État de crise
La Corée du Nord a multiplié les essais balistiques d’engins de plus de 300 km ces dernières années : 14 en 2017 (à la mi-août), 24 en 2016, 15 en 2015 selon la base de données du Center for Non-proliferation Studies. Reste que les progrès enregistrés sont notoires, avec la disposition effective de capacités intercontinentales, aptes à menacer les États-unis – avérée depuis début juillet. Deux Hwasong-14 (KN-20) ont ainsi été tirés sur des trajectoires à l’apogée volontairement élevée, signant la capacité. Toujours en 2017, quatre Hwasong-12 (KN-17)
– cette fois de portée intermédiaire – ont été lancés, mais ces essais se sont soldés par trois échecs. En 2016, c’était le Hwasong-10/musudan, également à portée intermédiaire, qui était testé, avec sept échecs sur huit lancements. Pratiquement cependant, l’atteinte d’une capacité à cibler les États-unis, mais aussi les bases américaines dans la région, y compris Guam, a déclenché une crise entre Pyongyang et Washington. La Maison-blanche a répliqué le 9 août – jour anniversaire de l’attaque de Nagasaki – en indiquant que si les provocations nord-coréennes continuaient, elles auraient pour réponse « le feu et la rage », la Corée du Nord indiquant travailler à un plan impliquant le lancement de quatre missiles vers l’île de Guam – un territoire ne faisant pas partie intégrante des États-unis, mais, selon la formule, « librement associé » à eux.
Si Kim Jong-un a ensuite indiqué qu’il prenait le temps de la réflexion, mettant un terme à la crise, cette dernière est porteuse de plusieurs leçons. Au fonctionnement des mécanismes de la dissuasion, il faut ajouter la continuité de ses logiques traditionnelles (le jeu du « chicken » où l’un des protagonistes doit finir par reculer), mais aussi le poids du « madman » : l’intention d’aller jusqu’au bout dans un contexte offrant plusieurs autres options, y compris si elle peut être interprétée comme de la folie. Reste également à évaluer le rôle des antimissiles : la disposition d’une batterie de missiles THAAD à Guam a-t-elle participé de la perception chez Donald Trump d’un risque limité à adopter une attitude martiale ? La crise a également détérioré les relations entre la Corée du Sud – qui aurait été prise entre le marteau et l’enclume – et les États-unis, la première indiquant que toute décision d’attaque sur la péninsule coréenne devrait passer par elle – en sachant que les exercices « Ulchi Freedom Guardian » devaient se tenir fin août.
La crise démontre aussi l’acceptation de la dissuasion de Pyongyang. Si les États-unis n’ont jamais été en mesure d’engager des opérations préventives contre la Corée du Nord par manque de masse, il faut aussi constater que la fenêtre d’opportunité pour conduire une telle opération s’est définitivement refermée. Si tant est qu’elle ait pu exister : le gros de la capacité de frappe du Nord est constitué d’artillerie et de missiles balistiques de courte portée, conventionnels ou chimiques, posant un problème direct à la Corée du Sud. Celle-ci figurant dans le top 15 mondial des économies les plus puissantes, une guerre menaçant sa survie est en soi un puissant facteur de dissuasion. La crise aura également des conséquences sur la prolifération alors que, historiquement, les États-unis ont toujours agi afin de la réduire. En effet, de plus en plus de voix se font entendre en Corée du Sud, mais aussi au Japon, demandant de disposer de capacités nucléaires nationales qui permettraient d’accroître l’autonomie stratégique à l’égard des États-unis. •