Les forces aériennes du G5 Sahel
Face à la menace terroriste, au crime organisé et au trafic qui ne cessent de grandir et déstabilisent les pays du Sahel, les cinq États membres du G5 Sahel – le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad – décident, lors d’un sommet organisé en février 2017 dans la capitale malienne, Bamako, de mettre en oeuvre une nouvelle force conjointe transfrontalière, soutenue par l’union Africaine (UA) et l’union Européenne (UE). Elle s’appuiera également sur les capacités nationales, notamment aériennes.
Cette nouvelle force militaire est actée dans la résolution 2359 du 21 juin 2017 du Conseil de sécurité des Nations unies et est lancée officiellement le mois suivant. Elle doit atteindre sa pleine capacité opérationnelle d’ici à la mi-2018, soit 5 000 hommes répartis en sept bataillons sur trois fuseaux qui ont chacun leur poste de commandement (Ouest, Centre et Est). Le commandement est basé à Sévaré, au centre du Mali, tandis que le contrôle stratégique est assuré par la réunion des ministres de la Défense des pays du G5 et le contrôle politique par la présidence du G5, soit le Niger en 2018.
Les trois bataillons déjà opérationnels lancent leurs deux premières opérations fin octobre 2017 et mijanvier dans la région des « trois frontières » entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger (fuseau Centre). Malgré ces premières, cette force manque cruellement de financements. La force du G5 Sahel bénéficie depuis décembre 2017 du soutien logistique et opérationnel de la MINUSMA (Mission Multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali), notamment dans les domaines de l’évacuation médicale, du ravitaillement et de l’ingénierie. Les zones d’intervention potentielles de ces bataillons sont immenses et nécessitent des moyens aériens pour la reconnaissance, la surveillance, mais également pour le déploiement rapide des troupes
sur place et éventuellement pour mener des missions de soutien. Le Tchad et le Niger ont déjà l’expérience de ce type d’opérations, mais leurs moyens ne sont pas encore à la hauteur de la tâche.
La genèse des forces aériennes du G5 Sahel
Les forces aériennes des pays du G5 Sahel ont toutes été créées dans les années 1960 après la proclamation de leur indépendance de la France. Leurs flottes étaient initialement constituées d’avions de transport : Douglas C-47, MH-1521M Broussard, Nord 2501 et Reims F337 provenant du civil ou de l’armée de l’air. Jusque dans les années 1970-1980, elles comptaient dans leurs rangs un grand nombre d’aviateurs français, anciens de l’armée de
l’air habitués au pilotage et à la maintenance de ces appareils. L’escadrille nationale tchadienne a également perçu des Douglas AD-4 Skyraider qui ont connu le feu aux mains d’anciens pilotes de l’armée de l’air. L’armée de l’air tchadienne est devenue réellement indépendante à la fin du conflit avec son voisin libyen et la normalisation des relations en 1994.
Moyens ISR
Dans le cadre du programme d’aide des États-unis aux pays africains engagés dans la lutte antiterroriste, plusieurs États de la zone sahélienne ont reçu des appareils de renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR) Cessna 208B Grand Caravan. La Mauritanie a réceptionné ses deux appareils le 25 juin 2014, tandis que le 1er septembre débutait sur la base aérienne d’atar la formation par 17 instructeurs de L’US Air Force d’une cinquantaine de cadets venant de six nations africaines. La Force Aérienne Islamique de Mauritanie (FAIM) disposait déjà d’un Bastler Turbo BT-67 – Douglas DC-3 modernisé – livré initialement en 1999 pour remplacer l’ancien Dakota de l’armée de l’air française et qui avait par la suite subi une conversion ISR, avec une tourelle de détection L3/wescam MX-15. La FAIM exploite également deux C212-200 de surveillance maritime acquis auprès de l’espagne en 2008 et 2011 et trois Embraer A-29 Super Tucano, dont le premier a été perçu en octobre 2012. Ils sont équipés de tourelles Star Safire III et peuvent couvrir à la fois les missions ISR et celles d’attaque au sol, mais le BT-67 a une endurance beaucoup plus longue que ces avions légers d’attaque.
Courant octobre 2014, c’est au tour du Niger de faire l’acquisition d’un avion de type Grand Caravan en plus des deux Cessna 208 de transport déjà acquis en juillet 2013, mais non pourvu de moyens ISR. La force aérienne nigérienne dispose déjà de deux Diamond Aircraft DA42 MPP (MPP pour « Multi-purpose Platform ») acquis en octobre 2008 et modifiés en 2014 en vue d’être équipés de capteurs électrooptique/infrarougel-3wescammx-15 pour le premier et d’appareils de communication par satellite et de radios pour le second. Ils sont utilisés pour des missions de surveillance des frontières afin d’inhiber la contrebande et de protéger les infrastructures critiques en collaboration avec les Humbert Tetras 912SCM livrés par la France. Les DA42 sont équipés du système d’observation Carl Zeiss Optronics Goshawk 350. Jusqu’aujourd’hui, ils ont cumulé plus de 1 000 heures de vol en opérations. Leur introduction dans les forces armées nigériennes a amélioré le paysage de la sécurité nationale en localisant les positions ennemies, en neutralisant les trafiquants et en menant des missions de recherche et de sauvetage.
Malgré la perte d’une grande partie de sa flotte aérienne en juillet 2017 lors d’une tempête, la force aérienne tchadienne tente de réémerger par l’intermédiaire des États-unis. Du 8 au 19 janvier 2018, L’US Air Force a envoyé huit aviateurs du 818e Mobility Support Advisory Squadron (MSAS) sur la base aérienne d’adji Kossei à Ndjamena pour conseiller, former et assister une quarantaine de militaires tchadiens aux nouveaux moyens ISR dont ils disposent – deux Cessna 208B livrés le mois précédent. Le 818e MSAS, basé dans le New Jersey, a été établi en avril 2011 en soutien à L’US Africa Command et opère au sein du 621e Contingency Response Wing sur la base Mcguire-dix-lakehurst.
L’armée de l’air du Burkina Faso peut quant à elle compter sur les capteurs de ses trois A-29 Super Tucano acquis en 2011 et d’un tout récent DA42 MPP livré en décembre 2016. En matière D’ISR, les Maliens sont les parents pauvres de la force du G5 Sahel. Leur force aérienne n’en est tout simplement pas équipée et dépend donc des drones français de la force Barkhane et de ceux américains basés à Niamey pour la surveillance de son territoire. Néanmoins, la commande de six A-29B Super Tucano en juin 2015 devrait compenser ce manque. En effet, deux des appareils seront équipés d’optiques, et les quatre autres serviront d’appui aérien aux forces armées terrestres.
Force de frappe
Les moyens aériens en matière d’appui aux troupes au sol du G5 Sahel sont dérisoires. Avec une dizaine d’appareils (si on inclut ceux endommagés l’année dernière), le Tchad détient la moitié de la force de frappe. Sur les quatre MI-24V livrés par l’ukraine entre 2007 et 2008, un seul demeure opérationnel (un a été abattu en 2008). Entre 2008 et 2010, l’armée de l’air tchadienne a fait l’acquisition de quatre Su-25 et de deux SU-25UB auprès de l’ukraine, ce qui a permis la création d’un escadron de chasse. Mais cette petite force aérienne dépend encore fortement des mercenaires et des conseillers étrangers. Deux nouveaux Su-25 ont été livrés (toujours par l’ukraine) en 2013 et une étape a été franchie en 2014 avec l’arrivée du premier des trois MIG-29
négociés auprès de leur fournisseur habituel.
En mars 2013, le Niger a reçu deux avions d’attaque au sol Su-25 ex-ukrainiens. Destinés à l’origine au Mali, ils ont été vendus au Niger après l’échec des négociations. Ils ont été remis à neuf avant la livraison par la Zaporozhye State Aviation Repair Factory, en Ukraine. Ces avions proviennent probablement de la 4070th Ukrainian Reserve Base qui stockait environ une trentaine de Su-25 en version de base.
Le Mali est entré dans l’air du jet longtemps avant les autres États du G5 Sahel. En effet, 12 MIG-21MF Fishbed-j et 2 MIG-21UM Mongol B ont été acquis auprès de L’URSS entre 1974 et 1976. En 2005, trois MIG-21MF ex-tchèques ont été livrés, renforçant le reste de la flotte. Jusqu’en 2010, les Fishbed ne volaient que pour les cérémonies d’anniversaire. À partir de janvier 2012, un seul MIG-21MF et un MIG-21UM étaient encore opérationnels. Les mois suivants, toute la flotte était immobilisée faute de pièces de rechange, de munitions, de kérosène et probablement de pilotes. En 2007, deux hélicoptères d’attaque MI-24D Hind-d ont été acquis à partir des stocks de l’armée de l’air bulgare. Deux autres sont arrivés les deux années suivantes. Ils étaient pilotés par des équipages mixtes ukrainiens et maliens. Début 2012, deux des Hind opéraient toujours depuis la ville de Gao, les deux autres servant de pièces de rechange. Deux MI-24D supplémentaires semblent avoir été livrés de Bulgarie les années suivantes. Après le coup d’état du 22 mars 2012 et l’effondrement de l’armée, les derniers contractors ukrainiens ont quitté le pays. Le 12 avril, un Mi-24 s’est écrasé près d’ouro Modi, à 50 km au sud-ouest de Sevaré, l’accident provoquant la mort des cinq membres d’équipage. En janvier 2013, l’armée de l’air nigériane a envoyé une équipe d’assistance technique à l’aéroport de Bamako-sénou dans le but d’aider à remettre à neuf un certain nombre de MIG-21, mais il semble que le projet ait été abandonné. Le 21 septembre 2017, L’EUTM Mali (Mission de formation de l’union européenne au Mali) a annoncé que l’armée de l’air malienne avait pris livraison de ses deux premiers MI-35M. Ce sont actuellement les seuls appareils capables de mener des frappes en attendant l’arrivée des A-29 Super Tucano.
Fin 2005, la force aérienne du Burkina Faso a fait l’acquisition de deux hélicoptères d’attaque Mi-35 Hind en provenance de Russie, apparemment en réaction à des actions de la Côte d’ivoire voisine visant à renforcer ses capacités d’attaque aérienne pendant la guerre civile ivoirienne. Un seul appareil est opérationnel à ce jour, aux côtés des trois Super Tucano. Tout comme le Burkina Faso, la FAIM ne dispose que d’une faible force de frappe constituée de trois Super Tucano qui sont d’ailleurs les premiers avions de combat acquis par le pays.
Transport, liaison, reconnaissance
Parmi les cinq forces aériennes des pays composant le G5 Sahel, le Mali et le Niger sont les mieux équipés en appareils de soutien et de transport. L’armée de l’air malienne a en service une douzaine d’appareils et trois hélicoptères assez récents pour ses missions de transport et de reconnaissance. En décembre 2000, Taïwan lui a fait don de deux hélicoptères Harbin Z-9B – une version de l’eurocopter AS365 Dauphin construit sous licence dans les années 1990 par la société chinoise Harbin Aircraft Manufacturing Corporation. Un exemplaire s’est écrasé le 10 septembre 2001. Sur les huit Tetras 912CSL livrés par la France en 2003, sept sont encore en service (un appareil s’est écrasé en 2007). Un BT-67 est arrivé en 2006. En 2008, deux Antonov An-26 provenant probablement de compagnies civiles (les deux exemplaires acquis en 1976 ont été perdus dans des accidents ou retirés du service actif ) ont été photographiés sur une base aérienne. Ils sont actuellement stockés et ne sont plus en état de voler. En 2010, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance du Mali, la Libye a fait don de deux SIAI Marchetti SF.260W, dont un seul est actuellement opérationnel. Deux AS332 Super Puma sont arrivés en octobre 2016. Deux mois plus tard, c’est un Airbus Casa C295W qui s’est posé à Bamako suivi, en septembre 2017, de deux Harbin Y-12 de fabrication chinoise.
Le Niger dispose de plus gros moyens, mais relativement anciens : un Dornier DO-28D-2 Skyservant (1978), un C-130H-LM Hercules (1980), un Do-228-201 (1986), un An-26 Curl exlibyen reçu en 1997 en remplacement du second C-130 qui s’était écrasé deux mois auparavant. En mars 2000, le C-130H Hercules restant a été gravement endommagé après avoir quitté la piste, mais a pu être réparé par la suite. En 2011, celui-ci a effectué quinze rotations vers la République de Côte d’ivoire (RCI) pour transporter
1 900 soldats, gendarmes et gardes nationaux – des contingents nigériens au sein de L’ONUCI. Le Niger a acquis ses premiers hélicoptères en 2007 : deux Mi-17. En 2013, il a pris livraison de trois Aerospatiale SA-342L-1 Gazelle fournis par le gouvernement français et remis lors d’une cérémonie le 27 mars à la base aérienne 101. Ces anciens hélicoptères de L’ALAT ont été remis à neuf par Aerotech Group et armés de canons de 20 mm. En 2014, les deux Mi-17 ont été mis à niveau pour les missions SAR des Nations unies : un système d’observation et des civières médicales ont été installés par la société lituanienne ASU Baltija. Le dernier avion acquis par l’armée de l’air nigérienne est un King Air 350, la même année.
Les trois autres États ne disposent que de peu de moyens de transport et de liaison. Le Tchad a deux Pilatus PC-7, dont l’un acquis d’occasion aux Étatsunis en 2005, un PC-9 livré par la Suisse et deux Spartan C-27J achetés en 2014. Les deux An-26 et le L-100-30 (version civile du C-130) donnés par la Libye après la normalisation des relations ne sont plus en service. Sa flotte d’hélicoptères comprend six Mi-17 acquis entre 2001 et 2006 via l’ukraine. Entre 2008 et 2010, elle s’est étoffée avec l’acquisition de six H125M Fennec AS-350 venant de Singapour. La FAIM dispose de deux Britten-norman BN-2A-21 Islander hors d’âge (1976), d’un Harbin Y-12 arrivé en 1995, d’un BT-67 (1997), de trois SIAI Marchetti F260EU (2000), d’un PC-6 (2012), d’un Tetras 912CSM depuis 2013 et de quatre EMB312F Tucano livrés entre 2010 et 2012. La Mauritanie compte également six hélicoptères dans son inventaire : deux Harbin Z-9 (2003), deux Agusta-bell AB-205 (2014) et deux Agustawestland AW109E. Enfin, le Burkina Faso a en service un Beech 200 (2002), un CASA CN-235 (2007), trois Tetras (2012) et trois SF.260 ex-libyens auxquels il faut ajouter cinq hélicoptères : deux Mi-17 (1993 et 1998), deux Bell UH-1H Huey (mai 2017) et un AS350B Écureuil (1997).
Déjà engagé au combat
Certains membres du G5 Sahel ont déjà engagé leur force aérienne au combat, en particulier le Tchad et le Niger contre Boko Haram et les groupes djihadistes. Ainsi, le 30 janvier 2015, l’armée de l’air tchadienne est entrée en action, notamment lors des bombardements contre Malam Fatori, au Nigeria, près de la frontière avec le Niger. Le jour suivant, ses appareils ont bombardé Gamboru pour tenter de chasser les militants de Boko Haram et permettre aux troupes tchadiennes d’entrer dans le nord-est de la ville. Deux chasseurs bombardiers – des Su-25 avec des pilotes ukrainiens et biélorusses – ont ensuite bombardé des zones autour de Gamboru pendant une heure. Le 1er février, deux hélicoptères de combat ont bombardé pendant deux heures les positions des islamistes retranchés dans cette même ville nigériane.
Le 23 février 2015, ce sont les Su-25 nigériens qui sont entrés en action en bombardant le long de la rivière Kamadougou – séparant le nord du Nigeria du sud-est du Niger – un convoi de camions transportant du poisson fumé au Nigeria, Boko Haram taxant les pêcheurs ou saisissant leurs prises le long des rives du lac Tchad afin de financer le groupe.
Début mars, les troupes tchadiennes ont chassé les combattants islamistes de la ville de Dikwa, dans le nord-est du Nigeria, qu’ils occupaient depuis plusieurs semaines. Deux véhicules ont ensuite été détruits par l’armée de l’air tchadienne. En représailles aux attentats de Ndjamena qui ont fait 23 morts et plus de 100 blessés le 18 juin, l’armée de l’air tchadienne a lancé plusieurs frappes aériennes sur les positions de Boko Haram au Nigeria, détruisant six de ses bases. Les 28 et 29, des îles du lac Tchad étaient prises pour cible par les chasseurs bombardiers de Ndjamena.
Le 5 novembre 2015, l’armée de l’air du Niger a bombardé une base
de Boko Haram dans la région frontalière de Diffa, en représailles à une embuscade d’un convoi militaire qui avait tué un militaire dans les rangs nigériens. L’armée a arrêté plus de 20 militants dans sa plus grande contre-attaque en huit mois. Le 25 février 2016, l’armée nigérienne a franchi la frontière avec le Nigeria pour poursuivre les militants de Boko Haram qui avaient volé plusieurs véhicules pick-up au Niger (un accord bilatéral entre les deux pays autorise ce type de traversée en cas d’attaques de militants). Le convoi de véhicules a d’abord été identifié par un avion de reconnaissance Cessna 208B, puis attaqué par les deux hélicoptères Mi-35 Gunship à l’appui de l’armée nigérienne. Après les trois années nécessaires à la formation des pilotes, deux Gazelle ont effectué leur première sortie opérationnelle le 17 octobre 2016 pour poursuivre les assaillants de l’attaque ratée d’un commando djihadiste à moto contre la prison de Koutoukalé, à 50 km au nord-ouest de Niamey. Le 6 juillet 2017, l’armée de l’air du Niger a tué 14 personnes déplacées qui ont été prises pour des djihadistes dans le sud-est rétif où les islamistes de Boko Haram ont organisé des attaques régulières.
Malgré les acquisitions récentes de moyens ISR, avec seulement une douzaine d’appareils, les forces aériennes du G5 Sahel dépendent encore actuellement de la force Barkhane et des États-unis en matière de renseignement. L’arrivée des A-29B Super Tucano va permettre de doubler cette capacité, même si ce n’est pas leur mission première. Les missions de Close Air Support ne pourront être réalisées que par une vingtaine d’appareils (chasseurs bombardiers et hélicoptères de combat) au rayon d’action limité. Le transport et le soutien rapproché pourront compter sur une vingtaine de transports, une trentaine d’hélicoptères et autant d’appareils légers de reconnaissance ; le tout sur des zones relativement étendues.