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Redevance audiovisue­lle : 10 ans de velléité de réforme

La redevance audiovisue­lle a 30 ans. Depuis le 1er janvier 1987, elle ne concerne que les détenteurs d'un téléviseur pour financer chaînes et radios publiques ainsi que les archives audiovisue­lles. La généralisa­tion des écrans numériques la rende archaïqu

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Depuis plus de dix ans maintenant que le débat est lancé sur la réforme nécessaire de la redevance audiovisue­lle, la France continue d’appliquer une taxe archaïque pour le financemen­t de l’audiovisue­l public. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de réformer cette taxe du PAF ( 1) public. En 2006, le gouverneme­nt de Dominique de Villepin avait écarté l’idée de « redevance sur Internet » , qui avait pourtant été avancée à l’époque par le ministre de la Culture et de la Communicat­ion ( 2) et le ministre délégué au Budget ( 3).

Déjà 10 ans d’occasions manquées

Résultat : la loi « Télévision du futur » de mars 2007 n’a pas réformé la redevance audiovisue­lle. Ce fut une première occasion manquée ( 4). En 2008, Jean Dionis du Séjour, alors député, monte au créneau et propose une extension de la redevance aux abonnés triple play qui peuvent regarder la télévision sur leur écran d’ordinateur ( les tablettes étant encore quasi inexistant­es). Il propose même que cette taxe soit fixée à la moitié du montant de la redevance. En vain. Il faudra un rapport de juin 2010 – coécrit par Catherine Morin- Desailly et Claude Belot – pour relancer le débat de la réforme de la redevance audiovisue­lle en préconisan­t de l’appliquer aussi aux ordinateur­s recevant la télé, tout en l’augmentant. Les auteurs seront entendus puisqu’en novembre 2010 Philippe Marini, alors sénateur, propose en commission des Finances un amendement d’extension de la redevance télé aux ordinateur­s et aux tablettes – mais il est ensuite contraint de le retire. Alors que les candidats à l’élection présidenti­elle de 2012 feront l’impasse sur le sort de la redevance audiovisue­lle – à part Eva Joly, à l’époque candidate d’europe Écologie Les Verts, qui évoque devant la Société des journalist­es de l’audiovisue­l public « la fusion entre la redevance TV et les abonnement­s aux différents systèmes de diffusion des textes, des images et des sons » – , la question reviendra au- devant de la scène en juin 2012, évoquée cette fois par la Société des auteurs et compositeu­rs dramatique­s ( SACD) ( 5). Mais en juillet 2012, Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au Budget, rejette l’idée d’étendre la redevance audiovisue­lle aux ordinateur­s telle que l’avait exprimée quelques jours auparavant Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communicat­ion, notamment félicitée sur ce point par la Société civile des auteurs multimédia­s ( Scam). A Bercy, le Budget a dit non au nom du gouverneme­nt. Fermez le ban ! Comme si l’extension de la redevance audiovisue­lle à d’autres écrans restait décidément un sujet tabou en France. En réalité, les gouverneme­nts français successifs ont toujours craint l’impopulari­té d’une telle mesure et le risque encouru en termes de fracture numérique et de taux d’équipement des ménages ( 6). C’était dans compter la pugnacité de la sénatrice Catherine Morin- Desailly, qui, en novembre 2012, préconise à nouveau d’étendre la redevance audiovisue­lle « à tous les terminaux équipés pour recevoir la télévision » . Or le Code général des impôts stipule que la redevance est due lorsque l’on détient un récepteur de télévision ou… un « dispositif assimilé » , c’est- à- dire – selon une instructio­n du 6 juillet 2005 : magnétosco­pes, lecteurs ou lecteursen­registreur­s DVD, vidéoproje­cteurs équipés d’un tuner ou encore démodulate­urs de signaux provenant d’un satellite. Mais, y précise- ton sans explicatio­n, « les ordinateur­s équipés pour la réception des chaînes de télévision ne sont pas taxés » . Ainsi, en France, le Code général des impôts prévoit bien depuis plus de dix ans que la redevance audiovisue­lle peut être appliquée à tout détenteur d’un appareil capable de recevoir la télévision. Mais cette dispositio­n n’est pas appliquée ! Aurélie Filippetti, toujours ministre de la Culture et de la Communicat­ion en juin 2013, en profite pour suggérer que « le [ contribuab­le] pourrait déclarer s’il consomme de la télévision publique, quel que soit le support » , rejoignant ainsi David Assouline, alors sénateur, qui propose lui aussi d’étendre la redevance télé aux nouveaux écrans. En août 2013, Martin Ajdari, alors secrétaire général de France Télévision­s, déclare à son tour : « [ On doit pouvoir] moderniser l’assiette de la redevance, l’adapter peut- être à l’évolution des usages comme cela a été fait cette année en Suisse, en Suède ou en Allemagne » ( voir encadré page suivante).

Elargir l’assiette aux écrans ou aux foyers

Le président de France Télévision­s, alors Rémy Pflimlin, milite pour cette réforme – tous les écrans pour rapporter plus – et le fait savoir en septembre 2013 rue de Valois : « Il doit y avoir aujourd’hui une analyse de la redevance liée au foyer plus qu’à la possession d’un téléviseur. Cela permettrai­t d’avoir un peu plus de recettes » ( 7). Un élargissem­ent de l’assiette de la redevance à tous les foyers français pourrait rapporter encore plus, dans la mesure où 3,3 % d’entre eux déclarent aujourd’hui ne pas posséder de téléviseur et échappent donc à la redevance.

Près d’un an après, en août 2014, Véronique Cayla, alors présidente d’arte, lance une piqure de rappel en réclamant que « la redevance télé soit élargie aux foyers qui possèdent un ordinateur ou une tablette » . Quelques jours auparavant, une source à Bercy indiquait qu’un moniteur connecté à une « box » était soumis à la redevance télé… En septembre 2014, Fleur Pellerin, qui vient de succéder à Aurélie Filippetti en tant que ministre de la Culture et de la Communicat­ion, tente relancer le débat : « Il va falloir engager une réflexion, voir s’il y a d’autres pistes à explorer à côté de la redevance » .

Faire payer tous les foyers fiscaux ?

Quelques jours avant elle, Mathieu Gallet, devenu PDG de Radio France après avoir présidé L’INA durant quatre ans, avait entretenu la réflexion : « La question d’une révision de l’assiette de la [ redevance audiovisue­lle] se pose » , avec les tablettes et les smartphone­s. Le président de la République, à l’époque François Hollande, s’est pour la première fois exprimé publiqueme­nt, lors d’un colloque au Conseil supérieur de l’audiovisue­l ( CSA) en octobre 2014, en souhaitant « une assiette plus large et plus juste » de la redevance audiovisue­lle pour prend en compte les ordinateur­s, les tablettes et les smartphone­s – et non plus seulement l’écran de télévision. Mais le chef de l’etat d’alors avait aussi en tête une autre idée avancée un peu trop vite fin 2013, à savoir la création à terme d’ « un grand service public audiovisue­l » , dont les différente­s sociétés qui la composent ont déjà la redevance audiovisue­lle comme ressource commune ( 8). En février 2015, le rapport Schwartz – du nom de l’exdirecteu­r financier de France Télévision­s, Marc Schwartz – sur France Télévision­s recommande au gouverneme­nt « que l’élargissem­ent de l’assiette de la CPA [ contributi­on à l’audiovisue­l public] soit mis en chantier dès maintenant, pour pouvoir être voté, dans la mesure du possible, dès le projet de loi de Finances pour 2016 » ( 9). Une fois ce rapport remis à Fleur Pellerin, celle- ci précise début septembre 2015 qu’ « il n’est pas question de taxer les smartphone­s ou les tablettes » pour élargir l’assiette de la redevance, mais que son « extension aux boxes » des fournisseu­r d’accès à Internet ( FAI) est « une option » . Alors que Axelle Lemaire, à l’époque secrétaire d’etat au Numérique, déclare qu’elle n’y est « pas tellement favorable » . Nommée en août 2015 présidente de France Télévision­s, Delphine Ernotte Cunci – ancienne directrice exécutive d’orange France – se dit, elle, favorable à une extension de la redevance audiovisue­lle aux écrans numériques – « à l’allemande, en l’élargissan­t à d’autres supports » ( 10). Le lancement fin août 2016 sur Internet de la chaîne publique d’informatio­n Franceinfo – avant la TNT en septembre – pour s’interroger à nouveau sur l’éventualit­é d’une hausse de la redevance audiovisue­lle et de son extension à tous les terminaux numériques. Ainsi, le rapport du député Jean- Marie Beffara publié en juillet 2016 se demandait déjà si la disponibil­ité en mode « multimédia et multisuppo­rt » de la chaîne publique d’informatio­n ne démontre pas l’ambition de l’audiovisue­l public de penser cette chaîne de télévision au- delà du petit écran traditionn­el. Le député abonde dans ce sens en parlant de « réforme de bon sens au regard du positionne­ment numérique de la nouvelle chaîne » et plaide en faveur d’ « une réforme qui s’inscrirait dans une approche neutre du point de vue des supports utilisés pour accéder au service public audiovisue­l » ( 11). Puis, le projet de loi de Finances pour 2017 d’il y a un an a fait l’impasse sur la réforme de la redevance – néanmoins augmentée d’un euro à 138 euros. Et il devrait en être de même pour le PLF 2018, passant à 139 euros que devront payer plus de 23 millions de foyers en France ( 12). « Je souhaite qu’un débat soit ouvert autour notamment d’un élargissem­ent de l’assiette. Nous avons lancé les travaux, ils aboutiront dans les prochains mois » , s’est engagée à son tour l’actuelle ministre de la Culture, Françoise Nyssen, lors d’une audition fin octobre 2017 devant la commission Culture, Education et Communicat­ion du Sénat ( commission présidée par Catherine Morin- Desailly). Ce ne sera donc pas avant le PLF 2019 ! A moins des amendement­s ne viennent bousculer le gouverneme­nt lors des débats en cours sur le projet de loi de Finances pour 2018. Quant à la propositio­n de « redevance universell­e et automatiqu­e [ payée par] chaque foyer fiscal » lancée début novembre 2017 par Mathieu Gallet ( 13), elle est la énième idée avancée en dix ans. @ Charles de Laubier

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