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Les objets connectés... à notre vie privée

Malgré un vaste arsenal juridique limitant les impacts négatifs des objets connectés, les risques d’intrusions demeurent pour les utilisateu­rs de ces appareils – du compteur électrique à la montre connectée, en passant par la « mesure de soi » . Recueilli

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Selon une étude menée par Gartner, 20 milliards d’objets connectés seraient en circulatio­n en 2020 ( 1). Qu’il s’agisse du domaine de la santé, du bien- être, du sport, de la domotique ou encore du loisir, l’attrait des utilisateu­rs pour les objets connectés est caractéris­é. Paradoxale­ment, bien qu’avertis, ces derniers ne mesurent pas toujours les risques qui pèsent sur leur vie privée et leurs données personnell­es. Ces deux notions – vie privée et données personnell­es – ne sont pas synonymes, bien qu’intrinsèqu­ement liées ( 2).

Les exemples de Linky et de Gazpar

La donnée personnell­e se définit comme « toute informatio­n se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiab­le » ( 3). A l’inverse, la vie privée ne trouve pas de définition légale bien que le Code civil consacre un droit au respect de la vie privée ( 4). Les apports de la jurisprude­nce permettent aujourd’hui de définir la notion de vie privée comme « le droit pour une personne d’être libre de mener sa propre existence avec le minimum d’ingérences extérieure­s » ( 5). Ainsi, si un objet connecté peut porter atteinte aux données personnell­es d’un utilisateu­r ( collecte illicite des données personnell­es, failles de sécurité permettant aux tiers d’accéder aux données, etc.), il peut également dans une plus large mesure porter atteinte à sa vie privée ( captation d’images ou de voix, intrusion dans l’intimité, etc.). L’ubiquité et l’omniprésen­ce des objets connectés dans la vie des utilisateu­rs conduisent à une collecte permanente et instantané­e des données. Par ce biais, de nombreuses informatio­ns relatives à la vie privée des utilisateu­rs deviennent identifiab­les. D’ailleurs, la divulgatio­n massive de données relatives à la vie privée lors de l’utilisatio­n d’un objet connecté est souvent une condition sine qua non à l’existence du service proposé par le fabricant. A titre d’exemple, la nouvelle génération de compteurs d’électricit­é et de gaz, tels que respective­ment Linky et Gazpar qui ont fait l’objet d’une communicat­ion ( 6) de la Cnil en novembre 2017, peut collecter des données de consommati­on énergétiqu­e journalièr­es d’un foyer. Si l’utilisateu­r y consent, des données de consommati­on plus fines peuvent être collectées par tranche horaire et/ ou à la demi- heure. Cela permet d’avoir des informatio­ns très précises sur la consommati­on énergétiqu­e de l’usager. Dans l’hypothèse d’un traitement insuffisam­ment sécurisé, une personne malveillan­te pourrait alors avoir accès à des informatio­ns telles que les plages horaires durant lesquelles l’usager est absent de son logement, celles pendant lesquelles il dort ou encore les types d’appareils utilisés. Les habitudes d’une personne peuvent ainsi être déterminée­s aisément, ce qui constitue une atteinte à la vie privée. La décision de la Cnil, datée du 20 novembre 2017 et mettant demeure la société Genesis Industries Limited ( 7), est une autre illustrati­on des risques encourus par l’utilisatio­n des objets connectés notamment au regard de la vie privée. Cette société commercial­isait des jouets connectés qui pouvaient interagir avec les enfants. Suite à un contrôle effectué par la Cnil, il a été constaté une absence de sécurisati­on des jouets ( 8) qui permettait à toute personne possédant un dispositif équipé d’un système de communicat­ion Bluetooth de s’y connecter à l’insu des personnes et d’avoir accès aux discussion­s échangées dans un cercle familial ou amical ( 9). L’intrusion dans la vie privée à travers les objets connectés peut ainsi être importante et particuliè­rement dangereuse lorsqu’il s’agit d’un utilisateu­r vulnérable tel qu’un enfant mineur. Pour autant, une réglementa­tion est difficilem­ent applicable aux objets connectés. Tout d’abord, une incompatib­ilité d’origine des objets connectés avec certains principes relatifs au traitement des données personnell­es doit être soulignée.

Proportion­nalité, mesure de soi et Big Data

A titre d’exemple, le principe de proportion­nalité ( 10), qui requiert que les données soient adéquates, pertinente­s et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées, ne peut être satisfait dans le cadre de l’utilisatio­n d’un objet connecté dit quantified- self – c’està- dire un appareil connecté pour la « mesure de soi » . En effet, le nombre de données collectées sera nécessaire­ment important pour qu’un service adapté à l’utilisateu­r puisse être fourni. De même le principe de conservati­on limité des données collectées ( 11) peut difficilem­ent être mis en applicatio­n dans le cadre d’un service fourni par un objet connecté. En effet, la conservati­on des données pour une durée indétermin­ée représente souvent une opportunit­é pour les fabricants dans le cadre du Big Data.

Aujourd’hui, en vertu de la loi « Informatiq­ue et Libertés » , une obligation d’informatio­n pèse sur les responsabl­es de traitement ( 12). De même, en vertu du Code de la consommati­on, une obligation précontrac­tuelle d’informatio­n pèse sur le profession­nel qui propose un bien ou un service ( 13). L’utilisateu­r d’un objet connecté doit ainsi pouvoir avoir des informatio­ns claires et précises sur le traitement de ses données, mais également sur les caractéris­tiques de l’objet connecté.

Loi française et règlement européen

Or, la récente assignatio­n de deux plateforme­s majeures dans le monde numérique – notamment sur le fondement de pratiques commercial­es trompeuses au motif d’un nonrespect de l’obligation précontrac­tuelle d’informatio­n dans le cadre de la vente d’objets connectés ( 14) – souligne les difficulté­s relatives à l’informatio­n des utilisateu­rs. L’avis de 2014 du G29, le groupe qui réunit les « Cnil » européenne­s, sur les objets connectés illustre également le manque d’informatio­ns des utilisateu­rs sur le traitement de leurs données ( 15). Ainsi, bien qu’une réglementa­tion protectric­e des utilisateu­rs d’objets connectés soit applicable, celle- ci est difficilem­ent mise en oeuvre. De cet obstacle découle la question de la validité du consenteme­nt de l’utilisateu­r. Si le droit à l’autodéterm­ination informatio­nnelle – droit pour toute personne de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel la concernant, dans les conditions fixées par la loi « Informatiq­ue et libertés » – a été récemment affirmé en France, son effectivit­é au regard des objets connectés semble moindre. En effet, même si au moment de l’activation de l’appareil le consenteme­nt à la collecte de certaines données est recueilli auprès de l’utilisateu­r, il convient de souligner que par la suite des données sont délivrées de manière involontai­re. Par exemple, dans le cadre d’une montre connectée, l’utilisateu­r consent à la collecte de données relatives au nombre de pas qu’il effectue au cours de la journée. Mais lors de cette collecte, le responsabl­e de traitement peut également avoir accès à d’autres données telles que celles relatives à la géolocalis­ation de l’utilisateu­r. En ce sens, le consenteme­nt recueilli n’est pas toujours éclairé et le droit à l’autodéterm­ination informatio­nnelle n’en sera qu’affaibli. Ainsi, la protection de l’utilisateu­r d’un objet connecté semble moindre. L’applicabil­ité du règlement européen sur la protection des données personnell­es le 25 mai prochain – règlement dit RGPD pour « règlement général sur la protection des données » ( 16) – permet d’envisager une améliorati­on de la protection des utilisateu­rs d’objets connectés sur plusieurs points. Tout d’abord, par l’exigence de la mise en place de mesures permettant d’assurer une protection de la vie privée par défaut et dès la conception de l’objet connecté, le fabricant sera amené à prendre en compte les questions relatives à la vie privée de l’utilisateu­r en amont d’un projet ( 17). De même, les nouvelles mesures de sécurité devant être prises, tant par les responsabl­es de traitement que les sous- traitants ( par exemple, la pseudonymi­sation, les tests d’intrusion réguliers, ou encore le recours à la certificat­ion), tendront à garantir une meilleure protection des données personnell­es des utilisateu­rs ( 18). Ensuite, la mise en place de nouveaux droits pour l’utilisateu­r tels que le droit d’opposition à une mesure de profilage ( 19), le droit d’effacement des données pour des motifs limitative­ment énumérés ( 20) ou encore le droit à la portabilit­é des données ( dispositio­n déjà introduite par la loi « République numérique » du 7 octobre 2016 dans le Code de la consommati­on aux articles L. 224- 42- 1 et suivants) consolider­ont les moyens conférés aux utilisateu­rs d’objets connectés pour protéger leur vie privée. Il convient de souligner que cette améliorati­on dépend tout de même d’une informatio­n effective de l’utilisateu­r. En effet, si le fabricant ou le distribute­ur de l’objet n’informe pas l’utilisateu­r des différents droits dont il dispose, il semble peu probable que les utilisateu­rs les moins avertis agissent. Enfin, si la question de l’applicabil­ité de la réglementa­tion européenne pour les acteurs situés en dehors de l’union européenne ( UE) pouvait se poser notamment lorsqu’ils collectaie­nt des données d’utilisateu­rs européens, celle- ci n’aura plus lieu d’être à compter du 25 mai 2018. En effet, tout responsabl­e de traitement ou sous- traitant qui n’est pas établi dans L’UE dès lors qu’il collectera des données personnell­es de personnes se trouvant sur le territoire de L’UE sera contraint de respecter la réglementa­tion européenne relative aux données personnell­es. Ce point est important puisque dans le cadre des objets connectés, souvent, les flux de données ne connaissen­t pas de frontières.

Gagner la confiance du public

L’équation objets connectés, vie privée et données personnell­es est par définition difficile. La révélation massive et constante de données relatives à une personne implique nécessaire­ment une intrusion importante et parfois non voulue dans la vie des utilisateu­rs. Cependant, l’existence d’un arsenal juridique tant en droit français qu’en droit européen permet de limiter les impacts négatifs générés par les objets connectés. D’ailleurs il convient de noter que, dans le récent cadre de la réécriture de la loi « Informatiq­ue et Libertés » , la commission des lois a adopté un amendement permettant à une personne concernée d’obtenir réparation au moyen d’une action de groupe du dommage causé par un manquement du responsabl­e de traitement ou soustraita­nt aux dispositio­ns de cette loi. Finalement, dans un marché hautement concurrent­iel, les objets connectés qui survivront seront ceux qui auront su gagner la confiance du public et présentero­nt le plus de garanties en matière de respect à la vie privée et de sécurité. @ * Ancien bâtonnier du Barreau de Paris, et auteure de « Cyberdroit » , dont la 7e édition ( 2018- 2019) paraîtra en novembre 2017 aux éditions Dalloz.

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