L’artillerie française au Liban : garantir la liberté d’action
Lorsque l’armée égyptienne franchit le canal de Suez en octobre 1973, elle prend par surprise les défenses israéliennes grâce à sa couverture sol-air constituée de batteries antiaériennes positionnées le long du canal. La présence de cette dernière prive la redoutable armée de l’air israélienne de sa liberté d’action. Cependant, une fois sorties de leur couverture sol-air, les divisions égyptiennes sont impuissantes face aux raids aériens adverses et sont finalement vaincues. Cet exemple historique illustre le rôle de l’artillerie antiaérienne comme condition essentielle du succès lors d’une opération.
L’apport décisif des artilleurs ne se limite cependant pas aux antécédents historiques. Ces dernières décennies, le théâtre libanais, en raison de la nature particulière de la mission de la France dans ce pays, met en relief une place inhabituelle pour l’artillerie : être l’élément clé d’une
force française avec une double mission de détection au profit de la FINUL (Force Intérimaire des Nations Unies au Liban) et de protection des emprises françaises.
La défense sol-air au Liban : surveiller l’espace aérien au profit de la FINUL
La résolution 1701 adoptée en août 2006 par le Conseil de sécurité
des Nations unies a confié à la FINUL la surveillance permanente de l’espace aérien du Sud-liban et des tirs d’artillerie entre le Liban et Israël. Chaque aéronef détecté entre la Blue Line et la rivière Litani est consigné dans un rapport quotidien envoyé au QG de la FINUL, et ensuite à New York. Le moindre tir (roquette, obus) survolant la Blue Line est immédiatement remonté au Force Commander. Ces détections constituent un argument
fort lors des discussions tripartites mensuelles réunissant les Libanais, les Israéliens et la FINUL. Face à une puissante aviation israélienne capable de frapper n’importe quel point de la région en cas de reprise des hostilités, la détection des survols est l’un des outils contribuant au maintien de la paix. La France a reçu la mission d’assurer cette surveillance de la troisième dimension en permanence. Ses moyens de détection 3D (radars NC1 40 de l’artillerie sol-air et radars Cobra du 1er régiment d’artillerie) se retrouvent ainsi en première ligne du dispositif de maintien de la paix au Sud-liban.
Outre ces moyens, l’armée de Terre déploie également une section de tir sol-air destinée à la défense des emprises françaises. Ces quatre pièces Mistral sont en mesure de délivrer des feux sur ordre du Senior National Representative (SNR) français, qui est également chef d’état-major de la FINUL. La chaîne feu dépend exclusivement du commandement national tandis que la chaîne détection est aux ordres de la FINUL. Alors que les drones et chasseurs israéliens survolent le Sud-liban en permanence, dans un contexte régional tendu impliquant l’état libanais, le Hezbollah, le régime syrien et les groupes terroristes en Syrie, la Force Commander Reserve (FCR) française opère dans un cadre extrêmement sensible dans lequel l’artillerie est en première ligne. Le groupement tactique interarmes français ne constitue pas uniquement la réserve du Force Commander onusien, mais également ses yeux et ses oreilles dans la troisième dimension.
Protéger les emprises françaises…
En effet, les artilleurs de la FCR garantissent non seulement une surveillance permanente de la troisième dimension au profit de L’ONU, mais également une couverture sol-air de « 9-1 » et « 9-10 », les deux camps français. L’attaque surprise de Bouaké (RCI) par deux Su-25 ivoiriens, en novembre 2004, qui a tué 10 soldats français et en a blessé 33 autres, a mis en évidence la nécessité de disposer d’une couverture antiaérienne au profit des troupes déployées au sol.
Chaque artilleur français déployé au Liban joue ainsi un rôle crucial dans la permanence des missions confiées à la FCR. Les équipes de pièces Mistral alternent durant tout le mandat deux jours sur position et deux jours de repos. Ces gardes sont parfois ponctuées de mise en place d’une pièce Mistral lors du déploiement du PC mobile français. Le radar NC1, articulé en une équipe de quatre opérateurs radar, maintient une veille permanente sur la position française de 9-1. Un second radar est également en mesure de se déployer lors des réunions tripartites afin de renforcer la couverture radar à proximité du point de rencontre des délégations. L’officier S3-3D compile les détections, conseille le chef de corps dans l’emploi des moyens 3D et constitue un maillon de la chaîne de tir. La sûreté des emprises et militaires français dépend de la fluidité de cette chaîne. L’incident de novembre 2006, où un chasseur israélien a manqué d’être abattu par une pièce Mistral française, démontre le caractère hautement sensible des moyens sol-air déployés au Liban. Une réactivité de chacun, toutes fonctions confondues, est primordiale afin de garder intacte la crédibilité des moyens 3D aux yeux de L’ONU et de l’interarmes.
… dans un cadre interarmes et interallié
L’artilleur français au Liban baigne dans un cadre à la fois interarmes et interallié et vit son mandat sous le
regard permanent de tous. Une défaillance de sa part réduirait grandement la crédibilité de la Force, mais également celle de la France. En effet, la puissance d’une force de maintien de la paix ne dépend pas de sa puissance de destruction, mais de la crédibilité de ses moyens. Dès l’instant où la brèche est ouverte et que les acteurs cessent de croire en cette force, l’action de la FINUL produit un impact plus faible. L’artillerie constitue ainsi un élément décisif des forces françaises déployées au Liban. Cependant, loin d’être une contrainte, ce cadre interallié offre à l’artillerie une occasion de démultiplier la portée de ses moyens de détection, et donc de consolider sa crédibilité. La présence d’une corvette allemande au sein de la Maritime Task Force (MTF) onusienne ouvre un large champ de possibilités dans le domaine des liaisons de données tactiques mises en oeuvre par L’OTAN. Équipée de la Liaison-16 (L-16), comme le radar NC1 français, la corvette allemande est en mesure, si la liaison est établie, de partager en temps réel ses détections aériennes avec la FCR. Grâce à son radar portant à environ 100 milles nautiques, ce navire détecte ainsi des aéronefs survolant le Sud-liban alors qu’il navigue au large de Beyrouth.
Le partage des détections via la L-16 pourrait ainsi, s’il était mis en place, permettre à l’opérateur radar de voir apparaître en temps réel sur son écran une piste éloignée de plusieurs dizaines de kilomètres. Ce gain en détection offrirait un préavis supplémentaire en cas d’alerte de raid aérien. Grâce à ces précieuses minutes, le chef interarmes augmenterait sa connaissance de la situation et gagnerait en anticipation. La MTF et la FCR ont déjà franchi une première étape dans le partage des détections et la coordination, mais cela se fait de manière ponctuelle par phonie et « chat » lors des réunions tripartites. Quant à la L-16, elle offre une capacité de coordination permanente. Des linkex L-16 avec des bâtiments de la Marine nationale croisant au Levant ont lieu régulièrement. Ils démontrent que la section Mistral de la FCR est tout à fait en mesure de partager sa situation aérienne avec un autre intervenant dans la troisième dimension. Il existe donc un réel intérêt opérationnel à mettre en place un partage de situation aérienne par liaison de données tactiques, d’abord vis-à-vis de la FINUL à qui la France garantit une surveillance permanente de l’espace aérien du Sud-liban, mais surtout pour la sûreté des installations et des militaires français.
Les fondements de la confiance
Jour après jour, les artilleurs français au Liban remplissent une mission directement définie par la résolution 1701. Loin d’être une surveillance passive de la troisième dimension, cette mission les place au coeur du dispositif français. Elle requiert une attention et une réactivité de chaque instant afin de garantir à la FINUL une détection permanente, mais aussi de pouvoir déclencher un tir en cas de menace aérienne sur les éléments français. Si les radars ne peuvent plus assurer leur mission, la confiance des autres nations de la FINUL s’effrite. La crédibilité de la France repose donc fortement sur l’artillerie, qui doit également maintenir intacte sa crédibilité visà-vis du chef interarmes. L’art de la guerre est friand de cas concrets et de mises en relief : la place de l’artillerie comme garant de la liberté d’action de la FINUL et du bataillon français en est un exemple, riche d’enseignements pour tous ceux qui posent le pied sur le sol libanais.