme opérationnellement, l’archétype de la force aérienne. De la frappe nucléaire aux opérations psychologiques en passant par la supériorité aérienne et l’interdiction, elle dispose de la panoplie complète des capacités aériennes. Elle a également une force de frappe normative : bon nombre de conceptions en guerre aérienne en sont issues et son développement continue d’entraîner une production conceptuelle importante.
Indépendante depuis 1947, elle est aujourd’hui amputée de capacités spatiales qu’elle a largement contribué à développer, notamment sous la houlette de Bernard Schriever ou de Francis Kane(1). L’US Air force est aussi, en fonction de la réactivité et de l’allonge de ses appareils, un élément essentiel de la stratégie militaire américaine. Objet d’étude fascinant – en témoignent les dizaines d’articles la concernant que nous avons déjà publiés dans DSI (2) –, elle entre dans une phase historique délicate. Ayant sous-investi dans nombre de secteurs durant ces vingt dernières années et ayant fait le pari du F-35, ses appareils vieillissent, posant la difficile question du remplacement des plus anciens – y compris ceux qui ne sont pas destinés à être remplacés par les F-35. L’affaire est d’autant plus délicate qu’en septembre 2018 Heather Wilson, secrétaire d’état à l’air Force, exposait un plan de montée en puissance à horizon 2030.
Cette dernière envisageait la mise sur pied de 74 nouveaux escadrons, en plus des 312 existants. Si sept d’entre eux concernaient le domaine spatial et sont maintenant hors de la juridiction du service, 22 seraient des unités ISR et de commandement; 14 seraient des unités de ravitaillement en vol – ce qui signifierait plus de 150 ravitailleurs en plus des niveaux actuels; cinq de bombardiers (soit 50 à 60 avions de plus); sept de combat (80 à 86 appareils) ; neuf de recherche et sauvetage au combat ; sept liés forces spéciales ; deux de drones ; et un de transport. Le nombre d’escadrons affectés au cyber – 18 actuellement – ne changerait pas. In fine, une telle évolution impliquerait de recruter 40000 militaires et civils de plus, de les former et de les payer. Une telle montée en puissance exigerait ainsi annuellement 5,2 milliards pour les seules soldes, sans compter les coûts d’achat et de possession liés aux plus de 450 appareils, tous types confondus, qui seraient acquis.
Pour l’air Force, les opérations de haute intensité sont de retour; mais elles se déroulent dans un cadre spatialement et stratégiquement plus complexe que celui de la guerre froide.
Ce plan n’est pas encore phasé, aucun budget supplémentaire n’a été dégagé et il n’est même pas certain que l’industrie puisse produire à pareille cadence, de sorte que son application d’ici à 2030 est peu probable. Le plus intéressant réside surtout dans l’analyse stratégique qui le sous-tend. Pour l’air Force, les opérations de haute intensité sont de retour; mais elles se déroulent dans un cadre spatialement et
stratégiquement plus complexe que celui de la guerre froide. Spatialement, le pivotement vers le Pacifique crée des élongations inédites : il faut pouvoir opérer jusqu’en Chine et non plus seulement à proximité des bases russes, comme durant les années 1980. Dans le même temps, l’engagement en Afrique, même s’il ne concerne pas de gros volumes, est bien là ; tout comme la possibilité d’avoir à se réengager en Europe. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’effort sur les ravitailleurs (3).
Stratégiquement, il ne s’agit plus uniquement d’opérer dans le cadre d’une escalade contrôlée en bénéficiant de la supériorité technologique. Non seulement celle-ci est remise
L’évolution des taux de pertes américains a laissé penser à un plus grand confort opératif, avec 90 pertes pour 10000 sorties durant la Deuxième Guerre mondiale, contre 44 pour 10000 en Corée, 16 pour 10000 au Vietnam et 2,46 pour 10000 en 1991, dans le Golfe.
en question, mais les options des concurrents stratégiques des États-unis se sont accrues. Et avec elles, les risques pour des équipages – d’où l’effort sur les missions CSAR – qui travailleront à plus grande distance, avec à la clé un plus grand nombre d’appareils de combat et de bombardiers. De facto, l’évolution des taux de pertes américains a laissé penser à un plus grand confort opératif, avec 90 pertes pour 10 000 sorties durant la Deuxième Guerre mondiale, contre 44 pour 10000 en Corée, 16 pour 10 000 au Vietnam et 2,46 pour 10 000 en 1991, dans le Golfe. Reste que la distribution de puissance change et que les technologies évoluent, rien n’étant acquis en matière de supériorité stratégique – d’autant plus que L’US Air Force joue un rôle structurant pour nombre de ses alliés, du fait de son engagement, mais aussi de ses capacités.
Notes
(1) Le premier a joué un rôle essentiel dans le développement des missiles intercontinentaux. Le deuxième a été particulièrement actif sur le développement du GPS.
(2) Nous ne pouvons tous les lister ici. Le lecteur curieux peut se reporter à la liste des articles publiés, sur le site de l’institut de stratégie comparée : http://www.institut-strategie. fr/?p=5624.
(3) Effort d’ailleurs bien paradoxal : un temps en compétition contre le futur KC-46, L’A330MRTT était bien plus adapté, en endurance et en charge utile, que l’appareil finalement choisi…