Face à la Corée du Nord
La multiplication des tirs balistiques nord-coréens – dont deux au-dessus du Japon – a achevé de crédibiliser la capacité de frappe de Pyongyang, non sans effets collatéraux. D’une part, avec le surenchérissement sécuritaire de Washington, le président américain ayant agité la menace de la « destruction totale » du pays. Cependant, la stratégie déclaratoire poursuivie non seulement n’a guère d’effets sur la Corée du Nord, mais pourrait aussi entraîner un risque de perte de crédibilité américaine. Si les experts peuvent évoquer la possibilité de frappes sur les installations nucléaires nord-coréennes, les moyens de rétorsion à la disposition de Kim Jong-un restent importants, à commencer par une menace directe sur la Corée du Sud. Membre du G20 et économie majeure, elle est à portée de l’essentiel des capacités en missiles et en artillerie de Pyongyang. Empêcher le Nord de procéder de la sorte est théoriquement possible, mais concrètement irréalisable : il ne s’agirait de rien de moins que d’envahir le pays – une option à laquelle personne ne songe sérieusement pour des raisons aussi bien militaires que politiques.
Les comparaisons historiques sont ainsi trompeuses. Si l’analogie est parfois faite entre l’allemagne nazie et la Corée du Nord, force est de constater qu’elle a ses limites. L’après-1945 a été facilité par les immenses destructions qu’a connues l’allemagne : les Allemands, de l’ouest comme de l’est, ont promptement adhéré à un modèle leur promettant la paix. L’après-guerre a également été soutenue par des investissements américains majeurs, en Allemagne comme dans le reste de l’europe. Le processus de dénazification, s’il n’a pas été total, a quant à lui été conduit relativement rapidement. Comparativement, personne n’a de garantie que l’emprise de l’idéologie du juche sur les Nord-coréens se délitera aussi vite que le nazisme sur les Allemands. De même, l’exemple de la réunification allemande est en outre cité pour promouvoir une éventuelle réunification coréenne, par la force ou non. Or il faut constater que celle de l’allemagne s’est faite au prix de gigantesques investissements ouestallemands – l’ancien ministre allemand des Finances les estimait, en 2011, à 2 000 milliards d’euros sur une période de 20 ans – alors que l’allemagne de l’est était, en 1990, dans un bien meilleur état général que la Corée du Nord ne l’est aujourd’hui… C’est sans encore compter une proximité de références et de valeurs sans doute plus importante entre les deux Allemagnes hier qu’entre les deux Corées aujourd’hui. Ce qui n’empêche toujours pas les Allemands habitant dans l’est du pays d’être considérés comme les laissés-pour-compte de la politique de Berlin.
D’autre part, il y a la réaction sécuritaire de ses voisins. La Corée du Sud a ainsi procédé à deux tirs – dont un échec – de ses missiles balistiques Hyunmoo-2 après le deuxième tir de Pyongyang au-dessus du Japon. Surtout, des discussions ont eu lieu entre les chefs d’état-major américain et sud-coréen quant au redéploiement sur place d’armes nucléaires
américaines, qui avaient été retirées de la péninsule en 1991. Aucune décision en la matière n’a cependant encore été prise. En attendant, les autorités de Séoul ont évoqué la possibilité de concevoir un sous-marin à propulsion nucléaire. Ses futurs sous-marins de conception nationale, en cours de développement, devraient être dotés de missiles balistiques et devraient être à propulsion conventionnelle, mais leur tonnage permettrait l’installation d’une propulsion nucléaire. Elles ont de plus indiqué qu’elles étaient près de disposer d’armes au graphite, un type particulier de bombes aériennes utilisées afin de paralyser les réseaux électriques, les filaments de graphite créant des courts-circuits.
De son côté, le Japon a annoncé qu’il allait accroître son budget de défense en 2018. Celui-ci se montera à 48,1 milliards de dollars, ce qui permettra de poursuivre les programmes engagés, mais aussi d’en lancer d’autres, en particulier dans le secteur de la défense antimissile. Il est ainsi question de déployer le système Aegis Ashore, utilisant les mêmes missiles SM-3 que ceux embarqués sur les destroyers des classes Kongo et Atago. Ces derniers devraient par ailleurs être dotés de la nouvelle version du missile, le SM-3 Block 2A, également financée par la future hausse du budget, tout comme l’achat de nouveaux missiles Patriot PAC-3 MSE. Le réseau de radars de défense aérienne devrait lui aussi être modernisé et un prototype de nouveau radar devrait être développé. Le nouveau budget prévoit en outre l’achat de 6 F-35 et de 4 MV-22B Osprey. Le Japon a également annoncé la mise en place d’une « unité spatiale » destinée à la protection de ses satellites contre les débris spatiaux, qui sera dotée d’un système, probablement radar, spécifiquement conçu.
Quelle(s) solution(s) pour la situation nord-coréenne? Force est ici de constater qu’entre Pyongyang et Washington, l’acteur le plus rationnel pourrait bien être la Corée du Nord. Ses provocations sont certes bel et bien récurrentes, mais restent mesurées. La survie du régime semble demeurer sa priorité première. Surtout, la dissuasion continue de jouer son rôle : jusqu’ici, elle apparaît comme la seule posture politiquement crédible et garantissant un statu quo en attendant un mieux. Quel pourrait-il être? Séoul mise beaucoup sur une normalisation suivant le modèle chinois. Comprendre, une libéralisation économique permettant d’accroître autant que faire se peut le niveau de vie et la résilience de l’état, qui se doublerait d’un «pacte social» où la population ne remettrait pas fondamentalement en cause le rôle des instances dirigeantes. De facto, plusieurs auteurs notent que la Corée du Nord voit l’émergence d’un embryon de classe moyenne, pour l’instant encore très liée au pouvoir. Seul le temps dira si ce pari sera payant…