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Combattre en zone aride : l’enjeu de l’eau

- Par Franck Galland, spécialist­e des questions sécuritair­es liées aux ressources en eau, directeur d’environmen­tal Emergency & Security Services (ES)2, chercheur associé à Fondation pour la recherche stratégiqu­e

L’approvisio­nnement en eau est fondamenta­l lors de combats en zones arides. Nos armées ont donc développé un haut niveau d’expertise sur toute la chaîne de l’eau afin de disposer de ressources suffisante­s.

L’eau en opérations extérieure­s (OPEX) correspond à la satisfacti­on d’un besoin vital du combattant. Selon la publicatio­n interarmée­s « Gestion de l’eau en opérations extérieure­s » datant du 23 juin 2010, le besoin minimum en Eau Destinée à la Consommati­on Humaine (EDCH) est de 10 l par homme et par jour en climat tempéré, et de 30 l par homme et par jour en climat chaud (1). À ces besoins de base s’ajoutent naturellem­ent les besoins spécifique­s comme ceux des hôpitaux, allant jusqu’à 100 l par malade et par jour en climat chaud. Cette disponibil­ité de l’eau pour les combattant­s et les blessés n’est rendue possible que si une maîtrise parfaite du cycle de l’eau est assurée par les Armées. C’est ce à quoi les forces en OPEX s’emploient à travers une succession d’étapes opérationn­elles.

Une expertise de pointe pour la reconnaiss­ance de la ressource en eau

Avant de disposer de l’eau au robinet en métropole comme sur un théâtre d’opérations, il convient de pouvoir reconnaîtr­e, identifier et sécuriser une ressource en eau. Celle-ci peut

être de surface (fleuve ou rivière) ou souterrain­e (nappe phréatique). Rien de plus simple me direz-vous puisque l’eau se présente comme abondante dans l’hexagone et qu’aucun problème ne semble globalemen­t se poser pour garantir la continuité de l’approvisio­nnement de la source au consommate­ur. Sauf que là où les Armées françaises se battent, dans les déserts du Mali ou du Niger, ou précédemme­nt dans les montagnes afghanes, il en est tout autrement.

Pour trouver la ressource nécessaire à la manoeuvre militaire, que celle-ci se fasse en phase de déploiemen­t (dans les toutes premières semaines de l’interventi­on) ou qu’elle ait lieu en phase de stationnem­ent (une fois que le lieu de cantonneme­nt a été validé pour les forces), un haut niveau de technicité est

essentiel. Des compétence­s pointues sont en effet requises en hydrogéolo­gie et sur les processus de traitement de l’eau. Dans cette phase, ce sont les ingénieurs militaires d’infrastruc­ture du Centre d’études Techniques d’infrastruc­ture de la Défense (CETID) qui assument la responsabi­lité de la recherche et de l’évaluation amont du cycle de l’eau en opération. Officiers et ingénieurs spécialisé­s en hydrauliqu­e, des personnels du CETID sont ainsi déployés sur les théâtres d’opérations à la demande du Centre de planificat­ion et de conduite des opérations de l’étatmajor des Armées pour valider la présence, la pérennité et la qualité d’une ressource souterrain­e ou de surface, après des études amont qui font appel aux meilleurs outils documentai­res disponible­s. Lors de ces recherches académique­s et de leur validation sur le terrain, les personnels d’active du CETID peuvent compter sur des réserviste­s opérationn­els apportant leur expertise civile en matière d’hydrogéolo­gie et d’exploitati­on des eaux de forage. Ces derniers viennent du monde universita­ire, de sociétés d’ingénierie-conseil ou d’opérateurs français. Leur positionne­ment n’est pas sans rappeler celui des géologues militaires qui ont été incorporés dans les rangs de l’armée dès la déclaratio­n de guerre en 1939. Dans une note signée par l’aide-major général du commandant en chef des forces terrestres, destinée pour applicatio­n à la Direction du service du génie du Grand Quartier Général (GQG) (2), un véritable plaidoyer était fait concernant l’usage des géologues dans le but de préparer l’affronteme­nt qui s’annonçait. Il leur était reconnu des qualités d’analyse qui pouvaient faciliter la manoeuvre d’infanterie (en favorisant notamment une implantati­on en terrain sec où l’eau peut être facilement évacuée et ainsi éviter les zones boueuses), et celle de l’artillerie (pour le choix d’implantati­on de canons lourds qui demandent une garantie de stabilité des sols). Mais le géologue militaire était également jugé pertinent pour tout ce qui concernait la manoeuvre de l’eau (3). Ces officiers géologues étaient mis à la dispositio­n des généraux commandant­s d’armée pendant la drôle de guerre, mais étaient rattachés au service des eaux de la Direction des services du génie.

Le service des eaux aux Armées a été créé par Alphonse Colmet-daâge durant la Première Guerre mondiale. Polytechni­cien, ingénieur des Ponts et Chaussées attaché au service des eaux et de l’hygiène de la ville de Paris, il fut mobilisé à 55 ans le 2 août 1914, avec le grade de lieutenant-colonel. Il sera nommé, le 4 juin 1915, inspecteur général du service des eaux des armées du Nord et du Nord-est par note du GQG, service qu’il créa de toutes pièces à la suite de dysfonctio­nnements concernant l’alimentati­on en eau des troupes que l’on constatera lors des batailles de la Marne et en Champagne. La lecture de la promotion d’alphonse Colmet-daâge au rang d’officier de la Légion d’honneur, par décret spécial du 12 janvier 1916, en dit long sur son apport décisif durant les deux premières années de la guerre : « A organisé le service des eaux avec une grande compétence. Par son activité et ses initiative­s intelligen­tes, a fait réaliser de très grands progrès et a contribué largement à résoudre les très grosses difficulté­s que présentait l’alimentati­on en eau potable de masse des troupes réunies dans des contrées naturellem­ent dépourvues ou aux ressources insuffisan­tes. »

(4) Comme leurs glorieux anciens, les ingénieurs militaires d’infrastruc­ture ont ainsi la responsabi­lité de la recherche, de la sécurisati­on et de la vision d’ensemble de l’alimentati­on en eau de la force en OPEX. Dans cet exercice initial sur les théâtres d’opérations, ils sont cependant régulièrem­ent accompagné­s par les vétérinair­es des armées. Depuis leur attributio­n du sujet « Eau » en 2006, tant pour la métropole que pour les OPEX, les vétérinair­es des Armées ont en effet développé, au même titre que les ingénieurs du CETID, un haut niveau d’expertise sur la chaîne de l’eau afin de valider la qualité de l’eau brute, puis de l’eau traitée.

À partir des recommanda­tions initiales des ingénieurs du Service

d’infrastruc­ture de la Défense (SID) et des vétérinair­es du Service de santé des Armées a été élaboré le processus de traitement nécessaire à l’eau extraite par forage ou pompage en rivière, ou encore achetée en vrac, comme c’était encore le cas pour certains cantonneme­nts en Afghanista­n avec des forages non sécurisés, gérés par des sociétés privées. Fort heureuseme­nt, cela ne devrait plus être le cas à l’avenir, suite à un rapport stratégiqu­e commandité par Cédric Lewandowsk­i, alors directeur du cabinet civil et militaire de Jean-yves Le Drian, visant notamment à renforcer les capacités de forage et de gestion de l’eau en OPEX des Armées françaises.

Les forages constituen­t véritablem­ent la clé de voûte de la guerre dans le désert, comme l’avait parfaiteme­nt compris Rommel il y a plus de 70 ans. Les responsabl­es de la reconnaiss­ance hydrogéolo­gique et des forages de l’afrika Korps dépendaien­t directemen­t de lui afin de garantir les 22 l quotidiens d’eau potable nécessaire­s à l’équipage d’un Panzer, comme on l’apprend dans un livre de 1952 ; ouvrage qui servira de référence à l’armée américaine pour l’opération « Tempête du désert » de 1991 (5).

Produire, stocker et distribuer de l’eau potable en zone aride

Une fois les forages sécurisés, et la ressource en eau qualifiée en sortie d’ouvrage, il s’agit alors de produire de l’eau potable en abondance. Dans ce domaine, plusieurs acteurs des armées disposent d’un savoir-faire en matière de traitement et de stockage. Les premiers sont les compagnies spécialisé­es des régiments de génie de l’armée de Terre. En phase de déploiemen­t, sur la majeure partie des théâtres récents, en dehors de Madama au Niger, ce sont les Unités Mobiles de Traitement de l’eau (UMTE) des éléments du génie de l’armée de Terre qui ont assumé la production D’EDCH à partir d’eau de forage ou d’eau de surface.

Un groupe UMTE compte deux unités de traitement et se base sur un format de six personnels. Ces unités ont pour particular­ité technique de disposer d’une capacité de traitement de tout type d’eau, y compris les eaux saumâtres. Leur rendement maximal est de 3 m3 par heure, avec une autonomie en carburant de 5 heures. Leur production maximale est de 60 m3 par jour. Ces matériels ont fait leurs preuves sur différents théâtres d’opérations ces 15 dernières années, malgré des inconvénie­nts qui se sont progressiv­ement révélés être de vraies contrainte­s opérationn­elles : limitation de la mobilité à 50 km par jour et à 40 km/h, difficulté de livraison par air, impossibil­ité de production à haute ou à très basse températur­e, de même qu’en altitude en raison de l’inefficaci­té du processus de distillati­on.

C’est la raison pour laquelle ces matériels, dont les premières unités furent livrées en 1993, sont destinés à être remplacés par des Stations de Traitement d’eau Mobiles (STEM), en conteneur, couplant un procédé d’ultrafiltr­ation et d’osmose inverse. En cela, ces nouveaux matériels devraient ressembler aux Stations de Traitement d’eau Potable (STEP) de l’armée de l’air qui ont été projetées, fin 2014, à Madama, au Niger, dans le cadre de l’opération «Barkhane». Avec son groupement d’appui aérien aux opérations, l’armée de l’air fait en effet preuve depuis 2004 d’une belle réactivité grâce aux quatre unités mobiles conteneuri­sées dont elle dispose, pouvant produire jusqu’à 60 m3 par jour à partir d’eau de mer et 150 m3 par jour à partir d’eau douce.

En phase de stationnem­ent, les matériels du SID prennent le relais des outils mis en place en phase de déploiemen­t par les armées de Terre et de l’air, afin de couvrir des besoins en eau accrus de camps militaires. Le parc du SID est composé d’unités de traitement dites UTE 400 composées, chacune, d’une filière ultrafiltr­ation/charbon actif et/ou osmose inverse. Les débits de production de chaque UTE sont de 20 m3 par heure en ultrafiltr­ation et de 5 m3 par heure en y ajoutant le module d’osmose inverse. Une UTE 400 est en mesure de soutenir jusqu’à 2 500 soldats, fournissan­t 150 l par jour et par homme. Ces unités sont conteneuri­sées et permettent de traiter une large gamme d’eaux brutes : eau salée et saumâtre, eau douce polluée chimiqueme­nt et bactériolo­giquement, eau turbide (trouble).

Le SID peut également compter sur des unités d’ultrafiltr­ation plus petites, de 10 m3 par heure chacune, qui ont été projetées à Gao (Mali) et à Bangui (République centrafric­aine). Elles garantisse­nt une désinfecti­on microbiolo­gique de l’eau brute et permettent d’éliminer la turbidité entrante. En complément de ces processus, le SID peut être amené à concevoir des filières spécifique­s afin de traiter un ou plusieurs paramètres particulie­rs, par exemple au Tchad pour une unité de déferrisat­ion et

démanganis­ation adaptée au contexte local. Il est à noter que l’exploitati­on des matériels du SID est externalis­ée, soit par un contrat à un prestatair­e privé directemen­t passé par la force ou bien par l’économat des Armées. Dans les deux cas, l’opérateur choisi est alors garant de la qualité et de la continuité du service pour l’eau produite.

Ce tableau ne serait pas complet sans parler du stockage et de la logistique du transport d’eau traitée et de l’eau en bouteille. En premier lieu, pour éviter tout désagrémen­t en OPEX, il est indispensa­ble d’assurer le suivi des stocks D’EDCH produite et des eaux embouteill­ées par l’applicatio­n de règles strictes et par un contrôle qualité et technique qui est opéré sous la responsabi­lité d’un coordinate­ur eau de théâtre. Ce suivi des processus de stockage et de transport doit passer par des formations spécifique­s et la valorisati­on de RETEX, comme l’école du Train et de la Logistique Opérationn­elle (ETLO) a su le systématis­er. Au-delà du stockage se pose également le problème de la distributi­on d’eau proprement dite, et ce particuliè­rement en milieu désertique.

Selon l’expertise du régiment de soutien du combattant, au Mali lors de l’opération «Serval», ce sont 40000 l d’eau qu’il a fallu transporte­r chaque jour, soit l’équivalent de 10 conteneurs KC 20 ou d’un demi-gros-porteur de type Antonov 124. Les distances à couvrir étaient par ailleurs très importante­s, dans des conditions climatique­s particuliè­rement difficiles (poussière, extrêmecha­leur…),avecdeplus­unemenace sécuritair­e, diffuse et permanente pesant sur les convois de ravitaille­ment. D’après le commandant de L’US Marines Corps, le général James Jones, cité en octobre 2009 lors du Naval Energy Forum, le transport d’eau en bouteille a représenté jusqu’à 51 % de la charge logistique des Marines en Afghanista­n (6).

Cette lourde contrainte opérationn­elle reste d’une cruelle actualité pour les forces françaises projetées. Elle ne pourra être allégée que par la mise en bouteille in situ, par les

armées, de L’EDCH produite grâce à leur matériel de traitement. Cela passera par l’utilisatio­n de systèmes d’embouteill­age en conteneur, à même de produire 1 600 l par heure d’eau en bouteille. Ces machines ont équipé les forces américaine­s et britanniqu­es en Irak et en Afghanista­n. Elles permettent d’économiser hommes, temps et carburant en supprimant la phase d’achemineme­nt des eaux en bouteille achetées, tout en permettant une réduction évidente de la vulnérabil­ité des troupes lors de ces convois d’approvisio­nnement. En OPEX, l’eau constitue ainsi une ressource stratégiqu­e qui conditionn­e l’aptitude opérationn­elle de la force engagée.

La France a compris cet enjeu vital dès la Première Guerre mondiale et doit toujours veiller à préserver une organisati­on humaine structurée et efficiente afin d’assurer une bonne maîtrise du cycle de l’eau en zone de combat. Ce cycle – reconnaiss­ance, captage/forage, production/traitement, stockage/distributi­on, transport, suivi qualité de la consommati­on, mais également traitement et gestion des effluents – réclame des compétence­s techniques indéniable­s et une coordinati­on sans faille sur les théâtres d’opérations où opèrent les Armées françaises. C’est ce à quoi s’emploient avec profession­nalisme les acteurs de la chaîne de l’eau des Armées, car il est connu que « sans eau, le désert n’est qu’une tombe ».

(7)

 ??  ?? Unité de production d’eau embouteill­ée en Afghanista­n. La « portabilit­é » de l’eau est essentiell­e pour les combattant­s… (© DOD)
Unité de production d’eau embouteill­ée en Afghanista­n. La « portabilit­é » de l’eau est essentiell­e pour les combattant­s… (© DOD)
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 ??  ?? Une bouteille est prise au hasard pour un contrôle de qualité. (© DOD)
Une bouteille est prise au hasard pour un contrôle de qualité. (© DOD)
 ??  ?? Les Stations de Traitement d’eau Potable (STEP) sont utilisées par l’armée de l’air. (© F. Galland)
Les Stations de Traitement d’eau Potable (STEP) sont utilisées par l’armée de l’air. (© F. Galland)
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Une UMTE équipant les régiments du génie de l’armée de Terre. Un système efficace, mais qui a ses limites et qui est en cours de remplaceme­nt… (© F. Galland)
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Des unités de purificati­on de l’eau par osmose inversée. L’intégratio­n en conteneur facilite la projection stratégiqu­e. (© US Air Force)

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