INTERVIEWS

Anti-gaspi convaincus, les freegans

Les glaneurs ont toujours existé. Loin des champs, les supermarchés des villes aussi rejettent continuellement des denrées. Une nouvelle espèce de cueilleurs vient les récupérer à la nuit tombée. On les appelle les freegans ou « déchétariens ». Antigaspi convaincus, ils se servent dans les poubelles à leurs risques et périls. Pour en savoir plus, on a rencontré Steeve, freegan consciencieux.

« Dans un local poubelle, pas de tête de gondole ni de prix affichés. Je me fais un avis plus objectif sur la qualité, le goût, ou les apports nutritionnels »

esprit Veggie : tu pratiques « la récup’ » depuis déjà plusieurs années. Quel a été ton déclic pour te lancer ?

anonyme : J’AI DÉCOUVERT LA RÉCUP’ EN ACCOMPAGNANT UN AMI QUI PRATIQUE DEPUIS LONGTEMPS. IL S’AGISSAIT D’UN SUPERMARCHÉ DE TAILLE MOYENNE OÙ NOUS AVONS RÉCUPÉRÉ PLUSIEURS CAGETTES DE NOURRITURE EN TRÈS PEU DE TEMPS. LE DÉCLIC EST PROBABLEMENT VENU CE SOIR-LÀ. IL FAUT LE VOIR POUR LE CROIRE, MÊME APRÈS PLUSIEURS ANNÉES, JE NE M’HABITUE PAS À VOIR LES QUANTITÉS JETÉES. eV : concrètement, comment t’y prends-tu ? as-tu un jour de prédilection, un horaire, un protocole d’action sur place ?

a : JE ME RENDS DANS UN SUPERMARCHÉ DE QUARTIER PAS TROP LOIN DE CHEZ MOI, QUELQUES HEURES APRÈS LA FERMETURE DU MAGASIN. JE M’ÉQUIPE D’UNE LAMPE FRONTALE ET DE SACS. UNE CHOSE IMPORTANTE POUR MOI EST DE RESPECTER L’ENDROIT ET DE NE RIEN DÉGRADER. IL N’Y A PAS D’EFFRACTION, ET QUAND JE REPARS, LE LIEU RESSEMBLE À CE QU’IL ÉTAIT À MON ARRIVÉE. eV : comment sélectionnestu les aliments que tu souhaites emmener ?

a: LE PREMIER TRI EST FAIT EN FONCTION DE L’ÉTAT DU PRODUIT ET DE SA DATE DE PÉREMPTION. JE METS DE CÔTÉ LES ALIMENTS SOUILLÉS, OU DONT LA DATE DE PÉREMPTION EST TROP DÉPASSÉE, NOTAMMENT POUR LES PRODUITS FRAIS. JE RÉCUPÈRE SOUVENT DES LÉGUMES, JE

PRIVILÉGIE LE BIO QUAND IL Y EN A ET LIMITE LES PRODUITS ULTRA-TRANSFORMÉS. MÊME SI C’EST GRATUIT, JE PENSE À MA SANTÉ. JE PRIVILÉGIE ÉGALEMENT LES PRODUITS SECS CAR ILS SE CONSOMMENT SANS PROBLÈME APRÈS LA DATE LIMITE INDIQUÉE. FAIRE DE LA RÉCUP’ M’A AIDÉ À ME DÉTACHER DES ASPECTS MARKE

TING. DANS UN LOCAL POUBELLE, PAS DE TÊTE DE GONDOLE NI DE PRIX AFFICHÉS. JE ME FAIS UN AVIS PLUS OBJECTIF SUR LA QUALITÉ, LE GOÛT, OU LES APPORTS NUTRITIONNELS. eV : Quels sont les produits les plus fréquemment jetés ?

a : BEAUCOUP DE FRUITS ET LÉGUMES. LE RAYON FRUITS ET LÉGUMES EST UNE VITRINE IMPORTANTE POUR LES POINTS DE VENTE. SI LES PRODUITS NE SONT PAS PARFAITS, ILS SONT SOUVENT JETÉS. BEAUCOUP DE PRODUITS DU RAYON SNACKING FINISSENT ÉGALEMENT À LA POUBELLE, COMME LES SANDWICHS TRIANGLES OU LES SALADES. EN PLUS DU GASPILLAGE ÉCOLOGIQUE POUR LA PRODUCTION ET L’ACHEMINEMENT DES PRODUITS S’AJOUTENT LES EMBALLAGES QUI NE SERONT JAMAIS RECYCLÉS. eV : d’après toi, pourquoi des associations ne les récupèrent pas ?

a: IL ME SEMBLE QUE LA LÉGISLATION A ÉVOLUÉ POUR LES SUPERMARCHÉS. À PARTIR D’UNE CERTAINE TAILLE, ILS SONT OBLIGÉS D’ORGANISER UNE COLLECTE. LES MAGASINS DE TAILLES PLUS MODESTES

N’ONT PAS FORCÉMENT LE PERSONNEL OU L’ESPACE POUR GÉRER LES INVENDUS. SI UNE ASSOCIATION RÉCUPÈRE LES INVENDUS, ELLE S’ENGAGE À RESPECTER LES RÈGLES DࡕHYGIÈNE ALIMENTAIRE. CELA DEMANDE DES MOYENS ET PEUT ÊTRE DIFFICILE POUR LES PRODUITS FRAIS EN DATE COURTE QUI DOIVENT ÊTRE CONSOMMÉS OU CUISINÉS LE JOUR MÊME. eV : il y a une part de risque. Qu’est-ce qui te motive à continuer? L’opposition au gaspillage alimentaire, des économies sur les frais de nourriture...?

a : LE SEUL RISQUE EST DE SE FAIRE ATTRAPER. UN PASSAGE EN GARDE À VUE NE DOIT PAS ÊTRE AGRÉABLE. JE NE FAIS PAS DE RÉCUP’ PAR NÉCESSITÉ. MA PREMIÈRE MOTIVATION, C’EST MON

« La récup est une conséquence de la surconsommation et non une solution. »

OPPOSITION AU GASPILLAGE ALIMENTAIRE. JE CUISINE BEAUCOUP ET LA RÉCUP’ M’OBLIGE À COMPOSER DES RECETTES AVEC LES INGRÉDIENTS TROUVÉS. CELA STIMULE LA CRÉATIVITÉ. eV : La plupart des gens ne prend pas ce genre d’initiative parce qu’ils ne sont pas prêts à « faire les poubelles ». dans ton entourage, ta pratique est-elle mal perçue? toi-même as-tu dû passer un cap psychologique pour prendre puis manger des aliments balancés dans des bennes à ordures ?

a : LES ODEURS, L’ILLÉGALITÉ, LA PÉREMPTION DES ALIMENTS…CELA PEUT FREINER, C’EST NORMAL. MES PROCHES SAVENT QUE JE FAIS DE LA RÉCUP’, ÇA A PU LES SURPRENDRE AU DÉBUT MAIS ÇA NE LES CHOQUE PAS. J’AMÈNE SOUVENT DES COMPOTES, DES CHOCOLATS OU MÊME DE LA FARINE À MES AMIS. LORSQU’IL Y A VRAIMENT BEAUCOUP DE FRUITS, JE LES TRANSFORME EN CONFITURES QUE J’AIME BIEN OFFRIR. QUANT AU RISQUE D’INTOXICATION ALIMENTAIRE, IL EST MINIME SI L’ON EST ATTENTIF. ET PUIS, IL FAUT FAIRE APPEL À SON BON SENS, À L’ODEUR ET AU VISUEL DU PRODUIT. UN YAOURT DONT LA DATE EST DÉPASSÉE PEUT ENCORE SE CONSOMMER QUELQUES TEMPS, ON LE SAIT. eV : considères-tu la récup’ comme une solution face à la surconsommation ?

a : LA RÉCUP’ EST UNE CONSÉQUENCE DE LA SURCONSOMMATION ET NON UNE SOLUTION. MA PRATIQUE DE LA RÉCUP’

N’EST PAS UNE SOLUTION GÉNÉRALISABLE À MON SENS. ELLE DOIT ÊTRE ORGANISÉE POUR PROFITER AU PLUS NÉCESSITEUX. IL Y AURA TOUJOURS DES INVENDUS. LA QUESTION EST DE POUVOIR RÉCUPÉRER AU MAXIMUM LES DENRÉES PAR DES ASSOCIATIONS. L’ÉTAT A SON RÔLE À JOUER POUR CONTRAINDRE LES ACTEURS DE LA DISTRIBUTION À GÉRER PLUS FINEMENT CETTE NOURRITURE. ELLE ME PERMET D’ÉVITER DE FRÉQUENTER LES GRANDES ENSEIGNES ET D’ACHETER DES PRODUITS PAS FORCÉMENT NÉCESSAIRES. JE COMPLÈTE MES TROUVAILLES PAR DES ACHATS DE PRODUITS LOCAUX OU BIO, AUTANT QUE POSSIBLE. NE PAS SURCONSOMMER MÊME EN RÉCUP’. PRENDRE SEULEMENT CE QUI VA ÊTRE MANGÉ OU ÉCOULÉ.