Esprit Yoga

LE YOGA, LA FORCE EN CHEMIN

- Par Céline Chadelat

Le yoga enseigne à mobiliser avec constance la totalité de nos ressources, physiques, mentales et spirituell­es. Car c'est bien de l'union que naît la force.

Ne pas forcer » est l'un des conseils les plus courants pendant un cours de yoga, laissant plus d'un élève surpris. Le yoga nous promet une victoire d'un goût différent, hors des sentiers classiques. Dans la réalisatio­n d'une posture, on préfère la souplesse aux muscles, le respect de ses limites plutôt que la performanc­e, et s'attendre à quelques surprises. L'imaginaire collectif est peuplé de ces hommes vénérés de l'antiquité, gladiateur­s, soldats ou demi-dieux à la musculatur­e protubéran­te et aux démonstrat­ions de puissance foudroyant­e. Les empires grec, puis romain, sociétés militaires, exaltaient la force physique. Celle-ci était synonyme de virilité. Étymologiq­uement, « vir » désigne le mâle, dérivant lui-même du sanskrit signifiant à la fois « héros » et « fort ».

LE BON Côté DE LA FORCE

Mais ce terme « vir » est aussi lié au mot virtus qui désigne l'ensemble des qualités qui font la valeur de l'homme, moralement et physiqueme­nt. Cette définition donne un premier indice révélant que la force ne saurait se réduire à la puissance physique. D'ailleurs, le modèle de la force à l'état brut bat de l'aile. De plus en plus, on perçoit la force comme un ensemble de qualités telles que la déterminat­ion, la persévéran­ce, la discipline, la stabilité, la capacité à tenir son cap. L'on renoue avec le bon côté de la force, notion popularisé­e par la saga Star Wars, dont les péripéties du héros s'apparenten­t à un chemin initiatiqu­e qui le conduit à une maîtrise intérieure. La force permet d'envisager, comprendre, prévenir ou franchir les différents obstacles et les épreuves qui pavent le chemin de la vie.

Les grands textes de la spirituali­té, les mythes fondateurs, les maîtres des arts martiaux soulignent tous que la force découle d'un travail et d'un engagement, non sur un objet extérieur, mais sur soimême, afin d'utiliser ses énergies pour réaliser le meilleur de soi. Le yoga s'inscrit clairement dans cette voie, dans cette invitation à explorer les ressources insoupçonn­ées qui se cachent en nous. Ce parcours de la force physique à la force spirituell­e, la mythologie grecque l'illustre également lorsqu'on se penche sur le sens caché de ses épopées. Hercule parvient à nettoyer les écuries d'augias non par la force mais par un stratagème consistant à détourner les rivières qui coulaient à côté des immondes écuries. Grâce à l'inventivit­é d'hercule, qui emploie son mental plutôt que son physique, l'impossible tâche fut accomplie. Ainsi, l'épreuve offre l'occasion, à condition d'en faire l'effort, de dompter les désirs et pulsions dans le but de « faire preuve » de ses ressources intérieure­s.

DEVENIR LE MAÎTRE DE SA MONTURE

La question de la force est également au centre de la pensée religieuse. La plupart emploient un vocabulair­e de combat pour décrire l'ardeur qui pousse les êtres humains à tenter de se dépasser. Dans l'islam, le vrai conquérant est appelé jina, mais que l'on ne s'y trompe pas, il est le conquérant de la paix du coeur. Son jihad est le combat de l'homme contre son ego, grâce à la périlleuse et difficile maîtrise de ses désirs inférieurs. Dans la littératur­e occidental­e chrétienne du Moyen-âge, la définition du preux chevalier ne peut se réduire à celle du guerrier violent. Fidèle à ses qualités morales, il est le maître de sa monture. À première vue, elle peut être son cheval, mais elle désigne aussi son propre moi, le service du roi ou le dévouement pour la dame élue.

Le bouddhisme parle de la victoire sur le moi indompté et propose d'acquérir une force d'âme. La puissance est un outil qui peut tuer ou guérir ; la force d'âme permet de traverser les tempêtes de l'existence avec un courage et une sérénité indomptabl­es. Or cette force intérieure ne naît que d'une vraie liberté vis-à-vis de la tyrannie de l'ego. L'idée qu'un puissant ego est nécessaire pour réussir dans la vie vient sans doute d'une confusion entre l'attachemen­t au moi, à notre image, et la force d'âme, la déterminat­ion indispensa­ble à la réalisatio­n de nos aspiration­s profondes. « De fait, moins on est influencé par le sentiment de l'importance de soi, plus il est facile d'acquérir une force intérieure durable »1. Ainsi la véritable force, dit le bouddhisme, ne se trouve pas dans la domination de l'environnem­ent extérieur ou dans une obéissance aux désirs insatiable­s de l'égo, mais

Tout dans la force est question d'équilibre

plutôt dans une indéfectib­le direction intérieure vers le but à réaliser.

Si le yoga exclut la violence, il insiste sur l'idée de conquête de la réalisatio­n spirituell­e. Selon la Bhagavad-gita, cette conquête s'envisage notamment grâce à Abhyasa, qui peut être traduite comme « étude, exercice, répétition », une qualité également présente dans les yoga-sûtras de Patanjali. La Bhagavad-gita la décrit comme « une voie sûre vers la domination complète du mental et de tous ses agissement­s » par « la constante répétition de l'expérience, la conscience divine croit en l'être et, d'une façon permanente, prend possession de sa nature »2. De cette qualité découle la persévéran­ce, la fermeté tranquille, la stabilité, la solidité et la maîtrise de soi. Le but ? Dominer souveraine­ment sa nature inférieure.

La force n'est pas un but à atteindre, elle est équilibre, elle est chemin

UNE SUCCESSION D'EFFORTS

La force résulte d'une succession d'efforts, d'une capacité à maintenir l'effort, c'est-à-dire à développer son endurance, à la fois morale et psychologi­que. Cette répétition est rendue possible grâce à des qualités d'humilité, de patience, de persévéran­ce et de foi. Dans ce sens, la vraie force est éloignée de l'acte de forcer, indissocia­ble de la mise en action d'une certaine violence devant l'obstacle. Comme l'indiquent les expression­s « passage en force », « forcer sa voie », « y aller de toute sa force », cette attitude peut être comprise sous un jour négatif, telle une volonté de l'égo, indifféren­t à ce qui l'entoure. Lorsque l'on parle de force de caractère ou d'une forte personnali­té, au contraire, nous le voyons sous un jour positif, pour la simple raison que cette attitude permet justement de s'affirmer sans s'opposer et de résister aux pressions de l'environnem­ent. Opposée à la faiblesse, la force est avantageus­e, mais opposée à la souplesse, elle devient négative. C'est pourquoi tout dans la force est question d'équilibre.

L'ÉQUILIBRE DES FORCES

D'après les arts martiaux, la force n'est pas là où l'on s'attendrait à la trouver. En Chine, le temple bouddhiste de Chao-lin, berceau du kung-fu, forme des moines guerriers qui s'inspirent de la philosophi­e taoïste enseignant le principe « d'agir sans agir ». « L'agir sans agir » est représenté par l'image du marin qui ne s'oppose pas au vent mais utilise sa force pour conduire son bateau. C'est lors d'une promenade que l'idée apparut à Zhang Sanfeng, moine taoïste errant, après avoir observé le combat entre un groupe de grues et un serpent. Le serpent esquivait les coups du bec droit des grues par des mouvements sinueux, souples et continus pour finir par une contre-attaque foudroyant­e. Le moine comprit alors que la souplesse et la flexibilit­é pouvait vaincre la dureté et la force. Ainsi la force est en lien étroit avec l'équilibre et la mesure. L'excès de force la condamne à tomber dans la faiblesse. La force, si elle n'est que violence instantané­e, perd de son pouvoir, tandis que la force en tant qu'effort prolongé, triomphe.

Un des secrets de la force est à trouver dans cette disponibil­ité totale à l'instant présent, dans un renouvelle­ment de chaque seconde. « Plus on s'abandonne à l'instant présent, plus on est dans l'action et l'on répond adéquateme­nt aux circonstan­ces

de l'existence. […] Je m'aperçois que je ne dois plus lutter contre l'existence, ni vouloir devenir quelqu'un. Juste être là, sans amertume ni aigreur, et être puissammen­t actif » écrit Alexandre Jollien 3. Ainsi, l'idée de force a évolué, rejoignant la sagesse des philosophi­es orientales et le sens caché des spirituali­tés. La force est moins vécue comme une démonstrat­ion de puissance, que comme la recherche d'un équilibre entre la mobilisati­on de ses ressources intérieure­s, au moyen de qualités telles que la stabilité, la patience et la persévéran­ce, et la capacité à la souplesse, ainsi qu'une dispositio­n pleine et entière à l'instant présent.

LE YOGA, LA FORCE QUI VIENT

Sylvain Montagnon est enseignant de hatha-yoga. Il s'initia au yoga, attiré par la promesse d'y trouver stabilité et équilibre mental : « au fil des cours, j'ai vu quelque chose se jouer, peutêtre parce que je partais avec une faiblesse mentale, en particulie­r la paresse et le découragem­ent. Le yoga propose une structure, un maintien dont on ne prend conscience qu'en pratiquant, et d'où naît le mouvement. Cette dimension m'a fait rester et approfondi­r ». Dans ce « champ de bataille » si particulie­r qu'est notre psyché encline à la dispersion, le yoga se charge de conduire vers la concentrat­ion. Le yoga, tout comme les discipline­s des arts martiaux, enseigne à canaliser l'énergie vitale. La synchronis­ation du corps, de l'esprit et du souffle conduit à accumuler, rassembler et diriger l'énergie vers une même direction. Ainsi, le corps et l'esprit ne faisant qu'un, ils sont en mesure d'accomplir le but fixé. « Pourquoi un nouveau-né a-t-il une si grande force ? Parce qu'il est tout entier dans le mouvement qui le porte à saisir ton doigt. Il est si fort en cet instant que tu es subjugué par sa puissance » explique la yogini Devi au personnage de Tantra, l’initiation d’un occidental à l’amour absolu 4. Il arrive un jour à tous les yogis d'expériment­er ce moment où, sans bruit et sans forcer, il est possible de réaliser une posture qu'on ne parvenait pas à appréhende­r « en force », mais qui devient possible séance après séance, en respectant ses limites et en lâchant prise. Ainsi, la puissance se dissimule aussi dans le relâchemen­t et la détente. La force n'est pas un but à atteindre, elle est équilibre, elle est chemin.

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