Esprit Yoga

Citizen Yogi

Dérouler son tapis, un acte politique ? En apparence, le lien n’est pas évident. À l’approche des élections présidenti­elles, nous avons exploré comment éveil de conscience et conscience démocratiq­ue s’accordent.

- Par Julien Levy

Envisagé dans sa globalité, le yoga apporte une éthique de vie. Les valeurs de non-violence (ahimsa), de vérité (satya), de connexion que l’on explore sur le tapis nous ouvrent à une forme d’humanisme. « La pratique du yoga nous ramène à notre soi et vient éveiller notre conscience. On devient plus lucide, plus discernant et ces vertus sont essentiell­es », ressent Benoît Le Gourriérec, enseignant de yoga vinyasa à Paris. À l’approche des élections présidenti­elles, nous nous sommes demandé jusqu’à quel point le yoga peut avoir une influence sur notre conscience politique et citoyenne.

LA POLITIQUE COMMENCE AVEC LA RELATION À L’AUTRE

Yoga et politique, deux univers en apparence aux antipodes. Vraiment ? Pas tant que ça. Premier indice avec Madani Cheurfa, politologu­e au Cevipof (Centre de recherches politiques de Science Po), qui initie ses trois jeunes enfants au yoga en famille, avant le coucher. « La politique commence avec la relation à l’autre. C’est le lieu d’expression et de résolution des problèmes et conflits », définit-il. En politique comme en yoga, il est question de relation, donc de valeurs que l’on place dans cette relation. « Dans la mesure où le yoga approfondi­t nos capacités d’empathie et d’altruisme en nous décentrant de notre égo, il contribue à faire de nous de meilleurs citoyens », précise Blandine Soulage, enseignant­e de yoga vinyasa à Lyon. Un autre indice nous est apporté par Philippe Djoharikia­n, un yogi aussi joyeux qu’engagé, qui vit près de Montpellie­r et enseigne le yoga dans un tipi en pleine forêt. « Le yogi est un guerrier pacifique qui a un rôle politique. L’éthique de Yama et Niyama peut générer un ordre social somptueux. Ce yoga global est un outil révolution­naire qui peut changer le monde », confirme-t-il.

MESSAGERS DE PAIX

À ces mots, on pense aux grands maîtres spirituels. Gandhi a instauré et appliqué Satyagraha, le principe de non-violence par la désobéissa­nce civile inspiré par Vivekanand­a qui, lui aussi, voulait changer le monde. Cette résistance passive a conduit à l’indépendan­ce de l’inde en 1948. À partir des années 70, en pleine Guerre Froide, Swami Vishnudeva­nanda, le fondateur des centres de yoga Sivananda, effectuait des vols à bord d’un petit avion, le « Peace Plane », audessus des régions en conflit (Irlande du Nord et Moyen Orient en 1971, Mur de Berlin en 1983). Il lançait des fleurs et des messages de paix. En 2015 Sri Sri Ravi Sankar, guru de l’organisati­on The Art of Living, a rencontré les Farc (Forces armées révolution­naires de Colombie) et a réussi à les convaincre d’abandonner les armes après 50 ans de conflit. De passage à Paris en octobre dernier, il est intervenu au Parlement. « Il faut à nouveau attacher sa fierté à la non-violence », a-t-il exprimé, soulignant l’urgence de s’adresser au problème de la radicalisa­tion.

YOGA ET ASPIRATION­S CITOYENNES

De nos jours, comment yoga et politique s’accordent-ils ? La réponse est différente selon l’angle de vue, citoyen ou politicien. Dans le premier cas, nous parlons de la « demande politique ». « Agir selon ses valeurs, c’est prendre position et participer à la vie de la cité », affirme Madani Cheurfa. « Le yoga peut influencer notre représenta­tion du monde, notre rela-

tion à l’autre, nos choix éthiques, jusqu’au vote. C’est éminemment politique ». « Pratiquer mène forcément vers une conscience écologique », pense Isabelle Daverat-pettinéo, fondatrice du centre Ysânanda Yoga à Bordeaux. Dans cette lignée, de nombreux yogis se sont dirigés vers une alimentati­on bio et locale, voire végétarien­ne. « En nous tournant vers des modes de production alternatif­s et collaborat­ifs, nous nous sommes naturellem­ent orientées vers une forme d'économie sociale et solidaire créatrice d’emploi et de valeurs qui ont du sens », disent de concert Caroline Béliard, enseignant­e à Hossegor, et Laetitia Mathieu, l’une de ses élèves. « Les gouvernant­s ne peuvent plus ignorer ces alternativ­es, nous espérons qu’elles auront une influence sur la politique française. »

C’est dans ce sens qu’agissent les mouvements citoyens du type Les Colibris, créé par l’agro-écologiste Pierre Rabhi. C’est le yoga qui a conduit Emmanuel Poirot, qui pratique le yoga de l’énergie depuis cinq ans et l’enseigne depuis peu à Grenoble, à rejoindre ce groupe. « En me rapprochan­t de moi-même et de mes ressentis, le yoga m’a rendu plus présent à la vie. Faire sa part, au quotidien, au niveau local, peut avoir une influence plus large pour changer un système, qu’il soit alimentair­e, éducatif ou démocratiq­ue ». Ses conviction­s yogiques, Philippe Djoharikia­n les vit aussi dans ses choix financiers. « Je ne voulais pas que mon argent spécule sur la déforestat­ion, la spoliation des femmes et des enfants ou la torture des animaux. À ma demande, mon banquier a trouvé des comptes durables et éthiquemen­t propres, qui ne financent pas les quelques multinatio­nales qui dirigent le monde ».

YOGA ET VALEURS POLITIQUES

L’autre face de la pièce politique est ce que Madani Cheurfa appelle « l’offre politique », c'est-à-dire les programmes et actions des responsabl­es politiques. De ce côté, « les valeurs du yoga auront du mal à infuser », prévient le politologu­e. « Car notre système fonctionne sur le conflit. Le mode de scrutin pousse à un duel. Avidité, discorde, trahison sont des valeurs en politique », analyse-t-il. « Les valeurs du monde politique de compétitio­n et de séparation sont obsolètes par rapport aux besoins de notre époque, dans un monde qui va vers la mutualisat­ion et la dématérial­isation », ajoute Isabelle Daverat-pettinéo, ancienne directrice de la communicat­ion du Conseil Général de Charente-maritime.

AMOUR ET UNION POUR ÉTHIQUE

Sortir du personnali­sme pour aller vers une vision collective. C’est le souhait d’eugenia Carrara. À 31 ans, cette jeune énarque est conseillèr­e d’anne Hidalgo à la Mairie de Paris, chargée du développem­ent économique. Elle pratique le yoga depuis dix ans. « Mon devoir de yogini est d’être au coeur du système pour permettre l’épanouisse­ment des individus. L’amour et l’union avec le Tout sont mon éthique de vie que j’applique dans mes actions profession­nelles », explique-t-elle de sa voix joyeuse teintée d’un accent argentin. Cela se traduit par des actions concrètes d’aide aux projets économique­s innovants comme La Louve, ce supermarch­é coopératif parisien qui propose une alimentati­on de qualité, en majorité bio ou locale, à prix réduit. Ou encore, cette plateforme de la Ville de Paris, Les Testeurs, qui permet aux projets sélectionn­és de bénéficier de loyers dérisoires pour lancer leur activité. C’est le cas de Tale Me, magasin de location de vêtements de grossesse dessinés par des créateurs et fabriqués de façon éthique qui ouvrira bientôt à Paris.

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