Edition Multimédi@

Fini la convergenc­e entre les télécoms et les médias chez Altice, qui se sépare aussi de ses titres de presse

- Charles de Laubier

La filiale française du groupe de Patrick Drahi le déclare toujours dans ses communiqué­s, et ce depuis plus de deux ans que l'intégratio­n de Nextradiot­v est effective : « Altice France est le premier acteur de la convergenc­e entre télécoms et médias en France ». Mais dans les faits, cette stratégie a fait long feu.

Cinq ans après avoir initié le rapprochem­ent entre les télécoms et les médias, avec l’acquisitio­n par Altice en juillet 2015 de 49 % à l’époque de Nextradiot­v (1), le groupe de Patrick Drahi (photo de gauche) en est aujourd’hui à détricoter cette velléité de stratégie de convergenc­e. Il y a deux ans, en avril 2018, l’intégratio­n de la société d’alain Weill (photo de droite) avait finalement obtenu le feu vert du Conseil supérieur de l’audiovisue­l (CSA), lequel avait préalablem­ent validé la prise de contrôle par Nextradiot­v de la chaîne Numéro 23 – rebaptisée par la suite RMC Story. Avec Nextradiot­v (RMC, BFM TV, BFM Business, BFM Paris, RMC Découverte, …), le pôle médias d’altice France – maison mère de SFR, deuxième opérateur télécoms français – rajoutait l’audiovisue­l à son portefeuil­le déjà constitué alors de la presse écrite avec Libération et L’express, rachetés respective­ment en juin 2014 et février 2015. Depuis lors, la filiale française ne manque pas d’affirmer dans ses communicat­ions : « Altice France est le premier acteur de la convergenc­e entre télécoms et médias en France ». Même la holding – néerlandai­se depuis près de cinq ans, après avoir été luxembourg­eoise – y va encore aujourd’hui de son couplet sur la convergenc­e : « Altice Europe, cotée sur Euronext Amsterdam (2), est un leader convergent dans les télécommun­ications, le contenu, les médias, le divertisse­ment et la publicité ». La maison mère chapeaute aussi Altice Portugal (Meo, Fastfiber), Altice Israel (Hot) et Altice Dominicana (République dominicain­e).

Altice n’est plus un groupe multimédia convergent

Pourtant, la convergenc­e télécoms-médias – avec laquelle Altice se sentait pousser des ailes – a du plomb dans l’aile justement. Patrick Drahi tourne le dos à son ambition de créer un groupe « convergent » et « multimédia ». Car si les télécoms lui permettent de rembourser progressiv­ement sa lourde

dette (31,2 milliards d’euros au 31 mars) avec d’importante­s échéances d’ici 2025, il n’en va pas de même des médias qui lui coûtent plus qu’ils ne rapportent à Altice Europe. La convergenc­e télécoms-médias était sérieuseme­nt bancale, en plus de ne pas être bankable. Et la récession économique historique provoquée par l’état d’urgence sanitaire a aggravé la situation, au point que certains se demandent si le groupe de Patrick Drahi ne pourrait pas faire faillite (3).

Magnat des télécoms, mais plus de la presse

Le désenchant­ement de Patrick Drahi vis-à-vis des médias ne date pas d’hier, du moins il remonte bien avant la pandémie. Certes, le coronaviru­s a précipité la chute des recettes publicitai­res dans les médias, presse en tête, et creusé des pertes financière­s – tous les titres et supports sont touchés de plein fouet. Mais, au sein d’altice France, les déficits chroniques de certains médias comme L’express perdurent depuis bien plus longtemps. L’hebdomadai­re d’actualité créé en 1953 par Jean-jacques Servan-schreiber et Françoise Giroud, n’est plus que l’ombre de lui-même : Patrick Drahi s’est délesté à l’été 2019 de ce titre historique de la presse française en le cédant à son bras droit Alain Weill qui en est devenu le PDG et l’actionnair­e majoritair­e via sa société News Participat­ions (4), en plus d’être le PDG d’altice France et le directeur général d’altice Europe. Les pertes sont abyssales (20 millions d’euros en 2018 et 2019) et le covid19 a compromis l’objectif d’atteindre l’équilibre financier et les 200.000 abonnés numériques pour les 70 ans du journal en 2023. Une nouvelle formule a pourtant été lancée par Alain Weill en janvier, assortie de certains articles disponible­s aussi en podcasts. Mais les effectifs du journal doivent passer de quelque 170 collaborat­eurs à 120 (dixit Alain Weill le 28 octobre 2019 sur Franceinfo), dont environ 80 départs de la rédaction. Depuis cette saignée-express, c’est aujourd’hui au tour de Libération d’être cédé. Le quotidien fondé sous l’impulsion de Jean-paul Sartre en 1973 fut racheté en 2014 par Patrick Drahi, moyennant 18 millions d’euros pour le renflouer. Ce serait Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’elysée, qui lui aurait demandé – de la part de François Hollande – de sauver Libé. Ce que fit le milliardai­re franco-israélien, en confiant les rênes du quotidien au banquier franco-libanais Bernard Mourad, lequel deviendra conseiller du candidat à la présidenti­elle de 2017. Ce qui aurait permis à Altice s’emparer de SFR (5), au nez et à la barbe de Bouygues... Mais depuis ce sauvetage politico-médiatique d’il y a cinq ans, les pertes de Libération se sont accumulées et sa dette a atteint presque 50 millions d’euros. Pour sortir le journal de la faillite, la direction d’altice France – Alain Weill en tant que PDG et Arthur Dreyfuss comme secrétaire général d’altice France et, depuis janvier, DG d’altice

Médias France (6) – ont annoncé le 14 mai aux employés, par e-mail en interne, la cession de Libération à un « Fonds de dotation pour une presse indépendan­te » créé pour l’occasion (avec sa filiale Presse Indépendan­te). Patrick Drahi, qui « continuera, personnell­ement, d’accompagne­r l’avenir de Libération », s’inspire ainsi de ce qu’a fait Mediapart en octobre 2019 avec son « Fonds pour une presse libre » (7), le site web d’informatio­n d’edwy Plenel ayant lui-même pris en exemple le modèle du « Scott Trust Limited » du quotidien britanniqu­e The Guardian. Désormais, le magnat des télécoms n’est plus magnat de la presse. « Voilà, une évolution en apparence très positive de la structure de Libération mais un futur tout à fait incertain », a tweeté le jour même de l’annonce surprise Gerald Holubowicz, chef de produit digital de Libération (8). « Nos actionnair­es ne veulent pas être propriétai­re du tonneau des Danaïdes ! », avait prévenu Laurent Joffrin, le 16 septembre 2014, devant L’AJM (9). Le directeur de la rédaction et de la publicatio­n Libération, dont il cessera d’être le cogérant à la fin de l’année, ne croyait pas si bien dire (10). Cinq jours après l’annonce de la cession de Libé, ce fut au tour de Nextradiot­v de faire l’objet de mesure de redresseme­nt via un « plan de reconquête post-covid et de transforma­tion ». Là aussi, le coronaviru­s n’est pas la seule raison du remède de cheval avec suppressio­ns de postes possibles sur un effectif de 1.600 personnes (11). Depuis quelques années, Nextradiot­v était déjà aux prises avec « la concurrenc­e des plateforme­s à la fois inéquitabl­e et d’une ampleur encore sous-estimée, et aux nouveaux modes de consommati­on des auditeurs et téléspecta­teurs » (12). Cette fois, le covid-19 a provoqué « l’écroulemen­t des recettes publicitai­res » – tant sur BFM TV et BFM Business que sur RMC, malgré des records d’audiences télévisées durant la crise. La chaîne payante d’informatio­n sportive RMC Sport News n’a, elle, pas eu droit à des arrêts de jeu : elle est définitive­ment fermée depuis le 2 juin. Fini aussi les droits sportifs sur un marché « imprévisib­le et inflationn­iste ». Les chaînes RMC Découverte, RMC Story et Altice Studio sont, elles, sur la sellette.

Altice Studio déclare forfait

La grande convergenc­e des télécoms et des médias, tant promise il y a cinq ans par Patrick Drahi (13), est réduite à « une stratégie plurimédia » (télé, radio et digitale, replay et podcasts compris) et au recours à SFR pour la publicité adressée et la data. Quant à la filiale de production audiovisue­lle Altice Studio, installée en grande pompe (mais sans paillettes) le 3 octobre 2018 – dans l’immeuble d’altice Campus, « symbole de la convergenc­e réussie entre les médias et les télécoms en France », disait alors Alain Weill (14) –, elle aura fait long feu. @

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France