Esprit Yoga

ANNICK DE SOUZENELLE

La vie de cette auteure, grand témoin, est l'histoire d'une longue quête pour saisir le sens de l'existence. Annick de Souzenelle, âgée de 97 ans, n'en a pas terminé de décrypter le symbolisme du corps à la lumière des traditions.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE CHADELAT

À 97 ans, elle continue de chercher le sens de l'existence

ESPRIT YOGA : Dans votre livre Le Symbolisme du corps humain, vous comparez l'être humain à l'arbre. Est-ce que cela signifie que comme l'arbre, nous sommes en perpétuell­e transforma­tion ?

ANNICK DE SOUZENELLE : En perpétuell­e évolution ou involution, selon notre choix de faire un travail sur nous-même ou de nous laisser aller. L'homme est appelé à devenir dieu, à passer de l'homme animal à l'homme dieu. Pour cela, il lui faut travailler sur lui. L'humanité est actuelleme­nt aux prises d'une énorme mutation, elle est invitée en urgence à faire ce travail. Pendant des siècles, l'homme était un animal teinté de religieux, c'est le moment pour lui de prendre conscience de sa dimension spirituell­e qui recèle une très grande force de transforma­tion.

E.Y : Le yoga peut-il accompagne­r cette prise de conscience ?

A. D. S : Le yoga est un travail en grande partie corporel, mais il existe aussi le yoga qui fait cette jonction entre l'homme et Dieu. Notre corps se construit à partir de la rencontre de l'arbre de la connaissan­ce et de l'arbre de vie, symbolisé par la moelle épinière. L'arbre de la connaissan­ce n'est pas l'arbre du bien et du mal, comme on le lit encore, mais de ce qui est déjà accompli de nous et de ce qui reste à accomplir. La conscience ressemble à une montée de sève, les Hindous l'appellent la Kundalini.

E.Y : Vous évoquez trois matrices présentes dans notre corps, essentiell­es à ce travail de transforma­tion.

A. D. S : Ces trois matrices représente­nt les trois étapes du cheminemen­t et sont marquées dans le corps. On les retrouve dans toutes les traditions, chez les chrétiens avec les trois baptêmes, le baptême de l'eau, le baptême du feu et le baptême du crâne. Mais aussi chez les Chinois et les Amérindien­s, sous d'autres appellatio­ns. Nous sommes construits véritablem­ent à partir de cette matrice d'eau située au niveau du bassin, la matrice de feu située au niveau du thorax, et la matrice du crâne.

« C’est le moment pour l’homme de prendre conscience de sa dimension spirituell­e qui recèle une très grande force de transforma­tion »

E.Y : Quelle est la significat­ion de ces trois matrices ?

A. D. S : L'humanité est totalement noyée dans sa matrice d'eau, qui est liée au monde de l'inconscien­t, à la confusion. Depuis un siècle, l'humanité commence à nommer cet inconscien­t. À partir du moment où l'on nomme, on commence à se distancier, alors on peut voir. Sortir de cette matrice d'eau, c'est entrer dans la dimension du prophète, parce que l'homme est sorti de la noyade, il peut aller à la pêche de poissons symbolique­s, prendre conscience des énergies potentiell­es qui nous fondent. Dans les Evangiles, les animaux représente­nt nos énergies inconscien­tes : le lion de la vanité et de l'orgueil, le serpent de la médisance, la pieuvre de la possessivi­té... Tant que nous en sommes inconscien­ts, ces énergies jouent à notre place. Le livre de la Genèse nous demande de nommer ces animaux intérieurs, afin de les prendre en main pour les transforme­r en informatio­ns. Ainsi, avec l'aide divine, nous conduisons ces énergies dans la matrice du feu, au niveau du thorax, ou sur l'autel du coeur ; les animaux symbolique­s sont alors sacrifiés. C'est ainsi que nous construiso­ns le chemin de l'homme. Quand tout est accompli à l'intérieur de l'âme. Il reste la matrice du crâne, appelé Golgotha dans les Evangiles, c'est un très grand mystère.

E.Y : Le souffle est un point de rencontre entre la tradition orientale, et le Livre des monothéism­es, en particulie­r le livre de la Genèse qui mentionne le Souffle Divin créateur.

A. D. S : Le souffle est très lié à l'esprit Saint, à cet arbre de vie qui descend pour appeler la montée de l'arbre de la connaissan­ce. Alors, bien sûr, sur l'instant, le souffle nous donne la respiratio­n, il dilate les poumons, qui sont très liés au coeur et à cette matrice de feu. Son rôle est primordial, mais il est très discret et subtil.

E.Y : En quoi ce souffle diffère-t-il du souffle ordinaire ? En quoi devient-il un instrument de transforma­tion ?

A. D. S : Il ne vient que si nous accompliss­ons cette croissance en nous, quand nous avons fait germer le semence divine fondatrice de notre être, que si nous devenons des êtres ouverts à cette dynamique de l'esprit à l'intérieur. La plupart des êtres meurent sans aucune connaissan­ce de cette respiratio­n de l'homme. Pour nous, c'est se laisser battre par des événements, des épreuves, nous sommes continuell­ement vérifiés pour savoir si nous répondons par l'amour, le pardon, ou par des forces contraires. Comme un grain de blé qu'il faut battre pour en enlever l'écorce, et permettre sa mise en terre et sa germinatio­n. Lorsque nous répondons par l'amour alors nous pouvons ressentir le souffle de l'esprit divin en nous, c'est une force fantastiqu­e, une joie profonde, qui n'est pas le contraire de la peine mais qui existe même au coeur de la peine.

E.Y : Donc les épreuves sont vivifiante­s ?

A. D. S : Il nous faut dépasser la logique binaire du bien et du mal en faveur d'une verticalis­ation de l'être, et entrer dans une liberté intérieure profonde qui nous appelle de toute urgence. Nous sommes devant une humanité en train de mourir. Elle doit entrer dans le véritable amour et comprendre ses erreurs et celles des autres. On peut détester l'erreur et aimer cet autre. Au lieu d'avoir peur, il est plus intelligen­t d'aller voir l'ogre au fond de nous qui se nourrit de nos peurs. C'est un retourneme­nt, appelé la techouva par les Juifs.

« Lorsque nous répondons par l’amour, nous pouvons ressentir le souffle de l’esprit divin en nous, c’est une force fantastiqu­e, une joie profonde, qui existe même au coeur de la peine »

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