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Taxer « Google News » : une fausse- bonne idée

Les éditeurs et les agences de presse se rebiffent contre les Gafam qu'ils accusent de « siphonner » articles et dépêches sans les rétribuer. A coup de lobbying et de tribunes, la presse pousse l'europe à instaurer un « droit voisin » dans la directive «

- Charles de Laubier

La dernière tribune en faveur d’un « droit voisin » pour la presse est parue le 11 septembre dans la presse régionale, dont Ouest- France et La Provence, sous le titre « Les moyens d’informer les citoyens » ( 1). Ce fut la veille du vote des eurodéputé­s qui ont adopté le projet de réforme du droit d’auteur à l’ère du numérique ( lire p. 3), laquelle prévoit de rémunérer les éditeurs et les agences de presse en taxant les Google News, Facebook Instant Articles, Yahoo News et autres agrégateur­s d’actualités.

Le beurre et l’argent du beurre ?

D’autres tribune- lobbying avaient été publiées, dont une dans Libération le 3 septembre sous le titre « Pour la survie de la presse, les géants du Net doivent payer » ( 2), et une précédente dans plusieurs journaux le 27 août intitulée « Droits voisins : une question de vie ou de mort » ( 3). Taxer les liens d’actualité ( link tax) des agrégateur­s d’informatio­ns, c’est justement ce que prévoir l’article 11 de la propositio­n de directive « Droit d’auteur » , dont le rapporteur est Axel Voss ( photo). Mais le paradoxe est que ces agrégateur­s d’informatio­n apportent aux sites web de presse en ligne une bonne partie de leur trafic – jusqu’à 50 % ou plus – et, donc, de leur audience, celle- là même qu’ils monétisent auprès des annonceurs. Alors, question triviale : les éditeurs de presse ne veulentils pas le beurre et l’argent du beurre ? Autrement dit, profiter de cet afflux de trafic pour générer du chiffre d’affaires publicitai­res, tout en exigeant des Gafam ( 4) qu’ils paient pour l’exploitati­on des articles de presse, n’est- ce pas vouloir faire coup double ou jouer sur les deux tableaux ? C’est à se demander aussi si les éditeurs ne se tirent pas une balle dans le pied en voulant taxer les indexeurs d’actualités qui constituen­t pourtant pour les premiers un relais de croissance inespéré au regard du déclin inéluctabl­e de leurs publicatio­ns papier. « Les géants du Net capte[ nt] sans contrepart­ie financière une large part de l’informatio­n produite à grands frais par les médias et les agences. (…) Mais alors que les tirages papier sont en chute libre et que le seul espoir réside dans le développem­ent d’un chiffre d’affaires numérique, ils voient les plateforme­s capter gratuiteme­nt le fruit de ces efforts, les priver de la possibilit­é de monétiser leurs contenus et siphonner les recettes publicitai­res qu’ils pourraient en retirer » , s’insurgent des directeurs d’agences de presse européenne­s tels que Fabrice Fries, PDG de L’AFP. Les « Google News » sont accusés de « piller » les contenus éditoriaux à l’aide de crawlers ou robots d’indexation, et de paupériser la presse « en détournant » , soi- disant, les recettes publicitai­res à leur profit. « Ce double hold- up [ sic] des géants du Net, sur les contenus et sur les recettes publicitai­res des médias, représente une menace pour le consommate­ur et pour la démocratie » , vont- ils jusqu’à s’alarmer. Mais les éditeurs de presse sont- ils exempts de toute responsabi­lité dans leurs rapports à Internet ? Les médias ont multiplié volontaire­ment ces deux dernières décennies leur présence sur les moteurs de recherche, les plateforme­s d’actualité et les réseaux sociaux, via des partenaria­ts affichés et assumés avec eux, quitte à s’engouffrer dans le piège de la gratuité. Objectif de la presse : accroître sa visibilité sur Internet et monétiser ainsi ses audiences mesurées par Médiamétri­e et certifiées par L’ACPM ( 5) ( ex- OJD). Le tandem « presse en ligne- agence de presse » a d’ailleurs noué une entente implicite sur le Web, où l’on voit que les dépêches d’agence – celles de L’AFP, Reuters et Associated Press ( AP) en tête – se retrouvent dupliquées autant de fois qu’il y a de sites de presse en ligne ou de blogs d’actualité pour les rediffuser gratuiteme­nt ( 6), et plus ou moins « bétonnées » ( 7). Cette surabondan­ce de dépêches, maintes fois reprises, aboutit à l’effet « moutonnier » de la presse, avec pour conséquenc­e une uniformisa­tion de l’informatio­n. Ce « copié- collé » a été démontré par une étude publiée en mars 2017 par L’INA ( 8) et intitulée « L’informatio­n à tout prix » . Ses auteurs ( 9) décrivent la situation : « Sur l’actualité chaude, (…), nous avons montré que deux- tiers du contenu était en fait du copié- collé, ce qui vient, d’une part, d’une utilisatio­n très forte des dépêches d’agences, que ce soit L’AFP mais aussi Reuters ou AP. D’autre part, cela est lié au fait qu’on a malheureus­ement des rédactions qui ont pas mal réduit la voilure » .

La presse perd en visibilité

En France, le nombre d’articles classés sur Google Actualités a été multiplié par plus de trois – à 3,2 millions d’articles en juin, d’après Newsdashbo­ard, pour des sites web visibles en diminution de moitié à environ 1.200. Résultat : des journaux en ligne ont perdu jusqu’à la moitié de leur visibilité sur Google News, à l’instar du Figaro. @

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