LES PERLES D'ANANDA
Rendre au monde sa candeur
AUJOURD'HUI, LA « méditation du sourire intérieur » est une pratique dite d'origine taoïste, réputée pour améliorer et maintenir la santé. Le taoïsme, courant de pensée très hétérogène, s'est développé en Chine pendant 2 500 ans. Son père fondateur serait l'auteur mythique du Livre de la Voie, Lao-tseu. Le mot Tseu signifie « maître », mais en réalité, son idéogramme désigne un enfant, les bras tendus vers le ciel. On pourrait donc traduire Lao-tseu comme « le Vieil-enfant ». Et quoi de plus saisissant que le sourire d'un enfant ? Quoi de plus lumineux que les yeux finement plissés d'une vielle personne qui sourit ? Le sourire recèlerait certaines des vertus si elliptiquement suggérées dans le Livre de la Voie. Une ouverture confiante et résolue dans la vie chez l'enfant, la bravoure et le courage empreints d'indulgence et de compassion chez le vieillard. Un maître taoïste serait censé réunir ces qualités.
On dit aussi que le Zen, mouvement spirituel apparu en Chine et très influencé par le taoïsme, prit sa source dans un sourire. Un jour où Bouddha se tenait dans une assemblée de moines, il s'arrêta soudainement de parler et éleva une fleur entre ses doigts. Devant une assistance perplexe, l'un des disciples, nommé Maha Kasyapa, répondit par un sourire. En souriant, Maha Kasyapa fît entendre le silence et incita les naïfs et les cyniques à prêter oreille. Il devint alors le patriarche du zen, car en souriant, il fut le seul à exprimer sa compréhension profonde de l'essence de l'enseignement du Bouddha.
Cette sagesse riante, connaissance directe et intuitive au-delà des mots, est magnifiquement saisie dans la statuaire bouddhique par le « Sourire du Bouddha d'angkor » 1. Acmé de la finesse de l'iconographie parue au Cambodge à la fin du xe siècle chez les sculpteurs khmers, il illustre un célèbre épisode de la vie du Bouddha. Selon la légende, le Bouddha était assis sous un arbre, profondément absorbé dans sa méditation, lorsqu'un fort orage éclata. Les eaux commencèrent à monter violemment risquant de l'engloutir. Le roi des serpents, le cobra Mucilinda, sortit alors du lac et avec ses sept capuchons déployés en éventail abrita le Bouddha de la pluie. Malgré la tempête, le visage du Bouddha demeura magnifiquement doux et paisible, ses lèvres esquissant un énigmatique sourire, serein et délicat. Émergeant d'une profondeur abyssale, son sourire envoute et fascine. Il nous fait plonger au coeur de la vie et semble vouloir nous dire : « ne cherchez pas ailleurs ce qui est déjà en vous ». Sourire revient alors à ouvrir des possibilités dans une insouciance et une passivité fécondes. Sourire nous aide ainsi à accepter aussi bien notre complexité que celle d'autrui et à rendre enfin au monde sa candeur.