TAPIS & DÉPENDANCES
La peur, le doute, le choix
En lisant cette phrase, j'ai frissonné. Associer la mort au yoga me semble a priori contradictoire et même dérangeant. C'est une métaphore philosophique, diront certains. Le yoga nous apprend à laisser mourir l'idée fausse que l'on a de soi. Je vous l'accorde, d'un point de vue intellectuel, la quête d'authenticité, c'est vendeur.
Parlons chair. Il y a quelques temps, j'ai décelé une boule de chair dans ma poitrine. Dans ma tête, largué comme une bombe H, le mot cancer a commencé à clignoter. J'ai pleuré. Je me suis reprise. Je me suis dit qu'il fallait consulter mon gynécologue. Avoir un diagnostic éclairé. Ne pas tirer de conclusions hâtives. C'est dans mon entourage de yoga, plus que dans mon entourage intime, que des femmes m'ont confié avoir été traitées pour des cancers du sein ; certaines m'ont parlé aussi de leur mastectomie. Ces confidences se sont souvent faites en aparté, après un cours. Une femme m'a dit un jour que nos cours de yoga l'avaient réconciliée avec son corps. Ça m'avait tellement émue. J'avais alors réalisé quelque chose qui m'a grandie en tant qu'enseignante de yoga : la place qu'occupent sur nos tapis les blessures invisibles et la lutte intime pour la renaissance.
C'est en repensant à ces femmes que je me suis posée une question en rapport avec la grosseur dans mon sein : si le diagnostic penche du côté du crabe, est-ce que j'aurais, comme elles, le courage de m'engager dans un traitement ? Des personnes chères à mon coeur ont été anéanties par les tentatives de traitement de leur cancer. On a tenté d'adapter des exercices de yoga et de méditation à leur organisme qui encaissait tant bien que mal le traitement. Je les ai vu devenir l'ombre d'elles-mêmes avant de disparaitre complètement. Combien m'a été intolérable cette impuissance que j'ai ressentie en accompagnant ces personnes en souffrance !
Mon corps et moi sommes amis depuis longtemps. On en a essuyé des tempêtes ensemble ! La perspective de traverser un nuage radioactif est toutefois une autre histoire. On dit que le corps fait tout son possible pour nous maintenir dans un état de santé optimal. C'est de moi dont je doute, pas de lui. A l'heure où je vous écris, je ne sais pas ce qu'il en est. J'attends les résultats d'une biopsie qui aura lieu dans quinze jours. Le tumulte dans ma tête s'est un peu calmé. Je ne vais pas forcer la marche des examens cliniques. Je vais redoubler d'égards envers ma mécanique corporelle, de douceur envers mon entourage. Je vais me ressaisir. Quels que soient le diagnostic et les conséquences, la peur et le doute doivent mourir. Il me faut rassurer mon animal.
On fait du yoga pour» apprendre à mourir