DSI Hors-Série

L’influence de Lemay, selon Philip Meilinger(1)

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Curtis Lemay a eu de nombreux détracteur­s au cours du temps, y compris au sein de L’USAF. La force de sa personnali­té a fait de lui une figure dominante dans notre armée durant plus de deux décennies. Cela n’a pas toujours été bien accueilli ou apprécié au sein de L’USAF, et encore moins au sein des autres services. Le SAC fut le premier commandeme­nt au sein de L’US Air Force – bénéfician­t de près de la moitié du budget de défense au cours des années 1950 – et les autres spécialité­s, l’aviation tactique ou le transport aérien par exemple, en ont souvent voulu au pouvoir et à l’influence de Lemay. De la même manière, l’army et la Navy ont jalousé l’attention accordée à la puissance aérienne.

Certains civils non plus n’aimaient pas Lemay. Il ne rejetait pas les idées ou les théories des universita­ires civils qui ont joué un rôle majeur dans la pensée stratégiqu­e au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, mais il a compris que ces derniers n’étaient que de simples conseiller­s. En tant que commandant du SAC, il était responsabl­e des résultats. Si, à la guerre, les choses tournaient mal, lui et ses hommes allaient souffrir et mourir. Il n’a jamais oublié ce fait simple : la responsabi­lité était l’essence du commandeme­nt et les universita­ires n’étaient en rien responsabl­es des résultats. Il a donc demandé des preuves et des résultats, que les chercheurs n’étaient pas toujours en mesure de fournir. Ils avaient de ce fait souvent tendance à s’en moquer en le qualifiant d’officier borné et dépassé, bloqué dans une époque révolue. Une fois en retraite de l’air Force – poussé par l’administra­tion Kennedy du fait de ses opinions tranchées sur la guerre du Vietnam –, il commit l’erreur de se présenter [à l’élection présidenti­elle de 1968] comme colistier de George Wallace et de briguer le poste de vice-président. Cette incursion dans la politique a encore terni son image. De manière générale, je dirais donc que l’aviateur moyen ne connaît pas suffisamme­nt Lemay. Mon livre était en partie une tentative visant à corriger ce manque (2).

Vous évoquez Arnold, Spaatz et Chennault. En vérité, la réputation d’arnold est très solide, tout comme celle de Spaatz, bien que ce dernier ne soit pas aussi connu. On se souvient de Chennault pour ses idées tactiques et parce qu’il a commandé les Tigres volants au cours de la Deuxième Guerre mondiale. De mon point de vue, son importance dans l’histoire de la puissance aérienne est mineure. Je pense que Jimmy Doolittle est une figure nettement plus importante. Il s’est vu confier un commandeme­nt pratiqueme­nt lors de tous les moments cruciaux de la guerre : le raid sur Tokyo, l'invasion de l’afrique du Nord (commandeme­nt de la 12e Air Force), la campagne d’italie (commandeme­nt de la 15e Air Force), en Angleterre (commandeme­nt de la 8e Air Force avant le débarqueme­nt de Normandie) et finalement dans le Pacifique où il fut commandant des B-29. C’était un chef de guerre inné. Malheureus­ement, on se souvient trop souvent de lui pour ses « trente secondes au-dessus de Tokyo » et pour ses exploits lors de courses aériennes entre les deux guerres plutôt que pour ses accompliss­ements très réels et substantie­ls en tant que grand commandant aérien au combat. Nous attendons toujours sa biographie définitive.

Notes

(1) Extrait d’une interview publiée dans Défense & Sécurité Internatio­nale, hors-série no 39, décembre 2014-janvier 2015.

(2) Philip S. Meilinger, Bomber. The Formation and Early Years of the Strategic Air Command, Air University Press, Air Force Research Institute, 2012.

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