VERS UNE IMPERFECTION HEUREUSE ?
L’imperfection n’est pas un crime, mais une chance à saisir, une occasion de développer la tolérance à l’échec et une possibilité de s’affranchir de la frénésie de l’excellence
Une photographie de Claudia Cardinale tourbillonnant sur un toit de Rome en 1959 a été choisie pour illustrer l'affiche officielle de la 70e édition du Festival de Cannes. L'actrice italienne, magnifique, aurait pourtant été jugée pas assez mince par les créateurs de l'affiche qui ont modifié le cliché initial par un certain nombre de retouches visant à affiner sa silhouette. Le problème de la représentation faussée du corps humain dans la publicité constitue un exemple d'un ultra-perfectionnisme obsédant et oppressant qui peut engendrer de grandes souffrances psychologiques. Si la perception de ses propres limites et fragilités est saine et normale, ne pas se trouver « assez » — bien, mince, beau, riche ou intelligent — peut se transformer en incapacité à tolérer l'imperfection intrinsèque à l'être humain et devenir alors une source de souffrance et d'anxiété.
Une dimension fondamentale du bouddhisme zen consiste à embrasser l'imperfection et même à l'honorer comme une étape conduisant à l'illumination (satori). Il s'agit du kensho ou « expérience éclairante » qui peut se décrire comme « voir sa véritable nature ou essence ». Au fil des siècles, cette notion a évolué, inspirant un mouvement esthétique, le « wabi-sabi », qui valorise tout ce qui est authentique en découvrant la beauté des choses imparfaites, éphémères et modestes. Sans devenir bouddhistes, les designers contemporains savent que le zéro défaut, la perfection lisse et insipide, n'est plus de mise, que l'accident fait souvent le charme d'un objet et crée la pièce unique.
Une pratique d'« im-perfectionnisme » transformatrice pourrait être de chanter sous la douche — aussi et surtout si on chante faux — I Am What I Am de Gloria Gaynor. Accepter l'imperfection ne consiste pas à se résigner à la médiocrité mais à déployer le courage de se regarder tel que l'on est vraiment et de se dire : « Je suis assez ». La sagesse réside dans savoir distinguer entre vivre avec son imperfection sans renoncer à s'améliorer et s'exténuer à vouloir la faire totalement disparaître. L'imperfection n'est pas un crime, mais une chance à saisir, une occasion de développer la tolérance à l'échec et une possibilité de s'affranchir de la frénésie de l'excellence. C'est grâce à elle que nous pouvons cheminer vers une vulnérabilité joyeuse et une imperfection heureuse. N'avons-nous pas appris dans notre enfance que celui qui embrasse une grenouille peut réveiller un être magnifique ? Adopter la vulnérabilité n'est pas confortable, certes, mais n'est pas si difficile non plus. Cela aide à vivre plus léger, débarrassé de cette étouffante obligation de perfection.
Il y a une fissure en toute chose. C’est ainsi qu’entre la lumière.»