DSI

Vers la fin du 5,56 mm ?

- Par Emmanuel Vivenot, spécialist­e des questions de défense

Le débat concernant les calibres des armes légères d’infanterie date des années 1920 et a influencé leur conception depuis près d’un siècle. Les armées américaine­s envisagent depuis plusieurs années le remplaceme­nt du M-16 et du M-4, en service depuis cinq décennies, par une arme d’un calibre intermédia­ire se situant entre le 5,56 × 45 mm et le 7,62 × 51 mm. Une nouvelle arme individuel­le devrait ainsi voir le jour à l’horizon 2020, répondant à des concepts à l’étude depuis 2014 à travers la Small Arms Ammunition Configurat­ion

Study, qui doit s’achever et rendre ses conclusion­s d’ici à la fin de l’été 2017.

On observe aujourd’hui un « alourdisse­ment » général des calibres utilisés, que ce soit pour les armes individuel­les du fantassin ou pour celles de certains spécialist­es tels que les tireurs d’élite, parmi lesquels le .338 Lapua Magnum est de plus en plus répandu. Ce phénomène, apparu dès 2006 avec le durcisseme­nt du conflit afghan, découle des

distances d’engagement plus longues en montagne qu’en plaine ou en ville, nécessitan­t des munitions plus puissantes que celles adoptées au cours du XXE siècle. Plus de la moitié des engagement­s enregistré­s lors d’« Enduring Freedom » ont eu lieu au-delà de 300 m et ont montré les limites de l’actuelle munition de 5,56×45 mm : sa précision et sa létalité diminuent lorsqu’elle atteint sa portée de combat maximale. Concernant la 7,62 × 51 mm, son poids réduit le nombre de munitions emportées par chaque fantassin. Selon une

étude menée en 2006 par L’US Joint Service Wound Ballistics Integrated Product Team, le calibre idéal se situerait entre 6,5 et 7 mm.

Alors que le M-16 et le M-4 arrivent en fin de vie opérationn­elle, L’US Army estime qu’il est temps d’investir dans de nouveaux concepts, car même si la plate-forme AR15 et les déclinaiso­ns de Colt ont donné satisfacti­on depuis leur introducti­on durant la guerre du Vietnam, plusieurs phénomènes ont rendu le 5,56 mm de moins en moins intéressan­t pour le combattant

débarqué : les adversaire­s des Étatsunis, au premier rang desquels Alqaïda et l’état islamique, utilisent des calibres plus puissants (tels que le 7,62 × 54R mm tiré par les mitrailleu­ses PKM et le fusil de sniper SVD Dragunov, dont la portée pratique oscille entre 700 et 900 m, contre 450 m pour la carabine M-4 et 600 m pour la M-249 SAW), tandis que leurs combattant­s disposent de protection­s balistique­s de plus en plus efficaces face au 5,56 × 45 mm. En parallèle, les problèmes de fiabilité et d’incidents de tir dont souffrent les Colt M-16 et M-4 n’arrangent rien, tout comme l’absence d’arme de remplaceme­nt réellement meilleure : l’échec du fusil SCAR de FN Herstal au sein de L’USSOCOM est représenta­tif de ce problème.

Toutefois, changer de calibre au sein d’une armée n’est pas chose évidente, pour des raisons industriel­les, logistique­s, économique­s et politiques : le M-1 Garand avait été adopté à la fin des années 1920 en calibre .30-06 au détriment du .276 Pedersen (pourtant mieux adapté) pour profiter des stocks de .30-06 restants de la Première Guerre mondiale. Le même phénomène se reproduit aujourd’hui avec le 5,56 mm et le 7,62 mm, utilisés par toutes les armées de L’OTAN en vertu d’accords de standardis­ation conclus il y a plusieurs décennies. L’US Army, L’USMC et L’USSOCOM se préparent donc à un changement de paradigme pour le courant des années 2020, tablant sur des calibres plus lourds, ainsi que sur des étuis en polymère ou téléscopés pour la prochaine génération d’armes légères.

L’USSOCOM ouvre la marche des travaux d’étude pour son prochain fusil de sniper semi-automatiqu­e, anticipant le remplaceme­nt de l’actuel M-110 SASS : le 6,5 mm Creedmoor (6,5×49 mm) et le .260 Remington (6,7×52 mm) sont les deux calibres envisagés, suffisamme­nt répandus pour être disponible­s en évitant de coûteux programmes de recherche et développem­ent. Leur balistique montre qu’ils restent supersoniq­ues plus longtemps, sont moins sensibles au vent et offrent une puissance supérieure à celle du 7,62 mm OTAN lors de l’impact. Les études se focalisent plutôt sur l’allégement de la munition elle-même à travers les nouvelles technologi­es de cartouche en polymère et de cartouche téléscopée, qui sont les deux principaux axes de cet effort, déjà abordés dans DSI au sujet de la mitrailleu­se LSAT : la masse d’une balle téléscopée est réduite d’un tiers, ce qui permettrai­t à une 6,5 mm Creedmoor de peser l’équivalent d’une 5,56 mm classique. Tandis que L’USMC et L’US Army suivent de près les études menées par L’USSOCOM, l’industriel Textron Systems travaille sur une munition en .264 Winchester Magnum (6,7 × 64 mm) offrant une puissance terminale supérieure à celle du 7,62 mm OTAN jusqu’à 1 200 m. Comparée à une M-240L avec 800 coups, une mitrailleu­se équivalent­e en .264 WM pèserait 13,5 kg de moins.

L’US Army renouvelle ses armes légères d’infanterie

En attendant la prochaine génération d’armements légers, le Maneuver Center de L’US Army étudie l’acquisitio­n de nouvelles armes d’infanterie suivant deux axes : un fusil d’assaut qui remplacera­it le M-4 et une mitrailleu­se légère prenant la suite de la M-249 SAW de FN Herstal. Ce projet d’équipement en stop gap respectera­it les standards OTAN et amorcerait une transition vers le 7,62 × 51 mm, d’ici à ce qu’une décision soit prise vis-à-vis d’un futur calibre intermédia­ire tel que le 6,5 mm Creedmoor ou le .260 Remington. Le 30 mai 2017, L’US Army Contractin­g Commandaém­isunedeman­ded’informatio­n concernant l’interim Combat Service Rifle (ICSR), dont les caractéris­tiques principale­s sont les suivantes : chambré en 7,62 × 51 mm, il doit comporter un canon d’une longueur comprise entre 16 et 20 pouces sur lequel doivent pouvoir être fixés un silencieux, un frein de bouche et un compensate­ur de recul, et alimenté par un chargeur d’au moins 20 coups. Il doit également comprendre une crosse rétractabl­e afin d’être maniable en combat urbain, des organes de visée mécaniques repliables et réglables sur une hausse de 600 m, et des rails Picatinny permettant d’y fixer les aides à la visée et accessoire­s en dotation.

Quatre options sont aujourd’hui disponible­s sur le marché «sur étagère» des fusils d’assaut en 7,62 mm : le M-14 Enhanced Battle Rifle, le Mk17 SCAR-H de FN Herstal, le M-110 Semiautoma­tic Sniper System de Knight’s

Armament et le HK417 de Heckler & Koch, ce dernier ayant par ailleurs été adopté par L’US Army dans le cadre de son programme Combat Semi Automatic Sniper System portant sur 6029 exemplaire­s du HK417, redésigné M-110A1 CSASS. Si L’ICSR peut effectivem­ent répondre au besoin de l’infanterie pour lui donner la capacité d’abattre un adversaire à 600 m, L’US Army a de son côté développé une munition perforante en 7,62 mm qui peut traverser les plaques balistique­s résistant actuelleme­nt au 5,56 mm, qui devrait logiquemen­t être associée à ce nouveau fusil.

Du côté de la M-249 SAW, un autre appel d’offres a été émis en juin dernier au sujet de la Next Generation Squad Automatic Rifle (NGSAR) destinée aux brigade combat teams de L’US Army. Le cahier des charges stipule que cette nouvelle arme devra être aussi maniable et précise qu’une carabine, afin d’être parfaiteme­nt adaptée au combat urbain, tout en offrant la puissance de feu et la portée d’une mitrailleu­se légère. Ce concept fait immédiatem­ent penser à la Stoner M-63 utilisée par les SEAL au Vietnam. Il est attendu que la NGSAR puisse recevoir bloc laser, poignée tactique, lampe torche, optiques grossissan­tes diurnes comme nocturnes et organes de visée mécaniques de secours. Elle devra également être compatible avec le Small Arms Fire Control System, une conduite de tir encore en développem­ent à destinatio­n des tireurs d’élite. Avec la NGSAR, L’US Army veut pouvoir traiter des cibles fixes ou mouvantes au moins jusqu’à 600 m et, dans l’idéal, jusqu’à 1 200 m.

Le M-27 IAR de L’USMC

En service depuis 2010 au sein des compagnies d’infanterie du Corps des Marines, le M-27 IAR n’a pas totalement remplacé la M-249, qui est encore présente dans les sections d’appui et largement employée par celles de combat lors des patrouille­s en opérations. Initialeme­nt, l’idée était de réduire le volume de feu par une précision accrue des tirs d’appui, rendue possible par l’extrême qualité du canon de 16,5 pouces en acier forgé à froid de cette variante du HK416, par ailleurs dotée d’un sélecteur de tir limitant les rafales à trois coups.

L’efficacité du M-27 a tout de suite été remarquée dans L’USMC, au sein duquel l’idée d’en équiper tout le Corps a rapidement fait son chemin : fin 2016, l’institutio­n a entamé des tests avec un bataillon expériment­al, le 3/5 Marines, exclusivem­ent doté de M-27 IAR lors d’une campagne de tir de 28 jours au centre d’entraîneme­nt de Twenty Nine Palms. Cet exercice, et d’autres observatio­ns menées lors de déploiemen­ts en cours, devaient permettre de déterminer s’il était pertinent d’adopter le M-27 comme arme de dotation de L’US Marine Corps à la place du M-4A1, qui lui-même avait remplacé le M-16A4 au terme d’une longue période durant laquelle sa dotation était limitée aux officiers, sous-officiers et spécialist­es (EOD et Naval Corpsmen, entre autres). En février 2017, L’USMC émettait même une request for informatio­n portant sur l’acquisitio­n de 11 000 exemplaire­s du M-27.

Le prix unitaire de cette arme, avoisinant 3 000 dollars (sans optique ni accessoire­s), soit trois fois celui d’un M-4A1, est l’un des principaux freins à ce choix de modernisat­ion. L’autre difficulté, de taille, réside dans son sélecteur

de tir qui ne permet pas le tir en rafales libres : L’US Army avait connu le même problème avec le M-4, doté d’un sélecteur similaire, et l’avait résolu avec le M-4A1, modifié dans ce sens. Pour autant, les études qui avaient conduit à l’acquisitio­n du M-27 concernaie­nt les combats menés en Afghanista­n et avaient démontré que les talibans engageaien­t les forces occidental­es de préférence avec des mitrailleu­ses PKM leur permettant de frapper audelà de la portée maximale des M-4A1 et M-16A4 afin de conserver l’avantage. Seules les patrouille­s disposant d’une M-240, d’un Squad Designated Marksman (SDM) ou d’un binôme de snipers avaient une chance de riposter efficaceme­nt. Jusqu’à l’arrivée du M-27, qui permet d’engager facilement des cibles jusqu’à 600 m, une distance jusqu’alors réservée aux mitrailleu­rs et aux SDM équipés de fusils Mk12 en 5,56 mm.

Toutefois, la conception du HK416, duquel le M-27 hérite directemen­t, est optimisée pour des longueurs de canon plus courtes (10,5 ou 14,5 pouces) et son circuit d’emprunt des gaz n’est pas le plus efficace en rafale avec un canon de 16,5 pouces, causant une usure prématurée de la culasse. D’autre part, le concept date du début des années 2000 et de nouvelles technologi­es en développem­ent pourraient donner naissance à une arme aussi performant­e pour des coûts inférieurs, et avec un poids total moindre. En mai 2017, L’USMC annonçait sa décision de doter sessdmd’uneversion­dum-27équipée d’optiques de grossissem­ent 3-9 fois à partir de 2018. En attendant, le Marine Corps Warfightin­g Laboratory poursuit ses études au niveau du groupe de combat.

Une mitrailleu­se en .338 Norma Magnum

Les armes d’appui connaissen­t également une période de modernisat­ion : après l’adoption de la mitrailleu­se lourde M-2A1 par L’USMC, celui-ci a, ainsi que L’USSOCOM, sollicité les industriel­s en avril dernier afin de déterminer les coûts et les possibilit­és d’acquisitio­n d’une mitrailleu­se moyenne chambrée en .338 Norma Magnum, un calibre intermédia­ire situé entre le 7,62 mm OTAN et le .50 BMG : dérivé du .338 Lapua Magnum (8,60 × 69 mm) cher aux snipers, le .338 Norma Magnum (8,60 × 63 mm) est plus léger et permettrai­t de surclasser à la fois les deux calibres précités à des distances supérieure­s, avec une portée pratique dépassant largement 1 800 m. La future mitrailleu­se, baptisée Lightweigh­t Medium Machinegun (LWMMG), doit peser moins de 12 kg à vide, avec une cadence de tir de 500 à 600 coups/ min et un canon de 24 pouces interchang­eable rapidement et sans outil, sur lequel pourrait être fixé un modérateur de son. Alimentée par bande de cartouches comme l’est l’actuelle M-240L en 7,62 mm OTAN, elle viendrait remplacer cette dernière, montée principale­ment sur les véhicules et sur les embarcatio­ns légères armées, tout en étant plus facilement utilisable en combat débarqué que la M-2HB en calibre .50, très lourde et peu mobile sur trépied, et offrant une gamme d’aides à la visée très restreinte par rapport aux mitrailleu­ses légères. Le cahier des charges des Marines et des forces spéciales indique une portée pratique suffisante pour engager des cibles matérielle­s et des véhicules jusqu’à 2 000 m.

 ??  ?? Le M-27 IAR des Marines, l’une des versions du HK416, permet de quitter les logiques de puissance de feu pour revenir à la précision. (© US Marines)
Le M-27 IAR des Marines, l’une des versions du HK416, permet de quitter les logiques de puissance de feu pour revenir à la précision. (© US Marines)
 ??  ?? Le M-110 SASS, issu du HK417. (© US Army)
Le M-110 SASS, issu du HK417. (© US Army)
 ??  ?? Tir à la M-240 SAW, version américaine de la Minimi. Le 5,56 mm répondait aux impératifs de la guerre froide. (© US Air Force)
Tir à la M-240 SAW, version américaine de la Minimi. Le 5,56 mm répondait aux impératifs de la guerre froide. (© US Air Force)
 ??  ?? Capture d’écran montrant un essai de la LWMMG en .338 Norma Magnum (soit 8,60 mm). (© Youtube)
Capture d’écran montrant un essai de la LWMMG en .338 Norma Magnum (soit 8,60 mm). (© Youtube)

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