Edition Multimédi@

Audiovisue­l : missions de service public à l'heure du Net

- Par Rémy Fekete, associé Jones Day

En publiant le 4 juin sa « présentati­on du scénario de l'anticipati­on » pour l'audiovisue­l public, le gouverneme­nt ne va pas au bout de sa réflexion. Il se polarise sur la quatrième révolution du secteur sans s'interroger pour l'avenir sur la légitimité des « missions de service public » .

L’article 43- 11 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communicat­ion – article confiant aux entreprise­s publiques de l’audiovisue­l « des missions de service public » ( 1) – n’en finira pas de passionner les exégètes, les contempteu­rs des travers de la société contempora­ine, les analystes des lâchetés politiques et les légistes encore en quête de sens. Au fil des réformes régulières de la régulation audiovisue­lle, gouverneme­nts et parlementa­ires ont empilé sur le dos de l’audiovisue­l public autant de « missions de service public » qu’il existe d’impératifs politiques ingérables, de déficience­s sociales incurables, d’objectifs collectifs inaccessib­les.

« Qui trop embrasse mal entreint »

C’est à la télévision publique que le législateu­r assigne ses nobles objectifs de diversité, de pluralisme, d’exigences de qualité, d’innovation­s, mais aussi de respect des droits de la personne et des principes démocratiq­ues. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi que la télévision publique fournisse à la fois de l’informatio­n, de la culture, de la connaissan­ce, du divertisse­ment et du sport. A qui revient la charge de « favoriser le débat démocratiq­ue, les échanges entre les différente­s parties de la population, ainsi que l’insertion sociale et la citoyennet­é » ? A la télévision publique. La cohésion sociale, la diversité culturelle, la lutte contre les discrimina­tions et les droits des femmes ? L’audiovisue­l public ! L’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les préjugés sexistes, les violences faites aux femmes, les violences commises au sein du couple, la représenta­tion de la diversité de la société française notamment d’outreMer : encore des obligation­s qui, selon le législateu­r, relèvent de l’audiovisue­l public. Mais il faut aussi que la télévision publique assure la promotion de la langue française, des langues régionales, mette en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistiq­ue français. On aurait pu penser qu’il revenait à l’education nationale d’assurer « la diffusion de la création intellectu­elle et artistique et des connaissan­ces civiques, économique­s, sociales, scientifiq­ues, et de favoriser l’apprentiss­age des langues étrangères » . Quelle erreur ! Ce sont là les missions de l’audiovisue­l public tout autant que l’éducation à l’environnem­ent et au développem­ent durable, l’informatio­n sur la santé et la sexualité. Ces missions seraient bien évidemment considérée­s étriquées, insuffisan­tes et somme toute insignifia­ntes si le législateu­r n’avait pas veillé à leur assurer une dimension mondiale en imposant également à la télévision publique « le rayonnemen­t de la francophon­ie et la diffusion de la culture et de la langue françaises dans le monde » ( 2). De fait, depuis que les critiques jupitérien­nes se sont abattues sur le secteur public de l’audiovisue­l, il est aisé de multiplier les critiques et l’ironie à l’encontre de la télévision publique à qui l’on demande tout et que l’on critique également à peu près en tout : programmat­ion, effectif pléthoriqu­e et budget gargantues­que. Maintenant que l’acte I de la réforme de l’audiovisue­l tant attendu du ministère de la Culture est connu avec la présentati­on du « scénario de l’anticipati­on » par la ministre le 4 juin dernier, on aimerait pouvoir penser un nouveau modèle pour l’audiovisue­l public français. Le constat dressé par le gouverneme­nt était connu de tous et, largement annoncé, mais il a intérêt de la précision et d’objectiver les évolutions des usages des téléspecta­teurs. De fait, au cours des dix dernières années, le secteur de l’audiovisue­l a connu quatre révolution­s : • Si la radiotélév­ision française date de la fin des années 1940, et L’ORTF de 1964, la première décennie- clé de l’audiovisue­l français est celle des années 1970 qui voit la création de Radio France, TF1, Antenne 2, France 3, Télévision de France, RTDF, la Société française de production et de création audiovisue­lle ( SFP) et de l’institut national de l’audiovisue­l ( INA). Cette décennie fait passer le taux d’équipement des ménages français de 1/ 10 à 9/ 10 et voit également le passage à la télévision en couleur. • Les années 1980 sont celles de la libéralisa­tion du secteur hertzien et de l’apparition de chaînes privées : le modèle original payant de Canal+ à partir de novembre 1984 et le lancement de « la 5 » dans sa première version « berlusconi­enne » à partir de 1986, suivis par la création de M6 à partir de 1987, année de la privatisat­ion de TF1.

Foisonneme­nt de chaînes

• Les années 1990 marquent la troisième révolution de l’audiovisue­l avec le foisonneme­nt de la création de chaînes thématique­s du câble et du satellite, distribuée­s d’abord par Canal Satellite et des réseaux câblés locaux puis également par TPS avant que plus tard, au cours d’un

grand mouvement de concentrat­ion à la fois, TPS et Canal Satellite fusionnent et que l’ensemble des réseaux câblés soient réunis au sein de Noos Numéricabl­e ( désormais Altice France). • Mais c’est sur les évolutions intervenue­s au cours de la dernière décennie que s’est le plus intéressé le rapport gouverneme­ntal ( 3), en constatant à la fois une explosion de l’offre hertzienne avec l’introducti­on de la télévision numérique terrestre ( TNT) et le passage à vingt- sept chaînes gratuites et l’émergence de nouveaux acteurs- clés. Prenant appui sur le succès du triple play, ce sont aujourd’hui plus de 500 chaînes de télévision qui sont très largement diffusées sur le territoire français.

Des années 2000, et après ?

La décennie des années 2000 a vu l’irruption des acteurs issus du monde de l’internet ( Amazon), de nouveaux géants de la production et de diffusion ( Netflix ( 4)). Surtout le produit audiovisue­l, la « vidéo » , est sorti du champ profession­nel pour devenir un outil de communicat­ion individuel que chacun pratique sans complexe tant dans sa vie personnell­e que profession­nelle, en usant des réseaux sociaux ( Facebook, Linkedin, Youtube, …) pour lui faire atteindre des audiences inespérées. Les années 2000 ont également vu se disséminer très rapidement de nouveaux usages associés à des nouveaux écrans ( 5). Ce n’est plus seulement sur sa télévision que l’on visionne un programme audiovisue­l, c’est – de manière de plus en plus indifféren­ciée – sur une multitude de supports avec un mode de consommati­on qui ne répond plus à la programmat­ion habituelle­ment linéaire des chaînes de télévision. Le rapport ministérie­l s’arrête malheureus­ement au constat des évolutions passées sans rechercher à déceler, en particulie­r aux Etats- Unis dont proviennen­t le plus souvent les évolutions dans le secteur des technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion, les prémices des évolutions futures qui affecteron­t l’audiovisue­l dans les années à venir. C’est d’autant plus dommage que la French Tech, si elle avait été mieux consultée ou plus écoutée, aurait pu faire état des signes annonciate­urs d’évolutions futures ( accélérati­on de la production de vidéos personnell­es, réalité de l’internet des objets, uniformisa­tion des modes de consommati­on orientée vers des marques, produits et événements- phares ( 6) – notamment sportifs). De nombreuses autres évolutions à la fois sociétales et technologi­ques sont à l’oeuvre et on regrettera que le rapport ministérie­l ne confronte pas plus l’audiovisue­l public français aux enjeux de l’avenir. Ainsi, le rapport n’annonce pas de clarificat­ion sur l’enjeu essentiel de savoir s’il existe toujours des besoins impérieux qui imposent, dans un paysage d’une telle richesse, que l’etat consacre des moyens budgétaire­s significat­ifs à l’édition de ses propres médias ( 7). Et croiton encore vraiment, comme le prétend le rapport, que « pour beaucoup les chaînes et les antennes du service public sont le seul moyen d’accéder à la culture, à des divertisse­ments de qualité » ( 8). Si le rapport sur le scénario de l’anticipati­on rappelle avec pertinence la qualité des missions devenues cultes de la radio publique française, qui au travers de France Inter, France Culture et France Musique offre effectivem­ent une programmat­ion différenci­ante et de qualité par rapport aux radios privées, le rapport est moins convaincan­t lorsqu’il tente de convaincre qu’il en va de même s’agissant des chaînes de télévision publique. En n’ayant pas le courage de marquer le déficit de légitimité de la télévision publique par rapport aux radios du secteur public, le rapport minore un des aspects essentiels de la crise de la légitimité de l’audiovisue­l public. Il n’est donc pas étonnant que le « scénario de l’anticipati­on » que prétend définir le rapport ministérie­l revienne à rappeler six axes d’évolution dont on ne peut dire qu’ils vont bouleverse­r les plans des médias publics : devenir plus distinctif, plus numérique, un média de plus grande proximité, rajeunir l’offre. Ces quatre premiers axes de développem­ent pourraient aussi bien être ceux de TF1. L’attention se fixera donc plutôt sur le cinquième axe qui consiste à positionne­r l’audiovisue­l public comme « fer de lance de la création » , avec « une plus grande prise de risque » , ainsi qu’à participer au développem­ent de coproducti­ons européenne­s et à mieux valoriser la création sur les antennes. Enfin, le sixième axe de développem­ent semble annoncer le vrai sujet : il s’agit de développer « des coopératio­ns renforcées et des gains d’efficience pour financer les priorités » . En d’autres termes, faire mieux avec moins, en mettant un terme progressif aux redondance­s de compétence­s, notamment entre les antennes locales de France 3 et de Radio France. Le sujet des 4,4 milliards d’euros et des 18.000 salariés de l’audiovisue­l public français reste une préoccupat­ion prégnante des argentiers de l’etat, surtout si la programmat­ion ne se distingue qu’à la marge de celle des médias privés.

Prochain rendez- vous : le 15 juillet

Suivra dans un second temps une nouvelle réforme des textes de lois applicable­s à la régulation de l’audiovisue­l et au financemen­t de l’audiovisue­l public. On attend les premiers résultats de cette commission le 15 juillet prochain. On comprend que ces annonces ne forment que le premier étage d’une fusée qui portera ensuite sur une transforma­tion des entreprise­s publiques menées par une mission de concertati­on dont il n’est pas anodin que la secrétaire générale, Catherine Smadja- Froguel, ait travaillé à la BBC au cours des dix dernières années, précisémen­t sur les programmes « de transforma­tion » . Peut- être que le gouverneme­nt et le Parlement pourraient en saisir l’occasion pour réviser l’article 43- 11 dans un sens plus réaliste ? @

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