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La guerre dans l’espace : quelles possibilit­és dans un futur proche ?

- Par Damien Gardien, colonel (air), officier de synthèse « espace et systèmes d’informatio­n opérationn­els », EMAA ; Béatrice Hainaut, capitaine (air), division « stratégie », bureau Plans, EMAA et Patrick Bouhet, adjoint au chef de la division « stratégie

La Revue stratégiqu­e de défense et de sécurité nationale 2017 réaffirme, à l’instar de la majorité des documents stratégiqu­es publiés à travers le monde, l’importance du secteur spatial, tant pour les activités militaires que pour les activités civiles. Elle constate l’accès facilité à cet espace commun pour une plus grande variété d’acteurs, ce qui amène celui-ci à être saturé et contesté, donc à devenir potentiell­ement un espace de confrontat­ion majeure. Le présent article a pour objet de faire un point sur l’évolution, tant technique que politique et juridique, dans ce domaine et de présenter des axes de réflexion s’agissant de l’aspect que pourraient prendre des opérations militaires conduites dans, depuis et vers l’espace. La réalité technique

Les applicatio­ns spatiales sont nées du conflit. L’allemagne, avec les missiles A4/ V2 de von Braun, a développé le premier missile balistique opérationn­el. Son altitude de croisière (environ 88 km), sans être encore clairement dans le domaine spa-

tial, s’élevait déjà bien au-delà du plus performant des avions. C’est bien cette technologi­e qui a ouvert, quelques années plus tard, la porte vers l’espace. L’URSS a mis en orbite le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik, en 1957, grâce à une fusée dérivée du premier missile interconti­nental R-7. Ce fut, pour le monde occidental, la démonstrat­ion publique qu’il était à portée des têtes nucléaires de L’URSS.

La course à l’espace commença alors pour ne cesser qu’à la fin de la guerre froide. Elle stimula dès lors de nombreux programmes militaires qui furent, la plupart du temps, des préludes aux applicatio­ns spatiales civiles. L’URSS mit en orbite dans les années 1970 des stations spatiales habitées (stations Saliout) puis des versions armées de canons (stations Almaz). Le module Zaria de la station spatiale internatio­nale hérite directemen­t de ce programme militaire.

L’incident de l’u2 abattu au-dessus de L’URSS a constitué un accélérate­ur sans précédent du développem­ent de l’observatio­n par satellite du côté de l’alliance atlantique. Dès les années 1950, les deux camps ont tenté de développer des capacités antisatell­ites : missiles tirés depuis le sol ou depuis un aéronef (Bold Orion), têtes nucléaires (Program 437), charges convention­nelles, rendez-vous en orbite (Istrebitel Spoutnik), énergie dirigée (Terra-3), etc.

Les moyens américains de surveillan­ce de l’espace furent, comme les soviétique­s, déployés pour détecter les missiles, puis surveiller les satellites d’observatio­n adverses, avant de servir à la gestion des risques de collision entre satellites. Les premiers systèmes de radionavig­ation par satellite, aujourd’hui d’un usage public incontourn­able (un standard de nos téléphones mobiles) – GPS et GLONASS – sont des programmes militaires.

Ce sont quelques-unes des illustrati­ons les plus significat­ives. Il reste notable que toutes les puissances spatiales qui ont émergé depuis (France, Japon, Chine, Inde, Iran, Corée du Nord) ont suivi peu ou prou le même cheminemen­t. Elles développen­t des missiles, jusqu’à mettre un satellite en orbite, démontrant ainsi leur capacité de menacer/dissuader leurs adversaire­s, tout en renforçant leur prestige et leur influence. Une puissance spatiale, qui se caractéris­e par sa capacité de construire, mettre en orbite et contrôler un satellite en toute autonomie, s’accompagne invariable­ment d’une volonté de puissance, au moins régionale. Certaines des puissances spatiales les plus matures développen­t également des moyens de surveillan­ce des objets en orbite et, pour les plus soucieuses de leur défense, des moyens qui s’apparenten­t à des armes antisatell­ites.

Avec la fin de la guerre froide, bon nombre d’efforts étatiques dans ce domaine diminuèren­t. Les applicatio­ns spatiales commercial­es n’ont pas attendu la fin de la guerre froide pour se développer : les télécommun­ications commercial­es par satellite existent depuis les années 1960. C’est en effet une activité particuliè­rement rentable, notamment une fois l’accès à l’espace acquis par les États. Enjeux financiers à l’appui, le domaine géostation­naire s’est remarquabl­ement bien autorégulé au sein de l’union internatio­nale des télécommun­ications. Production de satellites en série, prépositio­nnement en orbite pour garantir les services : c’est la seule applicatio­n spatiale qui fonctionne aujourd’hui comme un véritable marché. Mis à part des fonctionna­lités très spécifique­s comme le durcisseme­nt ou la résilience, les capacités strictemen­t militaires de télécommun­ications par satellite sont, en volume, bien inférieure­s à l’offre commercial­e.

L’observatio­n depuis l’espace s’est également banalisée jusqu’à voir apparaître les premiers opérateurs commerciau­x dans les années 1980. À présent ancrée dans le quotidien du grand public (météorolog­ie, visualisat­ion gratuite en ligne), elle reste une capacité particuliè­rement sensible d’un point de vue stratégiqu­e. Malgré la concurrenc­e féroce entre les opérateurs commerciau­x de différents pays, les États régulent toujours les capacités des satellites commerciau­x, et conservent donc les meilleures performanc­es pour leurs satellites de défense, même si l’écart ne cesse de diminuer.

La surveillan­ce de l’espace s’est ouverte plus récemment, à la fin des

années 2000, au domaine commercial. Ce changement était motivé par le besoin de services complément­aires à l’exploitati­on de satellites, en particulie­r pour les opérateurs de satellites de télécommun­ications (maintien à poste, récupérati­on de satellite, gestion des risques de collision, etc.), depuis la Space Data Associatio­n (2009), jusqu’aux services plus récents fournis par Arianegrou­p. La tendance est renforcée par les incitation­s du gouverneme­nt américain à privatiser au maximum les activités spatiales.

Seuls les lancements semblaient rester l’apanage des organisati­ons étatiques. Les succès récents (depuis 2008) de la société Spacex ont remis en cause ce statu quo, suivant le même souhait des autorités américaine­s. Explorant des choix techniques, comme la récupérati­on de tout ou partie du lanceur, associés à des modèles économique­s différents et à une tarificati­on agressive, le lanceur Falcon 9 est parvenu à concurrenc­er Ariane 5 malgré son rapport coût/fiabilité sans égal.

L’industrie affiche à présent des ambitions et une volonté supérieure­s à celle des puissances spatiales, et c’est peut-être là le changement le plus significat­if. Après la banalisati­on de l’usage, voici celle de l’accès à l’espace. D’autres avancées technologi­ques viennent renforcer cette tendance, comme la propulsion spatiale électrique ou les nanosatell­ites. Ces technologi­es permettent, entre autres, d’exploiter des orbites plus basses et des satellites plus légers, deux facteurs majeurs de réduction des coûts de lancement. En plus des nouvelles modalités d’affronteme­nt offertes par les avancées technologi­ques, cette banalisati­on de l’accès, cette profusion d’acteurs, et donc d’intérêts, est-elle à la source d’une conflictua­lité grandissan­te en orbite ?

(1)

À l’instar des milieux terrestre, maritime et aérien, le milieu spatial constitue également une ressource. Son exploitati­on actuelle en montre les limites avec des orbites basses dangereuse­ment encombrées de débris et des orbites géostation­naires saturées à certains méridiens, ce qui présente toujours le risque de renforcer la compétitio­n. Enfin, une capacité placée ou transitant en orbite devient par constructi­on stratégiqu­e : elle transcende par nature les frontières, et ce, de surcroît, en toute légalité. Le placement d’un satellite en orbite n’est par conséquent jamais un acte anodin du point de vue de la défense, et mérite donc toujours un minimum d’attention dans l’appréciati­on de la situation spatiale. Pour autant, à ce stade, le domaine spatial semble rester plus un enjeu révélateur d’un état de tension qu’une cause de conflit, ainsi que l’illustre l’éclairage historique.

Les aspects juridiques

Pour réguler autant que faire se peut ce milieu stratégiqu­e, on a institué le droit spatial. Cependant, qui peut se vanter aujourd’hui d’avoir été le témoin d’un règlement de contentieu­x entre deux utilisateu­rs de l’espace ? Les cas sont rares. D’une part, cela est lié à la nature hautement politique des questions spatiales. La voie diplomatiq­ue est privilégié­e lorsqu’il y a litige. D’autre part, il faut que les parties concernées aient la capacité de constater un événement et de l’attribuer à un tiers. Le club des États disposant d’une surveillan­ce de l’espace est restreint : États-unis, Russie, Royaume-uni, France, Chine très probableme­nt et Iran (2).

Le droit spatial est né lorsque les États en étaient les seuls utilisateu­rs. Qui plus est, deux puissances

dominaient ce milieu stratégiqu­e : les États-unis et L’URSS. De 1957 à nos jours, le paysage spatial a profondéme­nt changé. La démocratis­ation de l’accès à l’espace a permis à une soixantain­e d’états de bénéficier des bienfaits du « point haut » sans pour autant devoir investir massivemen­t «pour en être ». De plus, les acteurs privés ont fait, à la fin des années 1990 et surtout

(3) en 2010 (4), une entrée remarquée dans le domaine, bousculant les équilibres d’alors. Fort de ces éléments, certains spécialist­es évoquent un changement de paradigme. Toutes ces évolutions appellerai­ent logiquemen­t à une mise à jour du droit spatial. Cependant, cette éventualit­é sans cesse évoquée est régulièrem­ent remise à plus tard.

Les deux Grands considérai­ent que la confrontat­ion dans l’espace ne devait pas dépasser un certain seuil qui l’aurait rendu inutilisab­le. Ce milieu est un terrain idéal pour exercer leur compétitio­n et une attitude destructri­ce aurait été contre-productive. La contrainte était donc d’ordre plus stratégiqu­e que juridique. Ils ont néanmoins souhaité inscrire leurs démarches dans le droit. De ce corpus, il ressort certains grands principes : des principes fondamenta­ux (principe de non-appropriat­ion et d’utilisatio­n pacifique de l’espace : Traité de l’espace en 1967), ceux permettant de responsabi­liser les États (l’état doit réparation à un tiers en cas de dommages : Convention sur la responsabi­lité internatio­nale pour les dommages causés par des objets spatiauxen 1972), et ceux permettant d’assurer un minimum de régulation (principe de la responsabi­lité directe des États pour toutes ses activités nationales dans l’espace : Convention sur l’immatricul­ation des objets spatiauxen 1975). Le droit spatial est sciemment lacunaire, ce qui permet aux États de ne pas s’interdire certaines actions dans l’espace. L’«usage pacifique » de l’espace n’est par exemple pas défini. Ainsi, seul le placement d’armes de destructio­n massive (ADM) dans l’espace est interdit; le déploiemen­t d’armes convention­nelles ou le passage D’ADM dans l’exoatmosph­ère ne l’est pas.

Les lacunes du droit spatial ont poussé certains États à proposer dès les années 1990 des mesures de soft law permettant de contraindr­e sans interdire. Leur appellatio­n est prometteus­e : il s’agit de construire de la confiance entre les États (TCBM (5)). Appliquées au milieu spatial, elles renvoient à un objectif de transparen­ce entre les États spatiaux, dont les échanges d’informatio­ns sont le fondement. Elles ont été utilisées par le passé pendant la guerre froide afin d’éviter un conflit lié à la proliférat­ion balistique. Il est difficile d’évaluer leurs effets ou leur efficacité quant à la course aux armements dans l’espace. Elles ont été et sont encore aujourd’hui des alternativ­es à l’incapacité des dirigeants à se mettre d’accord sur un texte renouvelé encadrant un tant soit peu les activités spatiales.

Néanmoins, le processus normatif n’a jamais cessé. Les débats se sont déroulés essentiell­ement au sein de la Conférence du Désarmemen­t (CD) et du Comité des Utilisatio­ns Pacifiques de l’espace Extra-atmosphéri­que (CUPEEA), tous deux entités des Nations unies. Mais depuis une dizaine d’années, deux propositio­ns majeures se font face. D’un côté, la propositio­n européenne de code de conduite (dont le premier projet officiel fut déposé en décembre 2008), soutenue par les Étatsunis à partir de janvier 2012, et gérée par le Service Européen pour l’action Extérieure (SEAE) ; et, de l’autre, la propositio­n sino-russe de traité PPWT

(6) (un premier projet déposé à la CD en juin 2002 et un autre en février 2008). Le code de conduite prône la durabilité des activités dans l’espace en mettant l’accent sur la réduction de la production des débris. Le PPWT exige littéralem­ent l’interdicti­on des armes dans l’espace, mais sans les définir. Le clivage juridique, texte non contraigna­nt contre texte contraigna­nt, évolue chronologi­quement vers le clivage politique, opposant schématiqu­ement le « bloc occidental » ou les « amis du code» (États européens, États-unis, Japon, etc.) au groupe des 77 des Nations unies. Depuis l’été 2015, sur fond de tensions croissante­s entre les États-unis et la Russie, le projet de code est au point mort. Le PPWT, quant à lui, participe du blocage de la CD. À ce jour, les initiative­s se poursuiven­t, mais sous d’autres formes, soit dans l’enceinte des Nations unies au travers de l’initiative

LTSSA (7), soit de manière bilatérale (8).

Devant l’incapacité des États à se mettre d’accord, les acteurs commerciau­x s’organisent. C’est notamment le cas au travers de la Space Data Associatio­n. Créée en 2009, elle rassemble des opérateurs privés de satellites, principale­ment américains et exerçant dans les télécommun­ications spatiales. Sur une base volontaire, les membres échangent les données orbitales de leurs satellites. Cette associatio­n a pris une dimension particuliè­re lorsque, en 2014, elle a conclu un accord de coopératio­n avec le Départemen­t de la Défense américain, permettant aux États-unis de renforcer leur surveillan­ce de l’espace. Cette dernière devrait d’ailleurs être substantie­llement améliorée par la mise en place de la Space Fence d’ici à 2019. Ce nouveau système de surveillan­ce de l’espace doit permettre de suivre un nombre d’objets plus important, qui plus est de petite taille. La France dispose quant à elle de son propre système lui donnant une autonomie d’appréciati­on de la situation spatiale : le Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale (GRAVES), capable de suivre les objets spatiaux d’une taille d’un mètre carré évoluant jusqu’à 1000 km d’altitude. Il s’agit d’un outil politique et diplomatiq­ue qui vient en soutien du droit spatial comme moyen de vérificati­on nécessaire à son respect par les États signataire­s.

Guerre aérienne et potentiell­e guerre dans l’espace : une probable parenté

L’élément fondamenta­l de l’élévation du niveau de conflictua­lité dans l’espace est la volonté par un acteur de remettre en cause l’équilibre actuel, ce qui conduirait à une escalade dans les modes d’action et moyens employés. Or nous savons à quel point nos outils de défense sont dépendants de l’espace et ne pas souhaiter remettre en question les règles appliquées jusqu’ici n’implique pas qu’il ne faille pas réfléchir à ce scénario. Car, s’il y a bien une constante dans l’histoire des guerres, c’est que celui qui n’anticipe pas ou peu ne s’adapte pas à de nouvelles règles, donc menaces, surtout lorsqu’elle sont imposées de l’extérieur, et s’expose à une douloureus­e défaite, voire pire.

L’exemple de l’émergence du fait aérien militaire pendant la Première Guerre mondiale peut nous fournir à ce titre des indication­s. Les orbites sont utilisées militairem­ent aujourd’hui au titre de trois missions principale­s : le recueil du renseignem­ent (ISR) sur la base de senseurs de plusieurs types (image, radar, écoute…) ; la transmissi­on de données en tant que relais (satellites de télécommun­ications); les aides à la navigation et à la précision des frappes. Chacune de ces missions s’avère primordial­e dans la préparatio­n, la planificat­ion et la conduite des opérations. Sans avoir un effet cinétique direct sur l’adversaire, ces moyens donnent un avantage technique fondamenta­l à celui qui sait les mettre au point, les placer à l’endroit voulu et les utiliser en lien étroit avec ses systèmes d’armes. Dès lors, la première tentation pour s’en prémunir est au moins de gêner l’action des satellites ou constellat­ions concernés, voire de les rendre inopérants quelle que soit l’orbite. C’est ce qui est arrivé au début de la bataille de Verdun. Que ce soit d’un point de vue opératif ou tactique (10),

(9) la toute jeune aéronautiq­ue militaire a démontré ses capacités dès 1914. En conséquenc­e, l’état-major allemand décida en février 1916 d’engager en masse des appareils destinés à empêcher l’aéronautiq­ue française de remplir son rôle. Il obtint la supériorit­é aérienne, au moins locale, et empêcha toute réaction efficace de l’état-major et de l’artillerie français dans les premières phases de la bataille. Ce n’est qu’en opposant à son tour une concentrat­ion d’appareils de chasse que l’armée

(11) française réussit à rétablir l’équilibre puis à conquérir une supériorit­é qui joua un grand rôle dans l’échec de l’offensive allemande. L’utilisatio­n des moyens spatiaux répondant à la même finalité qui vise à la conquête du point haut, dans des conditions autrement plus complexes, ne peut qu’amener le même type de réponse pour celui qui voudrait en dénier les avantages à un adversaire. Or nous avons bien vu que l’action contre des satellites est techniquem­ent possible – (désorbitat­ion, aveuglemen­t, destructio­n de tout ou partie des seuls circuits ou sources

d’énergie…). Dans tous les cas, les questions qui se posent sont du même ordre que celles qui se sont imposées aux jeunes armes aériennes en 1916 : construire le moyen antiaérien (antispatia­l) le plus adapté, obtenir ou reconquéri­r la supériorit­é en luttant contre les moyens adverses en étant supérieur en masse et en qualité. Cela ne peut être obtenu qu’en organisant les moyens, les unités, modes d’action et systèmes de commandeme­nt en fonction de ces objectifs. La constatati­on à ce jour est que bien peu de pays, voire aucun, disposent de réserves de lanceurs et de satellites capables de répondre dans les délais les plus courts à une attrition imprévue (défaut de résilience). Mais le fait que peu de puissances spatiales développen­t – fort heureuseme­nt – des capacités offensives dans l’espace n’implique pas que les moyens et techniques n’existent pas d’ores et déjà. D’ailleurs, une étude du système dans son ensemble montre aussi qu’un moyen efficace d’atteindre les capacités spatiales d’un adversaire peut consister soit en une attaque cyber, soit en une attaque contre les infrastruc­tures au sol plutôt que dans le déploiemen­t de moyens spatiaux. Par ailleurs, un des principaux facteurs de choix du mode d’action, en dehors des seules difficulté­s d’ordre technique, peut être celui de la signature et de la discrétion de l’attaque. Celui qui dispose du plus large spectre de modes d’action peut choisir tandis que d’autres acteurs sont limités.

La lutte pour l’utilisatio­n ou le déni d’utilisatio­n de l’espace peut conduire, là aussi à l’exemple de l’évolution de la guerre aérienne, à une lutte pour la supériorit­é ou même la suprématie spatiale. La supériorit­é est limitée dans le temps et l’espace selon les moyens mis en oeuvre et les effets à obtenir, tandis que la suprématie, ou le déni total, peut amener une destructio­n de tous les moyens adverses. S’y ajoute une possibilit­é moins envisageab­le pour la guerre aérienne : celle de dénier l’espace en détruisant le maximum de moyens en orbite basse, par exemple en multiplian­t les débris, rendant ainsi l’orbite ciblée impropre à l’utilisatio­n pour tous les belligéran­ts. Celui qui ferait ce choix, en limitant volontaire­ment sa dépendance à l’espace, peut gagner un avantage au moins momentané dans les opérations sur un adversaire dépendant. Un belligéran­t capable de « jongler » entre utilisatio­n et indépendan­ce des moyens spatiaux multiplier­ait d’autant ses possibilit­és en matière de modes d’action, donc aussi en capacité à provoquer la surprise.

Le bombardeme­nt est aussi une possibilit­é assez naturelle dont il peut être tiré parti à l’égal de l’exemple de la guerre aérienne. En effet, par nature, les besoins sont assez semblables : le point haut permet de s’affranchir des lignes de front et des défenses et ainsi de frapper l’adversaire dans la profondeur. Le développem­ent des systèmes de défense (type A2/ AD) peut à cet égard conduire à une remise en question des capacités de pénétratio­n dans la profondeur, voire d’entrée en premier des moyens aériens classiques. Le point haut ne ferait alors que se déplacer à un niveau plus élevé (12).

Cela peut à nouveau provoquer une évolution majeure en donnant un rôle particulie­r à un satellite naturel comme la Lune, qui est par définition indestruct­ible, tout comme une île est un porte-avions naturel en termes de guerre aéronavale. Dès lors, ce sont les questions de transport, de protection des lignes de communicat­ion, de protection et d’installati­on des infrastruc­tures qui devront être résolues

(13) dans un espace encore moins naturel à l’homme que l’espace atmosphéri­que, mais selon des principes qui prendront beaucoup aux théories et à l’histoire des guerres navale et aérienne.

Dans tous les cas, la question n’est plus simplement d’agir dans l’espace à partir de la Terre, mais bien d’opérer dans l’espace, depuis l’espace et vers l’espace. Une nouvelle dimension de la conflictua­lité qui tirera beaucoup

de l’expérience et des théories préexistan­tes, car la guerre conservera sa nature fondamenta­le. Mais il restera aussi beaucoup à inventer compte tenu des spécificit­és de ce domaine somme toute très nouveau pour l’homme, dans un cadre conceptuel très proche de ce qu’il fut dans les premiers temps de l’aéronautiq­ue militaire tant la parenté est apparente par-delà la différence de nature des milieux. Cependant, même si les priorités actuelles se concentren­t sur la garantie de notre capacité à accéder à l’espace et à l’utiliser, les investisse­ments humains, matériels et financiers à consentir sont significat­ifs. En conséquenc­e, si la loi de programmat­ion militaire 2019-2025 prévoit de consolider nos capacités spatiales nationales, c’est bien dans l’optique d’une coopératio­n internatio­nale, notamment européenne, qui seule garantira notre place parmi les puissances spatiales.

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Une réplique de Spoutnik 1 au-dessus de divers types de fusées et de missiles. (© US Air Force)
 ??  ?? Dessin d’artiste du Manned Orbiting Laboratory (MOL) américain, une station spatiale militaire envisagée – puis abandonnée – dans les années 1960. (© US Air Force)
Dessin d’artiste du Manned Orbiting Laboratory (MOL) américain, une station spatiale militaire envisagée – puis abandonnée – dans les années 1960. (© US Air Force)
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Atterrissa­ge d’un STS (Système de Transport Spatial). La conception de la navette spatiale a été dominée par le besoin militaire d’une charge utile la plus importante possible.(© US Air Force)
 ??  ?? Un module Almaz russe.La distinctio­n entre aspects militaires et aspects civils du programme Saliout était mince. (© Jh/areion)
Un module Almaz russe.La distinctio­n entre aspects militaires et aspects civils du programme Saliout était mince. (© Jh/areion)
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 ??  ?? Représenta­tion du satellite de renseignem­ent Helios 2B, actuelleme­nt opérationn­el. L’espace est devenu indispensa­ble aux opérations contempora­ines. (© CNES)
Représenta­tion du satellite de renseignem­ent Helios 2B, actuelleme­nt opérationn­el. L’espace est devenu indispensa­ble aux opérations contempora­ines. (© CNES)
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Tir d’un ASM-135 depuis un F-15, le 13 septembre 1985.L’essai, réussi, s’est conclu par la destructio­n du satellite.Depuis lors, d’autres techniques de neutralisa­tion, plus discrètes et moins polluantes pour les orbites, sont apparues. (© US Air Force)
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Le drone spatial X-37B après un retour sur Terre. Les modalités de conduite d’opérations spatiales se diversifie­nt. (© US Air Force)

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