LES PERLES D'ANANDA
Naître ne suffit pas pour être
J’ÉCRIS CES lignes à l'approche de la fête de Nouvel An au Tamil Nadu, dans le sud de l'inde où j'habite actuellement. Ce jour-là, les adultes et les enfants porteront des vêtements neufs, les ménages seront nettoyés et les seuils des portes ornés avec de motifs colorés. Cette date est associée au moment mythique où le dieu Brahma créa l'univers et le temps. Dans une conception cyclique du temps, on assiste alors au renouvellement de la cosmogonie primitive et à la réactualisation de la création, afin de vivre collectivement l'expérience d'une nouvelle naissance. On peut trouver dans presque toutes les sociétés ce même désir profond de l'être humain d'abolir périodiquement le passé et de recommencer une vie nouvelle, de célébrer la vie qui se répète rythmiquement.
Christian Bobin
Au niveau individuel, l'hindouisme possède aussi un ensemble de rituels de régénération périodique de la vie qui permettent à l'homme de cheminer vers sa propre plénitude. Naître serait une condition nécessaire mais pas suffisante pour être réellement soi-même. La naissance biologique ne constitue alors que la première de trois naissances spirituelles successives dont la dernière est la mort. La première fois, il naît de son père et de sa mère. Puis, par les rites, il naît pour la seconde fois. Et quand il meurt, il naît pour la troisième fois. Naissance et mort sont considérées comme deux aspects d'un même cycle de régénération. La notion de « mort » ne s'oppose pas à celle de « vie » mais plutôt à l'idée de « naissance ». Parmi les principaux rites de régénération se trouve la remise du cordon sacré aux jeunes adolescents des hautes castes. Ceci rend visible son passage à l'état de « deux-fois né » (dvija) et confirme son intégration dans la réalité socioreligieuse hindoue. Il pourra désormais célébrer des « sacrifices » (yajna), cérémonies qui consistent à se fabriquer un corps nouveau afin de renaître rituellement à un état d'existence spirituellement supérieur.
Pensons à shavasana, la « posture du cadavre », qui clôt d'ordinaire une séance de yoga. Ne pourrions-nous pas y voir, non seulement un moment pour permettre à nos tissus de se régénérer en profondeur, mais aussi une occasion d'interroger nos besoins et de redéfinir nos envies ? : à quoi tenons-nous ? À quoi sommes-nous prêts à renoncer ? À quoi voulonsnous renaître et à quoi voulonsnous mourir ? Qu'est-ce que c'est ce « je » qui tout le long de notre vie ne cesse de se renouveler et de se succéder à soi-même ?
« Il nous faut naître par la chair et ensuite par l’âme. La première jette le corps dans le monde, la seconde balance l’âme jusqu’au ciel »