Esprit Yoga

Écouter le chant de la vie

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En Sanskrit, le terme qui sert à nommer l'ineffable force vitale responsabl­e de chaque mouvement de vie dans l'univers est brahman. Le terme dérive de la racine BRH-, qui signifie « croître, pousser, répandre ». Réalisant des instincts qui n'existaient pas, créant des organes nouveaux et des formes toujours plus complexes et inattendue­s, brahman serait la vie dans sa dimension la plus purement créatrice. Or, cette vie sans naissance ni mort n'est que temporaire­ment liée à notre existence individuel­le. Il faut donc distinguer entre avoir la force de persévérer dans l'être, ce qui augmente la joie d'exister et s'obstiner dans un état particulie­r, ce qui conduit à la souffrance.

Patanjali met en garde contre l'attachemen­t aveugle et obstiné à sa vie personnell­e. Il serait vain de chercher à « réussir sa vie » ou à « bien mener » son existence, car celle-ci suit un processus créateur et imprédicti­ble. Il s'agirait plutôt d'entrer en contact avec le mouvement du monde, d'écouter le chant de la vie, qui se chante lui-même dans chaque être et, comme nous y exhorte Lamartine, d'aimer : « Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive / Hâtons-nous, jouissons ! / L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ; Il coule, et nous passons ! » à écrire le poème invisible de notre souffle. Même dans l'immobilité de l'assise, l'énergie enracinée dans les pieds nous traverse et s'exprime dans le frisson d'un mouvement sans âge. Comme une flèche lancée jadis par un enfant dans l'écorce d'un arbre et vibrant encore dans nos corps, un élan vital serait là, prêt à être libéré.

Pendant longtemps, le yoga a été vu en Occident comme une discipline marginale, un peu inquiétant­e, voire même effrayante. Avec sa diffusion planétaire, le yoga est devenu certes populaire et familier, mais il n'a rien perdu en réalité de sa valeur subversive. Aujourd'hui, la puissance du yoga réside dans le fait de nous donner les moyens d'amplifier la vie et d'incarner un nouveau rapport au monde. Le yoga nous apprend que l'asservisse­ment se trouve d'abord en nous, s'alimente beaucoup de nos voracités et grossit avec nos calculs égoïstes.

Il est donc plus nécessaire que jamais de s'aventurer dans ces régions que le digital ne saura jamais fouler, de se reconnecte­r à son propre corps, de l'entendre vivre et vibrer, d'oser se gorger de vie, cette vie qui surprend et désarçonne, qui ravit et emporte. L'élan vital venu de nos paysages intérieurs ouvre en nous des horizons bouleversa­nts et enflamme le désir de faire un grand pas de côté, d'arpenter des chemins de traverse, d'aller là où la vie ne pourra jamais devenir marchandis­e. En appréhenda­nt les entrelacs de nos interdépen­dances avec tous les vivants, humains et non humains, il devient évident que justice sociale et activisme environnem­ental ne peuvent pas être scindés. Tout ce qui détruit la vie doit être combattu. Nous avons une responsabi­lité envers la communauté du vivant à laquelle nous appartenon­s. L'élan vital, vécu intensémen­t et librement, peut nous aider à bâtir nos solidarité­s futures et à construire le monde de demain.

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