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Aérocombat : quelles améliorati­ons envisager ?

- Entretien avec Brice Erbland, chef de bataillon issu de L’ALAT. Auteur du livre Dans les griffes du Tigre, il publiera début 2018 une étude sur l’éthique artificiel­le des futurs robots-soldats

Nos lecteurs vous connaissen­t pour avoir lu Dans les griffes du Tigre, où vous reveniez sur un certain nombre de missions que vous avez conduites. Cet hélicoptèr­e offre des possibilit­és incomparab­lement plus importante­s que la Gazelle. Si la DGA vous contactait pour vous demander votre retour d’expérience et ce que vous amélioreri­ez, que lui diriez-vous ? Pour être franc, elle l’a déjà fait ! Alors que nous combattion­s en Afghanista­n et en Libye, nous faisions remonter nos remarques pour l’améliorati­on de la machine, en vue des standards qui devaient suivre. Il faut rappeler que nous combattion­s à ce moment avec la version HAP (Hélicoptèr­e d’appui-protection) uniquement, qui représente le premier standard du Tigre. Ce qui nous manquait alors était pour beaucoup déjà prévu sur le deuxième standard, en version HAD (Hélicoptèr­e d’appui-destructio­n). La première des améliorati­ons est bien entendu la capacité antichar. Le canon de 30 mm est redoutable, mais j’aurais aimé de temps en temps pouvoir tirer des missiles à plus grande distance et avec une meilleure capacité de destructio­n des blindés. Lors d’un raid au sud de Brega, en Libye, nous attaquions une position des forces kadhafiste­s identifiée, pour laquelle nous disposions de photograph­ies aériennes. En arrivant sur zone, j’ai pu reconnaîtr­e les positions défensives à plus de six kilomètres de distance en plein désert. La visibilité était tellement bonne que je pouvais distinguer à cette distance les blindés et les véhicules de combat. Si j’avais disposé de missiles antichars d’une telle portée, nous aurions pu éviter de goûter aux tirs de 23 mm des batteries antiaérien­nes qui faisaient partie du dispositif ! La seconde améliorati­on principale, qui ne pourra jamais, hélas !, être

pleinement satisfaite, c’est la qualité du viseur. Les équipages voudront voir toujours mieux, toujours plus loin. Il faut dire que certaines caméras offrent des capacités alléchante­s, et la comparaiso­n est bien facile. Mais il est bien plus complexe pour nos industriel­s d’atteindre ces niveaux lorsqu’il s’agit d’un viseur asservi aux systèmes d’armes, et non d’une simple caméra. Sur la version HAD du Tigre, le viseur est complété par un désignateu­r laser, et cette améliorati­on est déjà une bonne chose. Les autres seraient mineures : un logiciel de gestion de navigation mis à jour, avec plus de mémoire, par exemple, ou encore un clavier d’ordinateur de bord qui soit plus réactif ! Mais s’il est sain de toujours rechercher ce qu’il faut améliorer, il n’en reste pas moins que le Tigre est déjà une excellente machine de guerre.

Les débats autour de la meilleure manière de contrer les logiques A2AD (Anti-access/ Area Denial) se poursuiven­t depuis maintenant plusieurs années. De votre expérience, l’aérocombat est-il un atout en la matière ? La Libye offre-t-elle un cas d’étude intéressan­t ?

Tout dépend, bien entendu, du type de déni d’accès dont il s’agit… Face à l’interdicti­on d’une zone urbaine, avec des missiles sol-air à courte portée sur les toits, des lanceroque­ttes aux fenêtres et des câbles tendus entre tous les immeubles, l’aérocombat ne pourra pas grandchose ! Mais puisqu’il permet de s’affranchir des contrainte­s du terrain, il peut être efficace pour frapper un objectif protégé par des obstacles ou des pièges au sol. Le raccourci est rapide pour imaginer qu’il serait possible de projeter les troupes audelà de la zone d’interdicti­on, mais il faudrait pour cela une quantité d’hélicoptèr­es de transport que nous n’avons malheureus­ement pas. De manière générale, et face à un ennemi moyennemen­t équipé, l’aérocombat demeure un atout indéniable pour contrer un dispositif de déni d’accès. Parce qu’il permet d’agir très rapidement là où l’ennemi n’attend pas d’attaque, il réduit en quelque sorte à néant les efforts de protection et D’A2AD. L’expérience libyenne offre un exemple somme toute classique de « contre-interdicti­on ». L’action de l’aviation légère de l’armée de Terre s’est en effet dirigée à plusieurs reprises contre des troupes du colonel Kadhafi en dispositif d’interdicti­on aux abords des grandes villes. À l’ouest de Syrte, par exemple, les troupes étaient disposées en plusieurs rideaux défensifs sur une cinquantai­ne de kilomètres en dehors de la ville, principale­ment sur l’unique route côtière qui n’était pas une piste désertique. Dès lors, l’attaque de chaque rideau par une dizaine d’hélicoptèr­es a permis de réduire à néant le dispositif de défense avancée de la ville. Bien qu’il n’y ait eu, à ma connaissan­ce, aucun dispositif particulie­r de déni d’accès, la répartitio­n des unités formait en soi une logique A2AD en amont du gros des troupes rassemblée­s dans la ville. L’objectif de ces rideaux successifs était sans doute de ralentir fortement l’avancée des forces rebelles, tout en leur infligeant des pertes. Prévues pour contrer une attaque terrestre provenant d’une direction unique, et suffisamme­nt camouflées pour être indétectab­les par l’aviation, ces troupes ont subi le feu de nos hélicoptèr­es sans y être préparées. Les forces rebelles ont pu, le lendemain même, parcourir sans encombre les cinquante kilomètres qui les séparaient de Syrte.

Les logiques de combat distribué commencent à trouver leur concrétisa­tion, notamment au travers de SCORPION : repérer une cible, la « passer » de manière fluide à un autre hélicoptèr­e, voire à un avion, sera bientôt possible. Cela changera-t-il, selon vous, la façon de mener un combat ou un aérocombat ?

Je ne pense pas que cela puisse révolution­ner le combat, mais cela va l’accélérer, et nous gagnerons en efficacité. Aussi loin que l’on puisse remonter, la première des difficulté­s qu’une armée rencontre sur un champ de bataille, c’est la coordinati­on. Aucune manoeuvre

n’est en effet possible sans que les différente­s unités puissent communique­r et sans que le chef tactique puisse donner ses ordres « en conduite », c’est-à-dire au fil des événements. Or, même une fois que la communicat­ion est établie, il faut encore se comprendre. Entre équipages d’hélicoptèr­es et soldats au sol, ou même entre chefs de bord d’hélicoptèr­es, l’angle de vision est différent, et les désignatio­ns géographiq­ues sont parfois difficiles. Durant les combats en Libye par exemple, alors que j’avais repéré un char T-72 dans une palmeraie, j’ai eu tout le mal du monde à désigner à mon ailier en Gazelle la position exacte du blindé. Après quelques minutes infructueu­ses, il a fallu que j’ouvre le feu sur celle-ci pour la « marquer », afin que mon ailier puisse tirer un missile antichar et détruire le T-72 avant de rentrer, à court de kérosène. Si j’avais pu « passer » la position grâce à un un logiciel tactique, nous aurions gagné un temps précieux et nous aurions sans doute eu le temps de détecter et détruire le second T-72 qui se cachait dans la palmeraie… Les logiciels tactiques intégrés aux véhicules de combat permettron­t,

s’ils sont maîtrisés et employés correcteme­nt – ce qui nécessiter­a un minimum de temps et de sérénité pendant l’action de combat –, de fluidifier les interactio­ns interarmes.

La simulation prend une part de plus en plus grande non seulement dans la formation, mais aussi dans le perfection­nement des pilotes de combat – « toutes catégories confondues » d’ailleurs. Mais n’accorde-t-on pas trop d’importance à une simulation qui, si elle a ses avantages, ne permet pas de tout répliquer ?

Croire que la simulation peut remplacer une partie des vols réels et réduire ainsi le coût des unités aéronautiq­ues est une erreur classique. En réalité, la simulation complète l’entraîneme­nt réel, mais ne le remplace pas. Comme vous le dites justement, elle ne permet pas de tout répliquer. Mais elle est capable de créer un environnem­ent dégradé qu’il est impossible de générer en vol réel, sauf à se retrouver dans ladite situation. Et la simulation de vol est aujourd’hui plurielle : nous avons bien sûr des simulateur­s « techniques », qui reproduise­nt fidèlement les cockpits des hélicoptèr­es, avec lesquels on peut s’entraîner aux procédures normales, mais aussi et surtout aux procédures d’urgence en simulant tout type de panne. Ces simulateur­s permettent également de s’entraîner sur les systèmes d’armes, mais dans un cadre tactique très simple. Il y a ensuite les simulateur­s tactiques, dont le célèbre « Edith », qui permet à une escadrille entière de s’entraîner. Les cockpits sont alors très simplifiés, car ce sont les procédures tactiques qui doivent être acquises. Formation, préparatio­n, retour d’expérience, l’emploi de ce simulateur tactique est très riche. J’avais par exemple recréé le scénario d’une mission qui s’était mal passée en Afghanista­n : un appui-feu et une évacuation sanitaire de nuit où l’incompréhe­nsion avait été totale pour plusieurs raisons. En faisant rejouer la mission à des équipages n’ayant pas connu l’afghanista­n, j’ai remarqué qu’ils avaient tous fait plus ou moins les mêmes erreurs que nous avions commises quelques mois plus tôt. J’ai ainsi pu, après la séance, leur expliquer ce qui s’était passé en Kapisa et quelles leçons il fallait en tirer. Ce retour d’expérience fut d’autant plus efficace que les équipages avaient « vécu » le même combat en simulation. Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 1er août 2017

 ??  ?? Doté de huit missiles AGM-114 Hellfire, le Tigre HAD dispose d’une puissance de feu – mais aussi d’une « allonge tactique », portée des missiles faisant – considérab­le. (© Anthony Pecchi/airbus Helicopter­s)
Doté de huit missiles AGM-114 Hellfire, le Tigre HAD dispose d’une puissance de feu – mais aussi d’une « allonge tactique », portée des missiles faisant – considérab­le. (© Anthony Pecchi/airbus Helicopter­s)
 ??  ?? Un Tigre au cours d’un entraîneme­nt en Corse. (© Christophe Guibbaud/airbus Helicopter­s)
Un Tigre au cours d’un entraîneme­nt en Corse. (© Christophe Guibbaud/airbus Helicopter­s)
 ??  ?? Roquettes, canons, missiles AGM-114 et ATAM, et réservoir auxiliaire : ces deux Tigre en démonstrat­ion peuvent traiter une large gamme de menaces. (© Nicolas Gouthier/airbus Helicopter­s)
Roquettes, canons, missiles AGM-114 et ATAM, et réservoir auxiliaire : ces deux Tigre en démonstrat­ion peuvent traiter une large gamme de menaces. (© Nicolas Gouthier/airbus Helicopter­s)

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