Aérocombat : quelles améliorations envisager ?
Nos lecteurs vous connaissent pour avoir lu Dans les griffes du Tigre, où vous reveniez sur un certain nombre de missions que vous avez conduites. Cet hélicoptère offre des possibilités incomparablement plus importantes que la Gazelle. Si la DGA vous contactait pour vous demander votre retour d’expérience et ce que vous amélioreriez, que lui diriez-vous ? Pour être franc, elle l’a déjà fait ! Alors que nous combattions en Afghanistan et en Libye, nous faisions remonter nos remarques pour l’amélioration de la machine, en vue des standards qui devaient suivre. Il faut rappeler que nous combattions à ce moment avec la version HAP (Hélicoptère d’appui-protection) uniquement, qui représente le premier standard du Tigre. Ce qui nous manquait alors était pour beaucoup déjà prévu sur le deuxième standard, en version HAD (Hélicoptère d’appui-destruction). La première des améliorations est bien entendu la capacité antichar. Le canon de 30 mm est redoutable, mais j’aurais aimé de temps en temps pouvoir tirer des missiles à plus grande distance et avec une meilleure capacité de destruction des blindés. Lors d’un raid au sud de Brega, en Libye, nous attaquions une position des forces kadhafistes identifiée, pour laquelle nous disposions de photographies aériennes. En arrivant sur zone, j’ai pu reconnaître les positions défensives à plus de six kilomètres de distance en plein désert. La visibilité était tellement bonne que je pouvais distinguer à cette distance les blindés et les véhicules de combat. Si j’avais disposé de missiles antichars d’une telle portée, nous aurions pu éviter de goûter aux tirs de 23 mm des batteries antiaériennes qui faisaient partie du dispositif ! La seconde amélioration principale, qui ne pourra jamais, hélas !, être
pleinement satisfaite, c’est la qualité du viseur. Les équipages voudront voir toujours mieux, toujours plus loin. Il faut dire que certaines caméras offrent des capacités alléchantes, et la comparaison est bien facile. Mais il est bien plus complexe pour nos industriels d’atteindre ces niveaux lorsqu’il s’agit d’un viseur asservi aux systèmes d’armes, et non d’une simple caméra. Sur la version HAD du Tigre, le viseur est complété par un désignateur laser, et cette amélioration est déjà une bonne chose. Les autres seraient mineures : un logiciel de gestion de navigation mis à jour, avec plus de mémoire, par exemple, ou encore un clavier d’ordinateur de bord qui soit plus réactif ! Mais s’il est sain de toujours rechercher ce qu’il faut améliorer, il n’en reste pas moins que le Tigre est déjà une excellente machine de guerre.
Les débats autour de la meilleure manière de contrer les logiques A2AD (Anti-access/ Area Denial) se poursuivent depuis maintenant plusieurs années. De votre expérience, l’aérocombat est-il un atout en la matière ? La Libye offre-t-elle un cas d’étude intéressant ?
Tout dépend, bien entendu, du type de déni d’accès dont il s’agit… Face à l’interdiction d’une zone urbaine, avec des missiles sol-air à courte portée sur les toits, des lanceroquettes aux fenêtres et des câbles tendus entre tous les immeubles, l’aérocombat ne pourra pas grandchose ! Mais puisqu’il permet de s’affranchir des contraintes du terrain, il peut être efficace pour frapper un objectif protégé par des obstacles ou des pièges au sol. Le raccourci est rapide pour imaginer qu’il serait possible de projeter les troupes audelà de la zone d’interdiction, mais il faudrait pour cela une quantité d’hélicoptères de transport que nous n’avons malheureusement pas. De manière générale, et face à un ennemi moyennement équipé, l’aérocombat demeure un atout indéniable pour contrer un dispositif de déni d’accès. Parce qu’il permet d’agir très rapidement là où l’ennemi n’attend pas d’attaque, il réduit en quelque sorte à néant les efforts de protection et D’A2AD. L’expérience libyenne offre un exemple somme toute classique de « contre-interdiction ». L’action de l’aviation légère de l’armée de Terre s’est en effet dirigée à plusieurs reprises contre des troupes du colonel Kadhafi en dispositif d’interdiction aux abords des grandes villes. À l’ouest de Syrte, par exemple, les troupes étaient disposées en plusieurs rideaux défensifs sur une cinquantaine de kilomètres en dehors de la ville, principalement sur l’unique route côtière qui n’était pas une piste désertique. Dès lors, l’attaque de chaque rideau par une dizaine d’hélicoptères a permis de réduire à néant le dispositif de défense avancée de la ville. Bien qu’il n’y ait eu, à ma connaissance, aucun dispositif particulier de déni d’accès, la répartition des unités formait en soi une logique A2AD en amont du gros des troupes rassemblées dans la ville. L’objectif de ces rideaux successifs était sans doute de ralentir fortement l’avancée des forces rebelles, tout en leur infligeant des pertes. Prévues pour contrer une attaque terrestre provenant d’une direction unique, et suffisamment camouflées pour être indétectables par l’aviation, ces troupes ont subi le feu de nos hélicoptères sans y être préparées. Les forces rebelles ont pu, le lendemain même, parcourir sans encombre les cinquante kilomètres qui les séparaient de Syrte.
Les logiques de combat distribué commencent à trouver leur concrétisation, notamment au travers de SCORPION : repérer une cible, la « passer » de manière fluide à un autre hélicoptère, voire à un avion, sera bientôt possible. Cela changera-t-il, selon vous, la façon de mener un combat ou un aérocombat ?
Je ne pense pas que cela puisse révolutionner le combat, mais cela va l’accélérer, et nous gagnerons en efficacité. Aussi loin que l’on puisse remonter, la première des difficultés qu’une armée rencontre sur un champ de bataille, c’est la coordination. Aucune manoeuvre
n’est en effet possible sans que les différentes unités puissent communiquer et sans que le chef tactique puisse donner ses ordres « en conduite », c’est-à-dire au fil des événements. Or, même une fois que la communication est établie, il faut encore se comprendre. Entre équipages d’hélicoptères et soldats au sol, ou même entre chefs de bord d’hélicoptères, l’angle de vision est différent, et les désignations géographiques sont parfois difficiles. Durant les combats en Libye par exemple, alors que j’avais repéré un char T-72 dans une palmeraie, j’ai eu tout le mal du monde à désigner à mon ailier en Gazelle la position exacte du blindé. Après quelques minutes infructueuses, il a fallu que j’ouvre le feu sur celle-ci pour la « marquer », afin que mon ailier puisse tirer un missile antichar et détruire le T-72 avant de rentrer, à court de kérosène. Si j’avais pu « passer » la position grâce à un un logiciel tactique, nous aurions gagné un temps précieux et nous aurions sans doute eu le temps de détecter et détruire le second T-72 qui se cachait dans la palmeraie… Les logiciels tactiques intégrés aux véhicules de combat permettront,
s’ils sont maîtrisés et employés correctement – ce qui nécessitera un minimum de temps et de sérénité pendant l’action de combat –, de fluidifier les interactions interarmes.
La simulation prend une part de plus en plus grande non seulement dans la formation, mais aussi dans le perfectionnement des pilotes de combat – « toutes catégories confondues » d’ailleurs. Mais n’accorde-t-on pas trop d’importance à une simulation qui, si elle a ses avantages, ne permet pas de tout répliquer ?
Croire que la simulation peut remplacer une partie des vols réels et réduire ainsi le coût des unités aéronautiques est une erreur classique. En réalité, la simulation complète l’entraînement réel, mais ne le remplace pas. Comme vous le dites justement, elle ne permet pas de tout répliquer. Mais elle est capable de créer un environnement dégradé qu’il est impossible de générer en vol réel, sauf à se retrouver dans ladite situation. Et la simulation de vol est aujourd’hui plurielle : nous avons bien sûr des simulateurs « techniques », qui reproduisent fidèlement les cockpits des hélicoptères, avec lesquels on peut s’entraîner aux procédures normales, mais aussi et surtout aux procédures d’urgence en simulant tout type de panne. Ces simulateurs permettent également de s’entraîner sur les systèmes d’armes, mais dans un cadre tactique très simple. Il y a ensuite les simulateurs tactiques, dont le célèbre « Edith », qui permet à une escadrille entière de s’entraîner. Les cockpits sont alors très simplifiés, car ce sont les procédures tactiques qui doivent être acquises. Formation, préparation, retour d’expérience, l’emploi de ce simulateur tactique est très riche. J’avais par exemple recréé le scénario d’une mission qui s’était mal passée en Afghanistan : un appui-feu et une évacuation sanitaire de nuit où l’incompréhension avait été totale pour plusieurs raisons. En faisant rejouer la mission à des équipages n’ayant pas connu l’afghanistan, j’ai remarqué qu’ils avaient tous fait plus ou moins les mêmes erreurs que nous avions commises quelques mois plus tôt. J’ai ainsi pu, après la séance, leur expliquer ce qui s’était passé en Kapisa et quelles leçons il fallait en tirer. Ce retour d’expérience fut d’autant plus efficace que les équipages avaient « vécu » le même combat en simulation. Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 1er août 2017