Vingt ans de droit, tout le reste de travers
Amis hipp…, je voulais dire, étudiants, je vous félicite pour la réussite de vos études. Pour les juristes en particulier, à présent que vous avez terminé vos cinq ans de droit, vous pouvez commencer à faire tout de travers. Bon, cela dit, même en ayant trouvé le placard à champignons (trop) magiques de Michel Onfray, vous ne pourrez pas partir aussi de travers que le système international. Finies les envolées lyriques à la CPI, terminés les gouzi-gouzi autour d’une coupette après un sommet sur le désarmement, au revoir les petits voyages au-dessus de l’europe à travers ses cieux ouverts : l’heure est au détricotage des traités. Admirons le chemin récemment parcouru par nos camarades américains. Le palmarès est éloquent et comprend les sorties du traité sur les antimissiles, du traité sur les missiles de portée intermédiaire (L’INF), du traité Ciel ouvert et peut-être bientôt du traité sur l’interdiction des essais nucléaires. Sauf pour ce qui est des antimissiles, tous ces traités nous concernent : L’INF empêchait Moscou de se doter de missiles spécialement – attention touchante – conçus pour nous ; Ciel ouvert nous donnait accès à pas mal d’informations issues des États-unis ; et celui sur les essais permet de limiter la consommation de Doliprane à Balard.
Trump, tout de travers? Il n’y a pas que les buddies à aimer jouer avec le droit, il y a aussi les tovaritchs. Les mêmes qui, oh surprise, possèdent des Iskander qui volent plus loin que prévu et des missiles de croisière interdits par le traité INF, conçus bien avant la sortie américaine. Les mêmes également qui ferment partiellement des cieux devant rester ouverts et ont suspendu en 2007 leur participation au traité sur les forces conventionnelles en Europe. Certains esprits facétieux pourraient dire que c’est une tradition à Moscou, qui a respecté la Convention sur les armes biologiques de 1972 – l’étendue du programme soviétique sera révélée au grand public vingt ans plus tard – aussi rigoureusement que je m’abstiens de boire de l’alcool. La Russie semble avoir aussi oublié qu’elle avait signé le mémorandum de Budapest en 1994. Il faut dire que l’accord garantissait l’intégrité territoriale de l’ukraine, Crimée comprise, et n’autorisait absolument pas son annexion. Pour la peine de l’ukraine, il faut ajouter que les garanties de sécurité offertes par Washington, Londres, Pékin et Paris dans ledit mémorandum ont été, disons, plutôt furtives. Pour résumer, la vie des traités n’est pas un long fleuve tranquille et les Groseilles laissent de méchantes taches sur la chemise de l’histoire.
S’il faut rappeler que l’arène internationale n’est pas aussi policée que les États et que si on peut les critiquer pour fumer de gros pacsons de chichon stratégique alors que vous risquez de passer la nuit en zonzon pour ivresse publique (aheum), ils font quelques (kilo)tonnes quand vous pesez 50 kg tout mouillé. Qu’on le veuille ou non, l’international reste régi par l’intérêt et ce dernier peut commander d’avoir une vision à géométrie bien plus variable du droit que le brigadier qui vous demande, je cite « cuvez là, vieux sac à vin ». On peut le regretter, mais le droit est, à l’international, un objet stratégique et pas la petite merveille conceptuellement rigoureuse couvée amoureusement par les juristes. C’est un espace de manoeuvre comme un autre, mais qui, comme le Petit Chicago toulonnais en son temps, peut procurer aussi bien du plaisir que la chtouille. Le lendemain de la veille, les États peuvent regretter d’avoir considéré normes et traités comme l’incarnation d’un monde qu’ils ont pu avoir l’impression de maîtriser ; le tout avec une gueule de bois stratégique pour laquelle il n’existe pas d’alka-seltzer. Avoir la bonne conscience du respect des engagements pris est confortable. Mais comme beaucoup d’entre nous face à un opérateur téléphonique récalcitrant, ça n’aide pas forcément. Il faudra bien s’y faire : être stratégiste, c’est être anarchiste. Salut à toi, ô mon frère !