Le yin, le yang, et le LOL
Nous nous en sommes tous déjà rendu compte, rien n’est jamais tout blanc ou tout noir : chaque bonne chose recèle en elle un potentiel négatif qui lui est indissociable – bref, le yin et le yang. L’eau est indispensable à la vie, mais peut vous noyer. La gégène découle d’un usage dévoyé de la fée électricité et de ses miracles (ou de mes tentatives d’installer mon tedieu de nouveau lampadaire) ; on peut multiplier les exemples à l’infini. Il y en a cependant un qui nous concerne plus directement : les éditorialistes. D’un côté, un journalisme informé et professionnel est sain en démocratie. D’un autre, il y a l’éditorialiste qui intervient à propos de tout – des budgets des armées à la meilleure manière de faire l’aïoli – en prétendant représenter l’opinion et en profitant de sa position dominante dans la chaîne de l’information. Certes, en démocratie, on n’est pas immunisé contre les rigolos, mais ces derniers peuvent aller jusqu’à l’absurde. Qu’on en juge : en pleine « crise de juillet » autour du budget de la défense, Hervé Gattegno, du Journal du Dimanche, indique dans un édito : « […] que les soldats risquent leur vie au front, c’est dans leur ordre des choses – c’est le métier qu’ils ont choisi. Ce n’est pas à la nation de protéger ses soldats […] ».
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Même si le JDD a servi de pas de tir aux Scud gouvernementaux contre les armées (le Grand Patron nous avait pourtant dit que le septième jour était fait pour se reposer), la phrase surprend. On peut vous rappeler (ou vous apprendre), cher Monsieur Gattegno, qu’un soldat équipé et entraîné protège mieux la nation qu’un soldat à poil. On peut aussi vous inviter à rencontrer un soldat et à confronter vos théories à la réalité. Vous pourrez par exemple demander à notre pauvre soldat qui doit déjà exécuter l’aberration stratégique qu’est « Sentinelle » sa carte d’identité. Juste histoire de constater que le gars que vous avez en face vous est tout aussi français que vous et qu’il fait donc lui aussi partie de la nation. Bref, dans la France du XXIE siècle, quel est pour vous le statut du soldat ? Est-il esclave ? Mercenaire ? Après tout, si le militaire ne fait pas partie de la nation en y naissant le plus souvent, en y vivant et en y travaillant, on peut alors se demander de quoi il fait partie. On me souffle « du Minarm, le ministère désarmé(es), pardi ! ».
Car il y a encore une aberration chez vous, pour qui le sacrifice est « dans leur ordre des choses » : « leur ordre » et non « l’ordre », comme si vous vous excluiez de la logique de défense nationale. Évidemment, on peut avoir en horreur la guerre, on peut être objecteur de conscience – j’en ai tout de même connu de plus respectueux –, mais de là à voir dans les militaires les membres d’une espèce de secte aux rites mystérieux, il y a quand même un pas. Certains l’ont d’ailleurs allègrement franchi en y voyant une source possible de coup d’état militaire : 1961, c’est tout près (ou pas). Vous tous, entre le ying et le yang, vous êtes le LOL. Un peu ce que le cholestérol est à une viande de boeuf persillée à point et servie avec de la béarnaise : vous bouchez les artères d’autoroutes de l’information dont nous n’avons pourtant jamais eu autant besoin. À notre dépit, dans la torpeur estivale – et surtout l’empressement d’oublier un moment politique confinant au surréalisme –, nous n’avons pas pu compter sur d’autres éditorialistes pour jouer aux statines ou proposer une séance de sport. L’enjeu, pourtant, n’est pas mince : assurer la sécurité des citoyens est l’une des plus belles tâches qui soient. C’est sans doute pour cela qu’on ne la confie pas à des éditorialistes.
Tous les mois, Carl von C. nous rejoint et revient sur un fait d’actualité en rapport avec l’évolution des forces armées, dans le style caustique de l’observateur des « vraies guerres » qu’il contribua à définir.