Les pieds nickelés sous les verrous
Ils étaient jugés pour 36 infractions
Il aura fallu deux ans d’enquête sur plusieurs départements pour parvenir, en mai 2015, à interpeller cette famille de braqueurs, voleurs et casseurs. Pendant deux jours, le gang comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Évreux.
Ils sont cinq demi-frères, frères ou cousins, tous natifs de Mantes-la-Jolie sur le banc des accusés. Jean-Michel Vogel (20 ans) a été libéré après un an de prison. Alain-Philippe Saint-Yves (24 ans) est de Limetz. Ce demi-frère du précédent est emprisonné à Évreux depuis le 6 mars 2015, comme l’autre, Franck Vogel (28 ans) détenu à Nanterre et domicilié à La Roche-Guyon (95). Ludovic Borges (32 ans) est cousin des précédents. Après un an de préventive, il a pu retourner chez lui, dans les Deux-Sèvres. Son frère Tony (34 ans) est encore détenu à Rouen (depuis le 29 mai 2015). Il est de La Villeneuve-en-Chevrie (Yvelines).
Le seul Eurois, natif de Vernon, Alexandre Durand (23 ans) n’aurait commis qu’un vol d’outillage le 18 février 2015 dans le 95. Un fait mineur comparé aux nombreuses accusations dont fait l’objet la famille francilienne.
Une bonne trentaine de délits
La liste des faits regroupe trente-six infractions allant du vol de véhicule, aux cambriolages de petits commerces (bar-tabac, salon de coiffure, supermarchés comme Gifi et Lidl) en passant par des hold-up ou encore, des casses à la « voiturebélier » et des attaques d’agences bancaires.
La longue enquête démarre après une tentative de casse à l’agence de la Société Générale de Damville, le 18 janvier 2013. Il ne sera pas possible de décrire ici toutes les attaques et cambriolages des malfaiteurs perpétrés en mars, novembre et décembre 2014. Une liste qui ne va faire que s’allonger.
Une débauche d’attaques
Le gang continue ses méfaits et attaque, en janvier 2015, des supermarchés et une Caisse d’Épargne à Magny-en-Vexin (95), Vernon, Gisors, Menneval et Marines (95). En février, la bande commet douze délits : vols, incendies de véhicules, cambriolages, attaques d’agences bancaires ou hold-up à main armée. Elle s’est trouvée à l’ouvrage dans plusieurs villes du Val-d’Oise ainsi qu’à Ecos, La Madeleine-de-Nonancourt, Saint-André-de-l’Eure, Le Cormier, Boisset-les-Prévanches, Bois-Jérôme-Saint-Ouen, Saint-Marcel, Pacy-surEure (Banque Postale) ou Bonnières où armés et cagoulés, certains ont commis des violences aggravées. C’était le 25 février, deux semaines avant le coup de filet qui a envoyé les cinq malfaiteurs en détention provisoire en mars et mai 2015.
Sous la présidence de Marie-Christine Devidal, le tribunal est revenu sur chacun des faits pour lesquels les gendarmes ont dû enquêter en commençant par cette tentative, à, Damville, le 18 janvier 2013, de pénétrer dans l’agence bancaire de la Société Générale. Les bandits avaient tenté d’enlever un coffre-fort. Il y avait de nombreuses similitudes avec d’autres faits. Le rapprochement avec les tentatives d’Ezy-sur-Eure, de Beaumontle-Roger puis plusieurs autres dans les Yvelines et le Val-d’Oise fut joint aux indices nombreux laissés par le gang. Malgré les preuves, la fratrie nie systématiquement ou refuse de répondre. Avec une belle insolence, certains accusent même les gendarmes d’avoir semé leur ADN un peu partout. Les trois hommes restés en prison crient à l’injustice mais l’enquête a constaté que, malgré les échecs, le gang utilisait les mêmes moyens. « Une seule réussite et ils continuent ! On ne change pas une équipe qui perd ! » ironise la présidente sur ce comportement digne des « pieds nickelés ».
Antécédents et victimes
Non seulement, il y avait eu les objets retrouvés dans les perquisitions mais aussi des enregistrements (à Pacy) de Franck Vogel. Dans la Seine, près de chez eux, sur quinze véhicules « repêchés », trois avaient été leurs outils de casse. À défaut d’aveux, les casiers judiciaires ont, en grande part, confirmé la méthode dès les jugements au tribunal des enfants. Généralement peu scolarisés, ils ont écopé de peines lourdes de prison (souvent peu appliquées) pour les vols aggravés et recels.
Ils se disent « ferrailleur » et vivant en caravane avec leur amie. Pour tous, la délinquance est déjà une vieille habitude et, le plus souvent leur métier, le salaire des femmes n’étant qu’une couverture.
Pour cette longue série, certaines victimes comme les banques, CIC, Caisse d’Épargne, La Poste, et Banque Postale ou Société Générale demandent des dédommagements dépassant les 500 000 euros pour la reconstruction de locaux, les pertes d’exploitation, les préjudices commerciaux. On aura noté la réclamation particulière d’une employée de trésoreries de Bonnières, en arrêt de travail pendant près d’un an après avoir dû, sous la menace d’une arme, remettre 4 500 euros, faute d’accéder au coffre. Elle avait supplié le braqueur de lui laisser la vie pour ses deux enfants. Après ses confrères parisiens, Me Sema Akman a plaidé ce dossier, symbole des effets psychologiques sur les victimes. Aucun n’a reconnu cette agression malgré les preuves retrouvées.
Réquisitoire et plaidoiries
Vendredi matin, le procureur Eric Neveu a prononcé son réquisitoire en tentant d’attribuer à chacun la part des faits déjà élaguée par certains non-lieux. Après avoir repris tous les éléments certains identifiant l’un ou l’autre, le procureur souligna l’importance et parfois l’ancienneté des casiers judiciaires. Après deux heures d’explication, il demandera des peines fermes de quatre, cinq et sept ans d’emprisonnement contre les principaux prévenus et un an ferme contre Alexandre Durand pour son seul vol d’outillage. Pour défendre ce dernier, Me Emilie Hilliard s’insurge. La même avocate plaide pour Saint-Yves et regrette qu’après dix-huit non-lieux, on n’ait pas prouvé le reste pour motiver un réquisitoire aussi dur.
Pour Me Mehdi Locatelli et ses clients, Franck Vogel et Ludovic Borges, il y a trop d’incertitudes dans ce dossier d’instruction. Il tente les relaxes basées sur le bénéfice du « doute même infime ». Il ajoute que l’emprisonnement produit plus de récidives, par la suite et que ses clients vont travailler pour indemniser.
De 7 mois à 5 ans
Me Marie-Pompéï Cullin plaide pour Tony Borges pour qui elle concède un vol d’eau minérale et des plaques d’immatriculation, ce qui ne vaut pas cinq ans et un mandat de dépôt demandés. L’avocate ajoute même qu’elle se demande « ce qu’il vient faire ici ». Jean-Michel Vogel n’a pas d’avocat et il proteste : « J’ai déjà fait trop de prison pour rien ! ».
Après trois heures de délibéré, les jugements sont rendus : Alexandre Durand prend sept mois de prison ferme. Ludovic, Tony Borges et Jean-Michel Vogel sont condamnés à trois ans dont quatorze mois avec sursis et mise à l’épreuve (2 ans) avec obligation de travailler et indemniser. Saint-Yves et Franck Vogel sont maintenus en détection pour cinq ans de peine ferme. L’employée de trésorerie obtient 3 300 euros et l’agent judiciaire de l’État, qui a réglé les salaires et les divers frais médicaux, obtient un total de 11 490 euros ainsi que 500 euros (art. 475-1) et les 4 360 euros volés sous la menace de l’arme.
Hormis, les deux magasins Lidl de Gisors et Menneval dont le cas sera réétudié le 21 mars 2017 pour les dédommagements, un total de près de 200 000 euros a été attribué aux banques, La Poste, Caisse d’Épargne et autre sociétés pillées et véhicules incendiés.