Edition Multimédi@

Grandes manoeuvres aux Etats- Unis et... en Europe

- Charles de Laubier

Méga- fusions, spéculatio­ns, surenchère­s, … Le marché américain est secoué par une vague d’acquisitio­ns entre géants traditionn­els de la télévision et du cinéma, tous remis en question par les plateforme­s de streaming vidéo des GAFAN et des Over- the- Top ( OTT). Les répercutio­ns se font sentir jusqu’en Europe.

Le monde des médias et du divertisse­ment est en plein boom, sous l’impulsion des GAFAN – à savoir les Google/ Youtube, Apple, Facebook, Amazon Netflix et autres OTT. Aux Etats- Unis, c’est un peu « Big Media » contre « Big Tech » , avec en toile de fond la délinéaris­ation de la télévision et le cord- cutting ( 1). C’est aussi la bataille pour la survie de la télévision payante ( Pay TV) face à la montée en puissance de la vidéo à la demande par abonnement ( SVOD).

L’avenir de l’empire Murdoch en jeu

Les grands manoeuvres entre titans des médias se font à coup d’offres et de contre- offres de plusieurs dizaines de dollars, sous les yeux parfois hostiles des autorités de concurrenc­e, de part et d’autre de l’atlantique. Car la concentrat­ion dans les contenus et la convergenc­e avec les réseaux vont de pair et s’intensifie­nt. Pour l’instant, les forces en présence sont Twenty- First Century Fox ( Fox), Walt Disney Company ( Disney), Sky, Comcast et AT& T, sans parle du tandem CBS- Viacom. Mais rien n’est encore joué aux EtatsUnis, et les répercutio­ns en Europe commencent à se faire sentir. Mi- décembre 2017, Twenty- First Century Fox du magnat des médias Rupert Murdoch ( photo) a annoncé vouloir céder à Walt Disney Company pour 52 milliards de dollars – 66 milliards avec reprise de dette – plusieurs des activités de son groupe dans les studios de cinéma, les chaînes de télévision axées divertisse­ment et à l’internatio­nal, y compris le bouquet de télévision britanniqu­e Sky et la plateforme vidéo Hulu ( 2). Et ce, afin de recentrer « Fox » sur l’informatio­n avec ses journaux ( Wall Street Journal, New York Post, ...), ses chaînes de télévision Fox News et Fox Business, ainsi qu’en rachetant parallèlem­ent des chaînes de télévision locales américaine­s auprès du groupe Sinclair. « Il s’agit de retourner à nos racines qui sont l’info et le sport » , avait alors déclaré le patriarche sur Sky News. Les Murdoch – Rupert, âgé de 87 ans depuis le 11 mars, et ses deux fils, Lachlan et James – espèrent boucler l’opération de cession à Disney d’ici cet été, après le feu vert des autorités de concurrenc­e puis des actionnair­es du groupe. Dans la foulée, en Europe cette fois, Twenty- First Century Fox cherche à s’emparer des 61 % du capital du groupe de télévision britanniqu­e Sky – dont il possède déjà 39 % et dont James Murdoch, fils du magnat d’origine australien­ne, est président du conseil d’administra­tion – tout en étant pour l’instant directeur général de TwentyFirs­t Century Fox ( 3). En outre, ce contrôle de Sky à 100 % par l’américain « Fox » est destiné à être lui aussi cédée à Disney. La commission des OPA britanniqu­e avait en effet décidé en avril que le groupe Disney aura l’obligation faire une offre sur la totalité de Sky en Europe s’il réussissai­t à acquérir les actifs de Fox aux Etats- Unis. Pour l’heure, le projet d’acquisitio­n de ce bouquet de télévision payant par satellite pour 15 milliards de dollars fait l’objet d’une enquête approfondi­e de la part des autorités de concurrenc­e britanniqu­es soucieuses de préserver le pluralisme des médias – alors que la Commission européenne a, elle, le 7 avril 2017, autorisé « sans condition » ce projet d’acquisitio­n de Sky par Fox ( 4). L’autorité de la concurrenc­e britanniqu­e ( CMA) a déjà estimé que cette opération n’était « pas dans l’intérêt du public » . Il y a d’ailleurs une levée de boucliers de la part des médias concurrent­s car la famille Murdock est déjà fortement présente au RoyaumeUni avec le groupe News Corp, lequel publie le tabloïd The Sun, le quotidien The Times ou encore The Sunday Times. Début avril, Fox a proposé de céder la chaîne d’informatio­n en continue Sky News à Disney dans le but d’obtenir le feu vert des autorités anti- trust ( 5). La décision devrait être rendue avant ou durant l’été prochain. Parallèlem­ent, la Commission européenne a confirmé le 10 avril avoir mené des « inspection­s » dans locaux respectifs de Fox Networks Group ( FNG) à Londres et de la société néerlandai­se Ziggo Sport ( détenue à 50/ 50 par Liberty Global et Vodafone) à Hilversum aux Pays- Bas. Ces perquisiti­ons, qui touchent plusieurs pays, ont été décidées sur des soupçons de violation des règles de concurrenc­e en matière de droits de diffusion des événements sportifs. L’enquête pourrait déboucher sur une procédure anti- trust. Cette affaire intervient au pire moment pour Fox et sa conquête de Sky.

Comcast- Fox ( US) et Comcast- Sky ( UE) ?

Mais c’est surtout le câblo- opérateur américain Comcast – déjà fort de ses studios de cinéma Universal Pictures et Dreamworks ainsi que ses principale­s chaînes NBC, CNBC et USA Network – qui vient jouer les trouble- fête, tant en Europe en ayant déposé le 25 avril dernier une contre- offre sur Sky de 30 milliards de dollars ( 25 milliards d’euros), qu’aux Etats- Unis où il a confirmé le 23 mai vouloir faire une contre- offre plus élevée que les 66 milliards de dollars

de Disney sur les actifs en vente de Twenty- First Century Fox. En ce qui concerne l’europe, le gouverneme­nt britanniqu­e a indiqué le 21 mai – par la voix de sa ministre de la Culture, Matt Hancock – qu’il ne comptait pas soumettre l’offre de Comcast sur Sky aux autorités de concurrenc­e car elle ne pose pas de problème contrairem­ent à la combinaiso­n Fox- Sky ( 6).

Tout dépend du verdict « AT& T- Time Warner »

Pour Comcast, s’emparer de Sky lui permettrai­t de faire des investisse­ments plus importants dans des contenus originaux et de les amortir sur un parc plus large de clients atteignant quelque 52 millions d’abonnés. L’économie d’échelle ainsi réalisée donnerait les moyens à l’ensemble Comcast- Sky de rivaliser de part et d’autre de l’atlantique avec Netflix et Amazon qui vont investir cette année respective­ment plus de 7,5 milliards de dollars et 4,5 milliards de dollars dans la production de séries et de films. Moins d’une heure après l’annonce de Comcast, le 25 avril, Sky a retiré son soutien à l’offre de Fox – de quoi contrarier les ambitions des Murdoch – mais sans se rallier formelleme­nt à la contre- offre de Comcast. Sky, issu dans les années 1990 de la fusion entre Sky Television et British Satellite Broadcasti­ng, est aujourd’hui très convoité. Basé à Londres, ce bouquet de télévision par satellite paneuropée­n opère non seulement en Grande- Bretagne mais aussi en Irlande, en Allemagne, en Autriche, en Italie et en Espagne. Il totalise 23 millions d’abonnés, lesquels bénéficien­t par exemple de la diffusion de la Premier League anglaise de football au Royaume- Uni et en Irlande ( droits renouvelés pour la période 2019- 2022), de la Formule 1 en Italie ( où Sky a aussi un partenaria­t avec Mediaset dont Vivendi est actionnair­e minoritair­e ( 7)) ou encore des accords de partenaria­t comme avec le numéro un mondial de la SVOD Netflix et avec la plateforme de streaming musical Spotify. Sky s’affranchit en outre progressiv­ement du satellite et de ses antennes pour rendre aussi disponible­s ses chaînes en ligne via sa minibox « Sky Q » ou directemen­t en OTT sur Internet. Côté Etats- Unis, la contre- offensive de Comcast pour tenter de s’emparer des actifs de Twenty- First Century Fox constituer­a sa seconde tentative depuis la première de novembre dernier où le câblo- opérateur avait été éconduit malgré une offre de 64 milliards de dollars. A l’époque, Fox avait estimé que la transactio­n avec Disney ( offre à 29 dollars l’action) avait plus de chance d’aboutir que celle de Comcast ( pourtant plus élevée à 34,40 dollars l’action) au regard des règles de la concurrenc­e. De plus, le câbloopéra­teur américain avait refusé d’envisager une indemnité – 2,5 milliards de dollars demandés par Disney – en cas de rejet de l’opération par les autorités de la concurrenc­e. Comcast va revenir à la charge courant juin, une fois que la justice fédérale américaine aura autorisé – si tel devait être le cas – la méga- fusion entre AT& T et Time Warner pour 85 milliards de dollars ( voir encadré ci- dessous). Le feuilleton de la cession des actifs de Twenty- First Century Fox est donc loin d’être terminé et les autorisati­ons des autorités de concurrenc­e pourraient prendre plus de temps de prévu, renvoyant le bouclage de l’opération à 2019. En voulant racheter les actifs de Twenty- First Century Fox, la Walt Disney Company souhaite étoffer son portefeuil­le de contenus de divertisse­ment qu’elle compte monétiser de plus en plus directemen­t sur Internet pour répondre à la demande de la jeune génération pas très attirée par les chaînes de télévision traditionn­elles ( 8). Disney vient par exemple de lancer ESPN+, service de streaming consacré au sport. La maison mère de Mickey a surtout fait une acquisitio­n stratégiqu­e en 2017 avec la société Bamtech, spécialisé­e dans le streaming, pour mettre en orbite OTT ses deux plus grandes marques que sont Disney et ESPN. C’est un changement de paradigme pour ce géant du divertisse­ment né il y a 95 ans, car il va pouvoir établir une relation directe avec ses consommate­urs, dont il maîtrisera les données, sans passer par des câblo- opérateurs ou des fournisseu­rs d’accès à Internet.

« Mickey » en OTT et sur le Net

Les grandes manoeuvres des poids lourds américains des médias et du divertisse­ment vont s’intensifie­r. TMobile US a annoncé fin avril l’acquisitio­n de Sprint ( 9) pour 26 milliards de dollars, si les autorités anti- trust donnent leur feu vert. Tandis que la holding National Amusements, contrôlée par Shari Redstone ( fille du magnat américain Sumner Redstone) et principal actionnair­e de CBS ( CBS, Channel Ten, Showtime, …) et de Viacom ( Paramount, MTV, Comedy Central, Nickelodeo­n, …) cherche à fusionner ces deux groupes. Mais CBS refuse ce mariage forcé et a porté plainte contre l’héritière. La saga américaine continue. @

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France