L'ENTREPRISE EST OM
LE MONDE DU TRAVAIL S'OUVRE AU YOGA ET à LA MÉDITATION
De plus en plus de cours de yoga sont proposés aux salariés sur leur lieu de travail. Les dirigeants ne rechignent pas non plus à s'allonger sur un tapis ou à s'asseoir sur un coussin de méditation. Effet de mode ou réel changement ?
Cela fait longtemps que le yoga s'invite dans les entreprises à la pause déjeuner. Mais depuis quelques années, on assiste à une véritable explosion de propositions en tous genres. Des cours classiques d'une heure sur un tapis jusqu'à des micro mouvements à réaliser sans quitter sa chaise : tout est possible. Les managers ne sont pas en reste. Dans les années 1980, leur hiérarchie les inscrivait à des stages de sauts à l'élastique pour tester leur capacité à prendre des risques ou à des stages de survie pour vérifier leur capacité de résistance sous le stress. Aujourd'hui, par exemple, la société Wonderland s'est spécialisée dans l'organisation de retraites de yoga et de méditation d'une semaine sur la « French Riviera » pour les « super achievers » (dirigeant à haut potentiel de réalisation), Akayogi propose des séminaires « digital detox » pour les entreprises, sans oublier les semaines « corporate » axées sur le jeûne et la méditation de pleine conscience… Des sauts à l'élastique et autres batailles de paint-ball à la méditation, quelle évolution ! Mais que s'est-il passé ?
S'il est impossible de quantifier le phénomène, il est facile d'en comprendre l'origine. Le yoga, on le sait, réduit considérablement le stress et l'anxiété. Or, si le travail peut être une source d'épanouissement, il est aussi souvent évoqué comme la cause de stress, de souffrances psychiques et physiques et même, pour certains, d'épuisement (ou burn-out). Avec, à la clé, l'apparition de pathologies comme les troubles musculo-squelettiques, les lombalgies et les maladies cardio-vasculaires. Selon l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, le stress touche quatre salariés sur dix. En cause ? L'organisation du travail (41 %), les relations avec les pairs et la hiérarchie (31 %) ou encore les changements non souhaités (31 %).
DE TRÈS NOMBREUX BIENFAITS
« La pratique du yoga améliore clairement la vie au travail et peut prévenir les situations de burn-out, souligne Céline Richou, qui donne notamment des cours aux salariés de la SNCF, à Lille. Grâce aux exercices de respiration, les personnes qui pratiquent apprennent à mieux se connaître. Elles réagissent plus calmement quand elles se sentent agressées par un client, car elles sont moins submergées par
leurs émotions. La pratique leur donne de l'assurance, elles parviennent à s'exprimer calmement mais fermement, et osent parler à leur hiérarchie des changements qu'elles désirent ».
Anne-charlotte Vuccino a créé Yogist, une société qui propose des cours de yoga au bureau. Les bienfaits qu'elle constate n'étonneront guère les « yogis ». « Le yoga supprime ou atténue les maux de dos liés à une mauvaise position devant l'ordinateur, les migraines dues aux écrans, les douleurs liées au syndrome du canal carpien. La pratique, ne serait-ce qu'une heure par semaine, réduit aussi le stress. Les salariés se disent plus détendus, ils dorment mieux. Enfin, le yoga crée des liens entre des personnes qui travaillent au même endroit sans se connaître et efface les barrières. Sur un tapis, chacun est confronté à ses limites ».
Et les entreprises, elles, qu'attendent-elles du yoga ? « Les DRH que nous contactons ne formulent pas de demandes spécifiques, même si elles comptent implicitement sur une meilleure capacité de leurs salariés à supporter la pression », explique Fabrice Perreau-saussine, co-fondateur de la société Akayogi, qui propose des cours de yoga aux entreprises. Comme le souligne son associé, Eric Neumand, « de plus en plus d'entreprises ont à coeur d'améliorer la qualité de vie au travail puisque chacun sait qu'un salarié heureux travaille mieux. Or, dans ce domaine, la France est en décalage avec les autres pays européens. D'abord, parce que l'idée d'associer le bonheur et le travail est une préoccupation récente. Ensuite parce qu'on constate souvent qu'il manque un projet commun entre les salariés et leur direction ! Les entreprises auraient tout intérêt à introduire des pratiques comme le yoga et la méditation, non pas pour augmenter les performances, mais pour gagner en cohérence ».
LE YOGA NE REMPLACE PAS UN BON MANAGEMENT !
Frédérique Poirrier est la DRH d'auris, une PME de 50 salariés, à Boulogne-billancourt, spécialisée dans le conseil et la conduite de projets immobiliers. « Nos collaborateurs ont une moyenne d'âge de 29 ans, ils s'investissent à fond et sont soumis à un stress très important. Je me suis demandée comment faire pour qu'ils soient plus sereins face à toutes les décisions qu'ils doivent prendre. J'ai pensé au yoga car je le pratique depuis dix ans ». C'est ainsi que
Yogist a proposé une séance hebdomadaire d'1h15 chaque lundi (lire reportage ci-contre). Chez Danone, à Saint-ouen, c'est aussi l'une des responsables des ressources humaines, Marie-pierre Kahn, qui a pensé au yoga, qu'elle pratique elle aussi. « En novembre 2015, nous avons lancé l'opération Bien-être au siège, qui concerne 350 personnes. Ici, il y a une bonne ambiance mais les collaborateurs travaillent beaucoup, dans un contexte exigeant. Je souhaitais leur apporter une respiration. Le yoga en fait partie, avec la marche nordique et le running ».
On est évidemment tenté de se demander si, face à des univers de travail très contraints et parfois conflictuels, le yoga ne serait pas un alibi qui se contenterait de surfer sur l'air du temps. Cette belle discipline estelle à sa place dans des organisations qui maltraitent parfois leurs collaborateurs ? « En tant que RH, mon objectif est d'améliorer la qualité de vie des salariés, rappelle Marie-pierre Kahn, et celle-ci repose sur des leviers tels que la qualité du management, la juste répartition de la charge de travail, la dynamique des équipes. Le yoga, c'est en plus ». Anne-charlotte Vuccino enfonce le clou : « Si le management est mauvais, le yoga n'y changera rien et les salariés ne seront évidemment pas dupes ! »
YOGA ET PAIX ÉCONOMIQUE
Faut-il en conclure que ni le yoga ni la méditation ne parviendront à changer le monde du travail ? Pas sûr. Certains s'y attellent en tout cas. Quand on interroge Eric Neumand sur ses motivations, sa réponse est sans ambiguïté : « Avec Akayogi, j'ai le sentiment de participer à l'amélioration de la société. Dans certaines entreprises, le yoga peut vraiment faire bouger les lignes, surtout lorsqu'il est pratiqué par les managers, qui peuvent ainsi devenir plus inspirants. » Romary Sertelet en est l'exemple vivant. Auteur de plusieurs ouvrages sur le yoga et le management et directeur de l'usine Aurea, dans la Sarthe, il pratique tous les jours. Il ne s'agit pas de « mettre » ses ouvriers et ses cadres au yoga, mais d'en incarner les valeurs au quotidien. « Je vis en yoga car il m'a transformé. Je réfléchis en fonction de Ahimsa, la non violence, Satya, la vérité, Asteya, l'honnêteté. Cela ne m'empêche pas de prendre des décisions difficiles, mais je ne mens pas à mes collaborateurs, je les écoute et je m'efforce d'être le plus juste possible ». Dominique Steiler dirige la chaire « Mindfulness, bien-être au travail et paix économique » à l'école de management de Grenoble. Il travaille avec de grands groupes autour de la Pleine conscience. « La réduction du stress, l'amélioration de la santé au travail ne sont que des effets secondaires, même s'ils sont les bienvenus, explique-t-il. Ce qui m'intéresse davantage, c'est la possibilité, contenue dans la pleine conscience, d'inventer une autre économie. Une économie qui crée de la richesse, non seulement pour faire du profit, mais aussi pour améliorer le vivre ensemble… Concrètement, je travaille avec des entreprises qui décident d'aider leurs concurrents, parce que la coopération est plus pérenne que la compétition ». Instaurer la paix économique, grâce au yoga et à la méditation… Comme Dominique Steiler le dit lui-même avec un sourire, « c'est un travail de longue haleine et tout reste à faire. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas le faire » !