Michel Champredon au coeur des ténèbres
Joint par mail, l’ancien maire d’Evreux, expatrié en République Démocratique du Congo, raconte son quotidien à Kinshasa, à feu et à sang depuis le 19 septembre.
gra e s rou ble on é la se ma in e rn ière RDC où v ou sv ou st rou v e za ct e lle me . De s bila s con ra icoire s fon ét a ’a moin s ix mort s pe -êt re plu sie rs iza e s. Qu e lle e st l’origin e problème ? Pou rqu oi e a e 19 se pt e ét it symboliqu
Michel Champredon. Le 19 septembre était la date limite pour la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour lancer le processus électoral des élections présidentielle et législatives et en fixer les dates (mi-décembre, comme le dit la Constitution). Or comme il ne s’est rien passé, l’opposition avait prévu une manifestation pour faire pression et obtenir le respect de la Constitution. La manifestation a été autorisée et pourtant cela n’a pas empêché les heurts pendant plus de deux jours avec des dizaines de morts.
Difficile à dire, le gouvernement dit 32 et l’opposition plus de 100 ; sans doute entre les deux (sans compter les blessés).
Lundi 19 et mardi 20, j’étais d’abord au travail au cabinet du ministre de la Fonction publique à 7 h 30, comme chaque jour. Nous avons été évacués vers 11 h 00 (le mercredi également). La Chambre de commerce et d’industrie franco-congolaise, dont est directrice ma femme, était fermée et le lycée français également pendant trois jours. Nous avons passé la journée à la maison à capter des informations sur les événements.
Il n’y a pas de mise en oeuvre du plan d’évacuation pour l’instant, même si tout est prêt du côté de l’Ambassade en cas d’aggravation de la situation. Nous avons le téléphone de l’îlotier en charge d’organiser le regroupement des Français du secteur. On connaît les deux lieux de rassemblement pour l’évacuation lorsqu’elle est enclenchée. Par ailleurs, on nous a rappelé qu’il fallait avoir des réserves pour plusieurs jours et une valise de 10 kg prête pour partir en cas d’urgence.
Non, c’était difficile de sortir pendant trois jours. De toute façon, tout est fermé : les magasins car ils ont peur d’être pillés, les bars et restaurants, car il n’y a pas de clients. Cela ressemble à une « ville morte » sauf dans les rues où il y a les manifestants.
Non. À part quelques journalistes occidentaux qui vont sur le terrain, les autres blancs sont plutôt chez eux. C’est trop dangereux. J’ai vu des photos de cadavres et d’incendies sur les réseaux sociaux.
Les blancs expatriés peuvent être une cible
Oui et non. On n’est pas fier quand ce genre d’événement arrive car, même si on n’est pas dans le périmètre immédiat, on ne sait pas comment les choses évoluent. Les émeutes commencent généralement dans ce qu’on appelle « la cité » (les quartiers populaires) et ensuite évoluent vite vers le « centreville » (La Gombe). Les expatriés ne sont pas là pour se battre, ni entraînés pour cela.
D’ordinaire les Congolais sont des gens sympathiques. Mais, lorsque les vannes sont ouvertes, les blancs expatriés peuvent être une cible pour ceux qui les qualifient de « pilleurs du Congo ». Il existe un discours récurrent contre la communauté internationale (qui dans le même temps apporte beaucoup de moyens et permet de stabiliser et de développer le pays).
C’est le moins que l’on puisse dire. La réplique a été cinglante : « La RDC n’est pas un département d’outre-mer de la
France ». Dans ces momentslà, quand on roule avec une voiture Coopération française, on ne passe pas inaperçu. En plus, pour ma part, je travaille en environnement congolais. Je suis le seul blanc au ministère où il doit y avoir plus de 2 000 personnes.
Aucune. Elle demande seulement le respect du processus électoral prévu dans la Constitution. C’est ce qui lui permet de justifier l’aide qu’elle apporte, vis-à-vis de notre Parlement (qui vote les crédits), mais aussi de la population française. C’est l’application du principe énoncé par François Mitterrand dans son discours de La Baule en 1990 : « l’aide contre la démocratie et la bonne gouvernance ». C’est la conviction qu’il ne peut y avoir de développement sans démocratie ni de démocratie sans développement. Quoi que certains en disent, la Françafrique ce n’est plus la réalité.
J’ai l’impression que cela ne fait que commencer. L’avancée du calendrier vers la date théorique des élections va certainement être une montée en tension. À moins que les forces politiques, avec l’aide d’un médiateur international, ne trouvent un terrain d’entente pour une date des élections et gèrent pacifiquement une transition.
Il n’y a pas que l’opposition qui réclame les élections… c’est la Constitution. Le Chef de l’État a donné trois raisons pour ne pas pouvoir les organiser : 1/pas assez d’argent (seule la moitié des sommes nécessaires a été inscrite au budget de l’État) ; 2/ les listes électorales ne sont pas à jour, il faut inscrire au moins 8 millions de jeunes ayant eu la majorité et retirer les décédés ; 3/il y a des bandes armées dans certaines provinces qui créent de l’insécurité ; le scrutin ne peut donc se dérouler pacifiquement.
Oui les arguments sont vrais, pris au pied de la lettre. L’opposition répond que : 1/la communauté internationale est prête à financer le solde si des actes de préparation des élections sont enclenchés ; 2/que les listes électorales pouvaient être à jour en s’y prenant à l’avance ; 3/ la MONUSCO (Nations unies) et l’armée Congolaise sont là pour assurer la sécurité du processus électoral.
En deux ans, il y a eu onze élections présidentielles en Afrique avec certains processus réussis et d’autres violents. La RDC vit un moment important pour elle et pour la stabilité au centre de l’Afrique. On aimerait que les transitions se fassent pacifiquement.
Si l’Afrique veut avoir toute sa place sur la scène internationale au XXIe siècle, elle doit notamment apprendre à gérer les transitions et devenir irréprochable sur le plan démocratique et de la bonne gouvernance. Elle doit développer le sens de l’intérêt général et sortir progressivement des systèmes tribaux, provinciaux ou ethniques. C’est par une éducation de qualité pour la jeunesse que tout viendra.
Kinshasa ressemble à une ville morte La RDC vit un moment important pour elle