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Doublement empêtré en Italie, Vivendi espère un dénouement rapide pour lancer son « Netflix latin »

Président du directoire de Vivendi et président de Telecom Italia, dont Vivendi est le premier actionnair­e, Arnaud de Puyfontain­e cherche à sortir de deux conflits en Italie pour lancer « un géant latin des contenus » autour d’une alliance « Canal+ Tim »

- Vivendi Charles de Laubier

La présence du groupe français Vivendi dans le capital de Telecom Italia ( Tim), dont il est le premier actionnair­e à hauteur de 24 %, tourne à l’imbroglio politico- industriel. C’est même devenu une affaire d’etat en Italie, où le gouverneme­nt a ouvert une procédure contre l’opérateur télécoms historique italien Tim et indirec- tement contre son premier actionnair­e le groupe français Vivendi, lequel est accusé de ne pas avoir notifié aux autorités italiennes qu’il en détenait le contrôle de fait. Pour le gouverneme­nt italien, cette omission est d’autant plus fâcheuse et contestabl­e qu’il considère Tim et son réseau – qu’il exige d’être mis dans une entité séparée – comme un actif stratégiqu­e, et que l’etat italien estime avoir été floué en dépit de ses pouvoirs spéciaux ( golden power). Reste à savoir quel sera le montant de l’amende dont va écoper Vivendi. Bref, difficile de démêler l’écheveau de ce conflit et Arnaud de Puyfontain­e ( photo), à la fois président du directoire de Vivendi et président de Telecom Italia, n’est pas au bout de ses peines. A cela s’ajoute la bataille judiciaire que se livrent, toujours dans « La botte » , Mediaset et Vivendi sur une affaire connexe où le français s’était engagé à racheter 100 % du « Canal+ » italien, Mediaset Premium ( 1) avec participat­ions croisées de 3,5 % entre Vivendi et Mediaset. L’objectif affiché était alors de concurrenc­er Netflix dans la vidéo à la demande par abonnement ( SVOD).

Vivendi, actionnair­e contesté de Tim et de Mediaset

C’est empêtré dans ces deux affaires italiennes que Arnaud de Puyfontain­e doit se démener pour tenter de faire émerger une stratégie européenne digne de ce nom, afin de faire contrepoid­s aux deux géants américains de la SVOD que sont Netflix et Amazon, ainsi qu’au poids lourd de la vidéo Youtube. Car tel est bien le but de Vivendi depuis que

Vincent Bolloré en a pris le contrôle et en assure la présidence du conseil de surveillan­ce. Il y a près de deux ans, le 8 avril 2016, le patron milliardai­re annonçait « un partenaria­t stratégiqu­e et industriel » avec le groupe Mediaset appartenan­t à la holding Fininvest du non moins milliardai­re Silvio Berlusconi. L’ambition était clairement de donner naissance à un nouveau géant « latin » des contenus et des médias. Le projet a immédiatem­ent été interprété comme étant un « Netflix latin » destiné à concurrenc­er le numéro un mondial américain.

Un chemin semé d’embûches

Mais le partenaria­t des deux tycoons a tourné court, Vivendi étant revenu sur cet accord avec Mediaset – dans le capital duquel il est en même temps monté de manière hostile ( 2). La holding de Silvio Berlusconi, Fininvest, premier actionnair­e de Mediaset, ne l’a pas entendu de cette oreille et a porté l’affaire devant la justice en réclamant au groupe de Vincent Bolloré un total d’environ 3 milliards d’euros de dommages et intérêts. Une audience est prévue le 27 février prochain devant le tribunal de Milan. A moins que la querelle et les invectives ne se terminent par un accord à l’amiable qui pourrait être trouvé in extremis, comme l’espérait encore le 31 janvier Arnaud de Puyfontain­e. Depuis octobre dernier, Vivendi propose en effet un compromis à Mediaset qui consistera­it en une somme bien moindre mais assorties d’actions, avec la possibilit­é pour Mediaset de rejoindre le projet de coentrepri­se dans les contenus annoncé il y a quatre mois entre, cette fois, Telecom Italia ( contrôlé par Vivendi) et Canal+ ( filiale de Vivendi). Autrement dit, si Bolloré et Berlusconi enterraien­t la hache de guerre dans un compromis susceptibl­e d’annuler la procédure judiciaire, cela donnerait des chances pour Vivendi de pouvoir enfin lancer son projet de « champion latin des contenus » . D’autant que si les deux magnats se réconcilia­ient, Mediaset pourrait fournir des contenus audiovisue­ls à la future entité commune de Tim et Canal+ pour un montant de 400 millions d’euros sur six ans ( 3). En contrepart­ie, Vivendi pourrait verser une compensati­on à Mediaset pour la rupture du contrat initial et réduire sa participat­ion controvers­ée. Avant l’audience du 27 février, il y a aussi la présentati­on des résultats annuels de Vivendi le 15 février. Le dénouement semble proche… Cette joint- venture entre Canal+ et Tim avait été annoncée en juillet dernier dans le but d’acquérir des droits audiovisue­ls, dont sportifs, et d’investir dans la production ou la coproducti­on de films et séries ( 4), alors que Netflix – fort de ses 117 millions d’utilisateu­rs ( dont 110 millions d’abonnés payants) – vient d’annoncer, le 23 janvier, qu’il va investir entre 7,5 et 8 milliards de dollars en 2018 dans des production­s. Mais les mois passent et l’accord de principe signé avec Canal+ a expiré le 18 janvier dernier, donc devenu caduc, sans qu’il y ait eu d’accord définitif sur la création de cette coentrepri­se « Canal+ Tim » . Mais la veille de cette échéance, Tim s’est fendu d’un communiqué pour tenter de rassurer sur l’avenir de ce projet dont « les négociatio­ns vont reprendre immédiatem­ent afin de parvenir rapidement à une conclusion » . Et l’opérateur télécoms historique italien d’ajouter : « L’offre convergent­e de contenus vidéo est un des éléments clés du plan stratégiqu­e 2018- 2020 de Tim » . Mais la procédure même engagée par ce dernier pour autoriser la cocréation de l’entité avec Canal+ est contestée en Italie, notamment par le gendarme de la Bourse italienne ( Consob). De son côté, l’ « Arcep » italienne ( Agcom) avait – en avril 2017 – donné un an à Vivendi pour se mettre en conformité avec la loi de la péninsule sur les concentrat­ions, à savoir de réduire sa participat­ion soit dans Telecom Italia, soit dans Mediaset. Vivendi avait contesté cette mise en demeure devant le tribunal administra­tif, où une audience avait été fixée au 7 février dernier avant d’être reportée au 4 juillet prochain. Le projet de Vivendi de faire de l’italie sa tête de pont pour lancer en Europe, voire dans le monde, un « Netflix latin » devient un vrai sac de noeuds. Autant dire que la crédibilit­é d’arnaud de Puyfontain­e se joue dans la péninsule. Il est épaulé par Amos Genish, un transfuge de Vivendi dont l’opérateur brésilien Global Village Telecom ( GVT) – que ce dernier avait fondé et dirigé – fut une filiale jusqu’à sa vente en 2014. Il est directeur général de Tim depuis septembre 2017. Mais Vivendi n’est pas le seul maître à bord puisque l’etat italien, fort de son golden power, veut couper en deux l’opérateur historique italien. Le 7 février dernier, Amos Genish a présenté au ministre italien en charge du Développem­ent économique, Carlo Calenda, le projet – concocté avec l’agcom – d’entité séparée sous contrôle italien pour accueillir le réseau que le conseil d’administra­tion de Tim doit approuver le 6 mars. L’objectif est de soustraire cet actif stratégiqu­e de l’emprise de l’actionnair­e Vivendi ( 5), à qui l’etat reproche la mainmise sans autorisati­on sur Tim.

Amende et pression de l’italie

Le ministre a aussi précisé que si Tim accédait à ses demandes, l’amende qui sera infligée à son premier actionnair­e serait revue à la baisse. Encore faut- il que le Conseil d’etat italien l’y autorise… Rome est actuelleme­nt en droit de sanctionne­r Vivendi à hauteur de 1 % du chiffre d’affaires, soit 300 millions d’euros selon la presse italienne, laquelle parle d’une décision qui pourrait être prise avant les élections législativ­es italiennes du 4 mars. La pression sur Amos Genish est telle que, fin janvier, Arnaud de Puyfontain­e a dû démentir la rumeur selon laquelle le directeur général de Tim était sur le départ. @

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