SE RÉALISER, SE LIBÉRER
Se libérer des afflictions, de la souffrance, de la maladie… N’est-ce pas le but ultime du yoga, voie de sagesse par excellence ? C’est en tout cas ce dont témoignent de nombreux pratiquants qui ont en fait l’expérience.
dDans les Yoga Sutras de Patanjali, texte fondateur de la discipline, 34 sutras ou aphorismes évoquent comment accéder à moksha, la liberté suprême ou la délivrance finale de l’âme du cycle des naissances successives. Bien sûr, ce n’est pas forcément l’objectif recherché par une majorité d’élèves ou d’enseignants. Lorsqu’on vient au yoga, c’est généralement pour obtenir un mieux être sur le plan physique ou psychique, chasser le stress ou apaiser un mental en roue libre. Avec une pratique régulière, cependant, on s’aperçoit vite que les bienfaits sont réels. Un changement s’opère, en profondeur, et peu à peu on se libère de ce qui ne nous convient plus.
CYRIL VOCI
Cyril Voci (cyrilvociyoga.wixsite. com) en est sans doute le parfait exemple. En 2011, ce chef d’équipe au sein d’un célèbre assureur spécialisé dans le voyage frôle le burn-out, sous une charge de travail grandissante et la pression de sa hiérarchie. Il décide alors de quitter la vie en boîte et, après un bref passage à vide, se met au yoga. D’emblée, la discipline le séduit. Il laisse tomber sa psychanalyse et se lance à fond dans la pratique, une heure et demie tous les jours à la maison, en plus d’un cours hebdomadaire d’ashtanga vinyasa. « Pour moi, le yoga a été une transformation complète. À tous les niveaux. Il m’a donné plus d’assurance, m’a ouvert sur les autres et sur le monde. Avant, j’étais quelqu’un d’assez renfermé et plutôt timide. Maintenant, lorsque je rencontre des amis perdus de vue à la suite de mes problèmes personnels, ils me demandent, tous, ce qui s’est passé. Ils me disent que j’ai changé, que je suis rayonnant ».
Car la vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille pour Cyril. D’une jeunesse difficile, il avait gardé une colère sourde et puissante qui le rongeait de l’intérieur. Pour tenter d’y échapper, il s’était réfugié dans la drogue. Drogue douce, certes, mais sa consommation constante s’était transformée au fil des ans en une solide addiction qui l’isolait chaque
jour davantage du reste du monde et ne faisait qu’alimenter son mal-être et sa rage intérieure. En quelques mois, le yoga lui a donné la force de tout arrêter. « Pour moi, le yoga a vraiment été libératoire, cathartique. J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie : psychanalyse, danse des cinq rythmes, butô… Je suis aussi musicien et musicothérapeute, mais franchement je n’ai pas trouvé mieux que le yoga. Il m’a aidé à transcender tous mes problèmes. Avant, j’avais le sentiment de végéter, de vivre téléguidé, sur des rails. Le yoga m’a permis de me reprendre en main, ça a été comme une renaissance ». Tous ces bienfaits, Cyril a eu envie de les transmettre à son tour. Après avoir suivi plusieurs formations, dont une à Rishikesh en Inde, il enseigne désormais le yoga à Paris. Et c’est plus particulièrement dans le cours hebdomadaire qu’il donne bénévolement à l’association Acceptess-t qu’il a pu voir à nouveau la magie opérer. « Avec les personnes transgenres, les effets sont immédiats. La plupart ont des conditions de vie vraiment très difficiles, beaucoup sont des prostituées, avec des parcours compliqués, rejetées par leurs familles, par la société, insultées, tabassées… On n’a pas idée de ce qu’elles vivent. Elles vont vraiment mal quand elles arrivent en début de cours, alors qu’à la fin elles sont détendues, apaisées, certaines même en arrivent à pleurer, mais pleurer de bonheur ! Le yoga leur apporte un bien-être physique, bien sûr, mais surtout moral : il fait baisser leur niveau de stress et les libère de leurs peurs. Il faut savoir que dans la rue elles sont une cible, sans arrêt exposées au danger, alors que le cours leur permet de s’ouvrir, de se sentir incluses dans la société, et non plus considérées comme des bêtes curieuses ».
Cyril Voci cyrilvociyoga.wixsite.com
NINA GUENEAU
Le cas de Nina Gueneau est tout aussi spectaculaire. Le ciel lui est bel et bien tombé sur la tête lorsqu’en 2014 les médecins lui diagnostiquent un lupus systémique. Arrêt de travail, invalidité, divorce, déménagement, la vie de cette sage-femme lilloise est littéralement bouleversée. Certains jours, la maladie l’oblige à rester allongée toute la journée. C’est là, dans son lit, que cette pratiquante de yoga commence à méditer et à imaginer un stratagème pour continuer à pratiquer. Car, bien souvent, la fatigue et la douleur sont telles qu’il lui est impossible de se mouvoir. « Je me visualisais dans les postures : l’arbre, le demi-pont, les torsions… Et quand je me sentais un peu plus forte, je faisais les mouvements, toujours dans mon lit. J’ai aussi cherché sur Internet des vidéos de relaxation et de méditation ». Durant ses rémissions, Nina se précipite dans des centres pour prendre des cours : viniyoga, yoga nidra, hatha yoga, Iyengar… jusqu’à ce qu’elle entende parler du D.U. de l’université de Lille2 (voir Esprit Yoga n°32) et décide de s’y inscrire. Elle voit bien que la pratique lui apporte un soulagement réel, alors elle veut comprendre. Et l’objectif de cette formation est précisément de fournir aux étudiants les outils nécessaires pour comprendre et adapter la discipline à un public aux besoins spécifiques. Au cours de leurs études, les étudiants doivent effectuer un stage à visée thérapeutique.
« Avant, j’avais le sentiment de végéter, de vivre téléguidé, sur des rails. Le yoga m’a permis de me reprendre en main, ça a été comme une renaissance »
Cyril Voci
« Au départ, je pensais m’adresser à un public de femmes enceintes, mais j’ai été mise en contact avec le responsable d’un centre anti-douleur qui, très intéressé par ma démarche, m’a tout de suite demandé quand je commençais ». Qui mieux qu’elle pouvait comprendre ce que ressentaient ses élèves souffrant de douleurs chroniques ? « Quand on a mal, on compense beaucoup. Dans la posture du chien tête en bas par exemple, si on a mal à l’épaule droite, on fait le mouvement avec l’épaule opposée. Du coup, on crée des douleurs dans l’axe opposé du corps. Je me suis dit que je devais aider mes élèves à retrouver la justesse dans leur corps en souffrance et leur donner la sensation juste de la posture. Pour ça, le yoga Iyengar m’a beaucoup apporté ».
Aujourd’hui, la jeune femme poursuit son apprentissage. Elle continue aussi à donner ses cours au centre anti-douleur. On lui a même confié un nouveau cours pour femmes enceintes, en lien avec les douleurs de l’accouchement. Une chose est sûre : le yoga a transformé sa vie. « Le yoga a été pour moi une vraie libération. Une triple libération même ! D’abord, il m’a permis d’accepter et de dire ma maladie, car au départ j’avais beaucoup de mal à dire aux autres que j’étais malade. Ensuite, il m’a libérée de mes souffrances. Je sais maintenant comment gérer la douleur quand elle arrive. Et puis, les cours que je donne m’apportent énormément. Grâce à eux, j’ai compris, en fait, que je me suis réalisée dans la maladie. C’est fou, non ? Se sentir réalisée tout en étant malade ! Ça m’a donné envie de transmettre tout ce que j’ai compris et travailler désormais dans cette direction ». Une libération qu’elle retrouve aussi chez ses élèves, qu’elle voit de plus en plus apaisés au fil des séances. Et de conclure : « Pour moi, le yoga a été non seulement une libération, il m’a aussi amenée à ma réalisation ».
AMINA ANNABI
Sur une note plus légère, le yoga du son a lui aussi des effets libérateurs puissants. Amina, chanteuse et praticienne, le constate régulièrement dans ses ateliers. Un jour, elle reçoit un jeune Anglais venu la consulter en urgence depuis Londres. « Non seulement il s’était mis à bégayer subitement une semaine avant la conférence qu’il devait tenir, mais en plus sa voix n’arrêtait pas de détimbrer. La séance a duré quatre heures. Il était tellement en stress qu’il a fallu d’abord l’apaiser pour ensuite venir débloquer chaque chakra. Au fur et à mesure qu’il libérait des émotions enfouies depuis l’enfance, il s’est rendu compte de n’être pas en adéquation avec une partie du texte qu’il devait prononcer. Il a pris de la distance par rapport au contenu et, peu à peu, avec beaucoup de pranayama, de mantras, de mouvements et de sons, il a cessé de bégayer et retrouvé sa voix ». Pour Amina, il ne fait aucun doute que le yoga, et plus particulièrement le yoga du son, permet de se défaire de tout ce qui n’est pas soi, de toutes les influences et projections accumulées au fil des ans sous le poids de la famille, des traditions, de la société... « Le yoga m’a appris à réintégrer mon corps, à me relier à mon être profond plutôt qu’à mes émotions et mon mental. Me relier à mon rêve plutôt qu’au rêve des autres. Avec le yoga du son, quand on travaille chakra par chakra, on effectue un retour vers soi, un voyage intérieur. Le son te permet de vibrer par toi-même et d’avoir une autre compréhension de toi. Alors forcément ta vie change. Plus tu es à l’écoute de ton ressenti et de ce qui est juste pour toi, moins tu vas te retrouver dans des histoires qui ne sont pas les tiennes. Cela donne forcément un autre sens à ta vie ».
Amina Annabi, www.lavoixdulotus.com
« Le yoga m’a appris à me relier à mon rêve plutôt qu’au rêve des autres »
Amina Annabi « Pour moi, le yoga a été non seulement une libération, il m’a aussi amenée à ma réalisation »
Nina Gueneau