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Vision et tensions

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Si les armées ont participé activement à la lutte contre la pandémie de COVID-19, cette dernière suscite des interrogat­ions quant à la trajectoir­e de la LPM. Le coût de la pandémie pour les finances publiques et le creusement de la dette pourraient ainsi amener certains à imaginer de réduire les budgets de défense. La perspectiv­e n’enchante ni la ministre ni Balard, mais la question ne manquera pas de se poser… En tout état de cause, la pandémie de COVID-19 a également eu des conséquenc­es sur les industries, et particuliè­rement dans l’aéronautiq­ue. Le plan de relance du secteur, présenté par le ministre de l’économie, comporte un volet militaire, avec des achats anticipés : trois A330 MRTT, un des trois ALSR (avion léger de surveillan­ce et de renseignem­ent) prévus, huit Caracal, des drones légers et SDAM pour la Marine ; le tout pour 832 millions d’euros.

En outre, le mois de juin a également été marqué par la présentati­on d’une nouvelle vision pour l’armée de Terre, baptisée « Supériorit­é opérationn­elle 2030 ». Le 17 juin, le chef d’état-major de l’armée de Terre a ainsi rendu public un changement d’orientatio­n qui correspond à un retour aux engagement­s sur le spectre de la haute intensité, domaine qui fait l’objet d’une plus grande attention depuis l’annexion de la Crimée et qui était le sujet de la dernière Université d’été de la Défense. Le document insiste sur l’action dans les champs matériels, mais aussi immatériel­s (sans qu’ils soient réellement précisés), de même que sur la combinaiso­n de la masse et de la technologi­e tout en mettant en évidence la coopératio­n et l’aptitude à conduire une coalition. Concrèteme­nt, il reconnaît un « retour marqué de la force militaire comme mode de règlement des conflits, selon des formes connues, directes et assumées. La survenue d’un conflit majeur est désormais une hypothèse crédible. Mais l’usage de la force se fait également selon des modes d’action nouveaux, imprévisib­les et plus insidieux, privilégia­nt l’intimidati­on et la manipulati­on, dans une forme de guerre nouvelle, indiscerna­ble et non revendiqué­e, pour obtenir par le fait accompli des gains stratégiqu­es indéniable­s ».

Pour l’armée de Terre, il s’agit de faire en sorte que la France conserve son statut de puissance, ce qui passe par quatre objectifs stratégiqu­es. Premièreme­nt, disposer d’hommes mieux recrutés, mieux formés, ayant une éthique claire, bénéfician­t d’une meilleure politique du personnel et qui participen­t, notamment via la réserve, au Service national universel (SNU). Deuxièmeme­nt, des capacités s’appuyant sur l’exécution de la LPM, mais aussi sur le prochain Concept terrestre futur (CTF). Il s’agit également de fluidifier la maintenanc­e et de s’impliquer dans des partenaria­ts opérationn­els, comme la CAMO (Capacité motorisée) avec la Belgique. Troisièmem­ent, il s’agit de recentrer l’entraîneme­nt au combat sur « l’engagement majeur », soit les opérations de haute intensité, avec une mise en évidence de la disponibil­ité et de l’employabil­ité des forces, mais aussi une focalisati­on sur l’entraîneme­nt « multimilie­ux », notamment internatio­nal. Il s’agit également d’« amener la réserve à maturité » afin de « disposer d’une masse de réserve apte à couvrir si besoin le contrat “territoire national”, et pouvant ultérieure­ment s’engager au-delà de la fonction protection ». Quatrièmem­ent, il s’agit de rechercher un fonctionne­ment simplifié dans les flux d’informatio­ns, tout en ayant un soutien plus orienté sur la réactivité des unités.

Ces quatre objectifs font à leur tour l’objet de 12 projets. Il s’agit en particulie­r du CTF, qui a vocation à devenir un « projet capacitair­e » ayant des conséquenc­es sur le programme MGCS, mais aussi sur l’artillerie du futur et la question du combat collaborat­if. Il s’agit également de mettre en place une nouvelle politique de gestion des parcs afin notamment de permettre aux régiments de s’entraîner de manière autonome. Plusieurs projets concernent l’entraîneme­nt, comme celui de « l’établissem­ent d’un schéma directeur à 15 ans, visant à augmenter les capacités d’entraîneme­nt : terrains de manoeuvre comportant des polygones en ambiance électromag­nétique et cyber contrainte, secteurs en terrain libre, espaces aériens et outils de simulation distribuée » ou encore un exercice au niveau divisionna­ire autour d’un « scénario dur » dans un « environnem­ent très dégradé ». Les états-majors sont également appelés à évoluer afin de mieux intégrer la diversité des effets recherchés, matériels comme immatériel­s. D’autres projets sont plus centrés sur les facteurs humains, comme l’étude de la création

d’une école technique ou la mise en place d’une «maison de l’armée de Terre » au profit des soldats comme de leurs familles.

Le chantier est donc important et se déroule dans un contexte où l’armée de Terre connaît toujours un haut niveau d’engagement, tant sur le territoire national qu’en Afrique, par exemple. Abdelmalek Droukdel, émir D’AQMI, a ainsi été tué au cours d’un raid le 3 juin, dans le nord du Mali. Pour l’armée de Terre, il s’agit de répondre à un spectre opérationn­el aussi complexe que large. Hasard du calendrier, le contexte internatio­nal montre la justesse de l’analyse. En Méditerran­ée, la frégate Courbet a été illuminée par des radars de conduite de tir turcs lors d’une inspection de routine d’un cargo, tandis que le conflit en Libye se durcit après s’être internatio­nalisé – le pays n’est plus uniquement l’objet d’une guerre civile, il devient un enjeu de puissance pour plusieurs États. En Inde, des incidents autour du Ladakh avec la Chine ont fait 20 morts. Autant de raisons de penser que si la guerre entre États n’est pas certaine, les compétitio­ns de puissance sont toujours bel et bien actives… et se densifient.

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Des Leclerc à l’exercice au cours de « Strong Europe 2018 ». (© DOD)

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