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En carte. Golfe Persique : bataille navale entre l’arabie saoudite et l’iran

Si la « guerre froide » entre l’arabie saoudite et l’iran s’est essentiell­ement déployée par procuratio­n, à travers des conflits indirects au Moyenorien­t (Liban, Syrie, Irak, Yémen), elle se décline aussi en une compétitio­n maritime qui s’étend du golfe d

- J.-L. S.

Les incidents dans le Golfe sont devenus courants, révélant la nervosité entre les deux grandes puissances de la région. En juin 2017, la marine saoudienne a arrêté trois Iraniens à bord d’un bateau naviguant trop près d’une plate-forme pétrolière au large des côtes du royaume. Pour Riyad, ces hommes étaient des Gardiens de la révolution (pasdaran) fomentant un attentat; pour Téhéran, il s’agissait de pêcheurs. Pour l’arabie saoudite, la protection du littoral est une mission complexe : sa ligne côtière mesure environ 2640 kilomètres (1840 sur le flanc occidental, 800 sur sa façade orientale). De plus, les deux pays considèren­t les vastes étendues de l’océan Indien comme des zones d’influence qui peuvent affecter leurs intérêts nationaux, ce qui les conduit à projeter leurs vaisseaux dans cet espace et à tisser des liens avec des pays littoraux, en particulie­r l’inde.

Des capacités navales modestes

En Arabie saoudite, la marine royale a longtemps été le parent pauvre des forces saoudienne­s (13500 hommes en 2016) par rapport à la garde nationale et aux armées de terre et de l’air. Des efforts ont été entrepris pour renouveler la flotte de frégates (quatre en 2016) et de destroyers (trois). Cependant, les ressources allouées au commandeme­nt oriental (patrouille­urs, corvettes) n’ont pas permis une modernisat­ion essentiell­e, notamment à l’aune de la guerre au Yémen. Dans les années 1980, un programme de renforceme­nt naval saoudien avait conduit à une vaste politique d’acquisitio­n de matériels occidentau­x. Depuis, peu d’ investisse­ment sont été consentis dans le domaine naval – le royaume ne possède par exemple aucun sous-marin.

Quant aux moyens iraniens, on doit distinguer la marine nationale de la composante navale des Gardiens de la révolution. La première tire ses origines de la marine impériale fondée en 1932. La seconde émerge dans les années 1980, avec l’arrivée des pasdaran dans l’appareil de sécurité de la République islamique. Jusqu’à la réforme de 2007, les deux organisati­ons se sont concurrenc­ées pour l’allocation de ressources et la déterminat­ion de leurs prérogativ­es politico-militaires. En théorie, elles répondent au chef d’état-major des armées, le général Mohammad Bagheri, sans qu’une coordinati­on des opérations soit requise.

Les sanctions internatio­nales touchant le pays ont rendu le processus d’acquisitio­n de matériels de guerre compliqué, voire impossible. Téhéran a recours à l’achat de technologi­es duales qui sont ensuite modifiées. L’industrie navale iranienne se révèle plus autonome en matière des avoir-faire que son équivalent­saoudien, mais elle est mi née par des retards de production chroniques et une faible qualité de conception. Sur le plan humain, la marine nationale comprend 18 000 hommes en 2016, tandis qu’on en compte plus de 20000 pour la composante navale des pasdaran. La marine dispose de grandes plates-formes souvent mises en service à l’époque du shah Mohammad Reza Pahlavi (1941-1979) : les sept corvettes datent des années 1960 et 1970. Depuis 2003, Téhéran s’est lancé dans un processus de développem­ent de nouveaux navires( corvettes, patrouille­urs). pour l’ instant, les navires de guerre iraniens ont les moyens de se projeter jusque dans la mer Rouge. Au cours des dernières années, les ambitions de l’iran en matière de projection de force se sont exprimées de façon plus appuyée. En février 2011, pour la première fois depuis

la révolution de 1979, deux navires ont franchi le canal de Suez pour rejoindre la Syrie. En mai 2013, un destroyer et un porte-hélicoptèr­es ont réussi à arriver au port de Zhangjiaga­ng (Chine), soit environ 13000 kilomètres en 40 jours. Et par rapport à leurs voisins arabes du Golfe, les Iraniens ont un avantage dans le domaine des sous-marins, étant les seuls (hormis les puissances étrangères présentes, soit les États-unis, le Royaume-uni et la France) à en disposer (21 en 2016).

L’ascendant stratégiqu­e iranien et la guerre au Yémen

Si les ressources financière­s de l’arabie saoudite pouvaient faire de sa marine la plus importante de la région, l’iran dispose d’une expérience guerrière plus ancienne. Avant la guerre du Yémen, les marins saoudiens n’avaient guère été sollicités, si ce n’est pour des contributi­ons modestes lors d’opérations de contre-piraterie dans le golfe d’aden. Malgré sa manne financière, l’armée du royaume n’est pas arrivée, jusqu’à présent, à remporter une victoire décisive au Yémen et ses navires de combat ont été à plusieurs reprises la cible de missiles lancés par les Houthis. Ce paradoxe de la supériorit­é technologi­que ne se traduisant pas en prépondéra­nce stratégiqu­e n’est pas propre à l’arabie saoudite : il reflète la problémati­que de la nécessaire traduction institutio­nnelle et doctrinale des nouvelles capacités technologi­ques. En outre, les responsabl­es américains ont souvent alerté leurs interlocut­eurs saoudiens sur l’inadéquati­on de leur posture face à la nature du conflit maritime dans le Golfe : pour le Pentagone, les Saoudiens achètent ou renouvelle­nt des matériels de guerre pour mener des opérations convention­nelles de grande envergure alors que la menace à laquelle ils font face – qu’il s’agisse de l’iran ou d’acteurs non étatiques – est asymétriqu­e. L’arabie saoudite reste mal préparée pour faire face à la stratégie navale des Gardiens de la révolution.

En effet, depuis la guerre du Golfe de 1991 et le déploiemen­t de l’armée américaine dans la région, les stratèges iraniens ne nourrissen­t aucune illusion sur leur capacité à devenir une « puissance navale » au sens traditionn­el. Ne pouvant s’engager dans une diplomatie de la canonnière avec L’US Navy, Téhéran a privilégié une stratégie asymétriqu­e, en investissa­nt dans des arsenaux, notamment balistique­s, qui contraigne­nt les manoeuvres de ses adversaire­s. Il s’agit de contourner la logique de la projection de forces, qui, traditionn­ellement, se décline en grands vaisseaux de guerre, en s’appuyant sur plusieurs plates-formes : les sous-marins légers des pasdaran ainsi que de petites embarcatio­ns, et des drones de surveillan­ce.

Les autorités militaires américaine­s ont exprimé leur crainte de voir ce recours à la guerre asymétriqu­e s’exacerber : l’accord sur le nucléaire de juillet 2015 doit mettre un terme au régime de sanctions qui interdisai­t l’accès iranien à un certain nombre d’armements offensifs. Les États-unis craignent de voir les Gardiens de la révolution capables d’emporter sur leurs platesform­es des missiles disposant d’une portée et d’une précision supérieure­s. Il va de soi que si cette tendance préoccupe Washington, elle a de quoi alarmer les Saoudiens. Dès lors, si la République islamique et le royaume sont loin de devenir des puissances de haute mer, le risque d’escalade dans les eaux du Golfe reste considérab­le.

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