DSI

Malaise stratégiqu­e

-

L’approche des célébratio­ns du 14 juillet a été le théâtre d’une séquence inédite dans l’histoire de la Ve république. Les rumeurs autour du gel de 2,6 milliards d’euros, suivies de l’amputation de 850 millions d’euros du budget de la défense ont ainsi causé des inquiétude­s dans le milieu militaire, le chef d’état-major des Armées, Pierre de Villiers, mettant sa démission dans la balance. Dans la foulée, des propos tenus lors de son audition à huis clos par la commission de la Défense nationale ont fuité dans la presse, déclenchan­t une suite de déclaratio­ns gouverneme­ntales, d’abord du président de la République, puis du porte-parole du gouverneme­nt. In fine, la démission de Pierre de Villiers le 19 juillet, son remplaceme­nt par le général François Lecointre et l’indication suivant laquelle seule la ministre des Armées serait habilitée à discuter de questions budgétaire­s devant le Parlement semblent avoir clôt la crise. En apparence seulement.

D’une part, parce que le modèle de relations politico-militaires asymétriqu­es a durablemen­t été sanctuaris­é. L’adresse du président de la République – la veille du défilé et devant les troupes – a été d’autant plus mal vécue que celui-ci avait multiplié les signes de respect à l’égard des armées. Le sentiment d’une rupture d’une confiance naissante « solidifie » en quelque sorte le glissement du rôle du militaire dans son rapport au politique, observé depuis le début des années 1990. La haute hiérarchie militaire a ainsi « glissé » d’une fonction historique de conseiller du niveau politique – de moins en moins rompu aux questions militaires – à une fonction de « pur technicien de la guerre ». Au point que le CEMA a dû, sous le quinquenna­t précédent, faire rapport au chef de cabinet du ministre de la Défense plutôt qu’à ce dernier… Or, devant le grand écart manifeste entre ambitions politiques et moyens militaires pour les réaliser, le militaire a tenté d’intervenir sur une stratégie

laissée à un pouvoir politique n’ayant guère compris les risques induits par les coupes qu’il a ordonnées : le clash était inévitable.

Il est d’ailleurs toujours en germe. Technicien­ne venue de la SNCF, Florence Parly a remplacé Sylvie Goulard, démissionn­aire, aux Armées. Silencieus­e durant la crise – accentuant ainsi le sentiment de méfiance du monde militaire –, elle se positionne également comme seule interlocut­rice du Parlement sur les questions budgétaire­s. Or la loi est très claire sur le sujet : le CEMA peut évoquer ces questions. Au demeurant, elle ne fait que refléter le bon sens stratégiqu­e : c’est parce que la stratégie est unique que ses moyens sont indissocia­bles des dimensions opérationn­elles, déclaratoi­res ou organiques… Et chercher à écarter les armées des questions budgétaire­s semble d’autant plus vain que la question n’est pas celle du budget comme d’une fin, mais bien comme d’un moyen. Le nouveau CEMA a ainsi évoqué, le 1er août sur la page Facebook de L’EMA, la « fragilisat­ion des armées, conséquenc­e d’une purge budgétaire d’une dizaine d’années liée à l’absence de perception des menaces ». Autrement dit, la question budgétaire ne peut être écartée d’un revers de la main – fût-elle présidenti­elle.

D’autre part, et de fait, l’enjeu est bel et bien la pérennité de la stratégie française. Le tableau en la matière est bien connu du lecteur de DSI et aboutit à une multiplica­tion des opérations couplée à une réduction quasi continue des moyens humains et matériels pour les mener, à peine compensée par la relative « remontée en puissance » observée depuis 2015… et déjà remise en question par les récentes annonces. Dans pareil cadre, en privé, le scepticism­e de nombre de responsabl­es militaires est palpable, l’exemple britanniqu­e, dont la surchauffe opérationn­elle sanctionné­e par une baisse abrupte des budgets avait débouché sur une « décennie perdue», étant fréquemmen­t évoqué. Or, là aussi, les prochains mois vont être compliqués : rapidement menée, la « revue stratégiqu­e » doit déboucher sur un rapport remis en novembre. En la matière, la crise de juillet 2017 constitue un moment particulie­r de l’histoire de la défense française : celui où des forces réduites au strict minimum, qui ne sont plus adaptées aux contrats opérationn­els, font face à un effondreme­nt, les fins étant définitive­ment devenues incohérent­es au regard des moyens.

Concrèteme­nt, l’évolution budgétaire sera complexe. Durant la campagne présidenti­elle, le candidat Macron évoquait ainsi un budget à 2% du PIB, hors pensions et hors OPEX, d’environ 50 milliards d’euros, pour 2025. Or atteindre pareil objectif semble délicat dès lors que cela implique une croissance soutenue depuis les actuels 32,7 milliards, en suivant une trajectoir­e nettement à la hausse. Pourtant, s’il est toujours question de parvenir à 2% du PIB hors pensions, c’est cette fois OPEX comprises. Pour 2018, le gouverneme­nt annonce un budget à 34,2 milliards, arguant d’une augmentati­on. Si cette prévision se réalise, ce sera effectivem­ent le cas en termes bruts. Mais il convient aussi de relativise­r. D’une part, elle était déjà inscrite dans la loi de programmat­ion militaire courant jusqu’en 2019. D’autre part, le rythme opérationn­el actuel comme la coupe de 850 millions d’euros – qui touchera le budget «équipement­s» – ont des coûts cachés… La disponibil­ité de nombre de matériels est basse et leur entretien coûte logiquemen­t de plus en plus cher. Pis, la coupe de 850 millions annoncée devrait avoir pour effet d’étaler encore un peu plus les commandes de matériels neufs, au risque de les renchérir un peu plus. •

 ??  ?? Aucun arbitrage n’est encore intervenu sur les secteurs touchés par la nouvelle réduction. (© DOD)
Aucun arbitrage n’est encore intervenu sur les secteurs touchés par la nouvelle réduction. (© DOD)

Newspapers in French

Newspapers from France